Une voix austère se fit entendre.
— S’il vous plaît, laissez un message.
Un signal sonore, et voilà que j’explosais.
— Ah ! parce que c’est un message que vous voulez ? Et pourquoi pas un massage, puisque vous le demandez si bien ? Un poème, peut-être ? Un discours ? Une apologie ? Le voici, mon message : « s’il vous plaît, allez vous faire foutre ! ». Non, ce n’est pas d’un message dont vous avez besoin. C’est d’une sentence, un verdict, une condamnation. Écoutez votre juge, en ce jour, sale fils de pute : je suis la dernière voix que vous entendrez.
« Vous voulez savoir pourquoi je ne crois pas en Dieu ? C’est parce qu’il a donné des couilles aux hommes comme vous. Car, oui, vous existez depuis longtemps, vous, les médiocres. Ah ! vous êtes si nombreux, vous, les médiocres ! Comme vous êtes bien, ensemble, à vous tenir au chaud dans votre fiente. Vous n’aimez pas que l’on vous juge, vous n’aimez pas que l’on dise que votre merde dégage des effluves pestilents, qui gâchent la vie. Ah ! comme vous la gâchez, la vie, médiocres ! Mais vous répondez toujours la même chose, avec votre voix satisfaite : “Allons ! Il n’y a rien de mal avec la merde. Goûtes-y, elle est délicieuse ! Non ? Ce n’est pas grave : tu t’y habitueras ! Moi-même, je ne sens plus rien, après toutes ces années ! Après tout, comment voudrais-tu éviter la merde ? Tout est merde ! Tout est médiocrité ! Ceux qui affirment le contraire sont des fous ! Vois ! Tout le monde aime la merde ! N’est-ce pas la preuve que la merde est le destin de l’homme ?”
« Ah ! toute la merde qui sort de vos bouches fétides. C’est vous, les médiocres, qui avez inventé le culte de l’Autre. C’est parce que vous étiez si vide, si trivial, si bas que vous avez levé les yeux sur la foule. Et c’est dans ce grand assemblage bestial, chauffé au méthane, que vous avez trouvé le confort, enfin réconciliés avec la vie. Vous ne savez tellement pas ce qu’est l’amour de soi que vous avez constamment besoin d’un regard pour vous estimer un minimum. Dès lors, tout ce qui provient de la foule, vous le soutenez de toute votre âme. En vérité, ce ne sont pas quelques inventeurs aveugles ou une poignée de fous qui détruisent ce monde, ce sont vous, innombrables médiocres, qui empêchez cette grande pyramide de tomber.
« Mais le pire, chez vous, ce n’est même pas votre insipide dépendance à la merde, c’est votre fécondité. Ah ! Oui ! sales animaux, on vous a fourni de quoi avoir un instant de jouissance. N’est-ce pas votre activité préférée de vous tripoter : de chercher dans les plis de la chair de l’autre une once de vrai amour, pour une fois ? Mais ce que vous trouvez toujours, c’est un vide après l’orgasme. L’autre vous apparaît alors comme un étranger, aussi lui tournez-vous le dos, pour vite vous endormir et quitter, pour quelques heures seulement, ce monde qui ne veut pas de vous.
« Ah ! ce vide ! c’est le même qui vous saisit quand vous apprenez que vous allez être parent, je me trompe ? L’espace d’un instant, votre esprit est lucide et vous pensez : “mais comment vais-je pouvoir aimer un enfant, moi qui ne sais pas m’aimer moi-même ?” Or, la vision de la foule vous revient, et spontanément, elle vous rassure : “c’est le destin de chacun d’entre nous de faire des enfants ! Avec cette femme ou avec une autre, c’est de peu d’importance !” Alors vous le mettez au monde cet enfant, cet encombrant. Et il vous vole de votre temps en plus ! Vous qui pensiez pouvoir vous en débarrasser comme quelques chèvres, marchant et parlant de naissance ; comme un kit de survie achevé et approuvé, prêt à la livraison.
« En vérité, vous n’avez aucune idée de ce qu’est un être humain — faut-il que je vous rappelle que c’est ce que vous mettez au monde ! Ah ! comme il est une chose difficile d’élever un être humain digne de ce nom. Il faut tellement d’attention, tellement de temps, tellement de dire et de redire, tellement de don de soi ! Oui ! Tout juste ! C’est soi-même que l’on donne à son enfant, sans ménagement. L’enfant est un matériel à la fois malléable et fragile. On peut lui donner la forme que l’on veut, mais un faux mouvement, et il se casse. Ah ! oui ! il faut avoir de la patience pour faire pousser un être humain. Mais, au-delà de tout, combien d’amour faut-il ! Je vous le dis : rien ne pousse sans lumière, que votre amour soit Soleil ! Et c’est d’un amour inépuisable dont je vous parle. Un amour qui prodigue, sans arrêt, sans rien attendre en retour. Un amour qui fait rire et sourire, qui joue et qui fête, qui danse et qui chante. Brillez par-delà vous-même, au-delà des éclipses, par votre plus grand espoir. Ah ! croyez-moi, il est en votre enfant, votre plus grand espoir. C’est lui, le monde de demain.
« Mais vous, ô pauvres médiocres, que pourriez-vous comprendre aux mots “amour” et “espoir” ? Et qui pourrait s’étonner que des médiocres naissent des médiocres ? Ces pauvres enfants, laissés à eux-mêmes, à un sort pire que celui des chèvres. Rien d’étonnant quand, adultes, ils suivent le troupeau.
« Or, vous en particulier, père de ma Julia — le sang me bouille rien qu’à vous imaginer. Vous qui — par miracle ! — avez mis au monde cette douce et impétueuse petite fille. Vous qui avez mis au monde cette enfant assoiffée d’étonnement, ce pèlerin de la connaissance, cette fille articulée, pleine de répartie et d’humour. Vous qui avez mis au monde cette amoureuse de la vie, comment osez-vous la tuer ainsi ? Comment pouvez faire subir cela à un enfant ? Elle qui toute sa vie va se demander si sa mère est morte par sa faute, vous voulez qu’elle croie aussi que c’est à cause d’elle que vous partez. Ce n’est que parce que vous êtes le plus grand des enfoirés que vous l’avez abandonnée, mais, toute sa vie, elle vivra avec la culpabilité. Comment osez-vous faire cela à Julia ? Savez-vous seulement de qui je vous parle ? Je vous parle de ma plus grande élève, tous âges confondus. Je vous parle de l’âme la plus profonde que je connaisse. Je vous parle de l’intelligence la plus étonnante que j’ai vue. Vous ne comprenez donc pas : je vous parle du plus grand espoir de l’humanité ! C’est cet espoir que vous empoissonnez de votre médiocrité. »
C’est alors que j’entendis un bruit à l’autre bout du fil, suivi d’une voix essoufflée.
— Allô ! Qui est-ce ?
Ma voix se fit dure comme le roc.
— Le père de votre fille.
— Quoi ? Mais que voulez-vous ?
— Ce que je veux ? demandai-je. Ce que j’aimerais, c’est de couper les couilles et les ovaires de tous les médiocres. À vous, je réserverais un sort plus drastique.
La voix bafouillait.
— Que… Quoi ?
Je souriais.
— Si je fournis la corde, apportez-vous le tabouret ?
Et quand j’eus prononcé ces mots, je raccrochai, rangeai mon téléphone et le carnet dans mon sac, puis sortis. J’ouvris la porte de mon appartement, et restai dans le cadre un instant. Heureusement, je n’avais pas été volé. Là-bas, à la table, Julia dévorait une pomme rouge. Elle se tourna vers moi. Ces petits yeux foncés brillaient dans la lumière jaune des ampoules. J’essuyai mon front en sueur en souriant, puis tendit la main vers elle.
— Viens mon enfant.
Elle s’approchait.
— Où va-t-on ?
— Manger un repas digne de ce nom.
Je ne sais que penser
Au départ je pensais qu'il s'agissait d'une sorte de pamphlet, puis d'un intelligent manuel de philo déguisé, et voilà que les "pages" défilant, je me rend compte que c'est un plaidoyer pour l humanité
Il y a de jolies phrase en tout cas , très lyriques
Monsieur A s'y connaît en envolées :-)
J'ai de la peine pour Julia. Mais je me dit qu'il y a encore de l'espoir, car Julia le porte en elle , malgré sa condition
Et monsieur A est humain, trop peut être pour lui permettre de vivre parmi ses pairs
A suivre
A bientôt
"Et monsieur A est humain, trop peut être pour lui permettre de vivre parmi ses pairs". Bien vu ! Au début d'Ainsi parlait Zarathoustra, un vieux solitaire dit : "Pourquoi donc suis-je allé dans les bois et dans la solitude ? N’était-ce pas parce que j’aimais trop les hommes ? " Je crois qu'il en est de même pour Monsieur A, comme tu l'as si bien compris.
Merci beaucoup pour tes commentaires ! Ça me touche que quelqu'un prenne le temps de lire mes mots !
Au plaisir,
AGL