Julia croquait dans son hamburger à pleines dents. Elle avait retrouvé son sourire.
— Merci, Monsieur A.
— Ne me remercie pas, Julia. Condamne plutôt ma cécité.
— Que voulez-vous dire ?
— Comment as-tu pu me cacher ton calvaire si longtemps ?
Étonnamment, Julia me souriait.
— Je suis une bonne cachetière.
Je souriais à mon tour.
— C’est vrai.
— Votre piano n’était plus dans votre appartement, Monsieur A. Comment se fait-il ?
— Il m’attend.
— Où ça ?
— Dans les bois.
Elle baissa le regard.
— Vous aussi vous allez me laisser seule, c’est vrai ?
Je tendis ma main vers elle.
— Regarde-moi, ma Julia.
Elle avait un regard apeuré.
— Finis les mensonges, d’accord. Je veux être tout à fait franc avec toi, puisses-tu l’être avec moi. Voici la vérité : je vais faire tout en mon pouvoir pour te trouver une famille digne de ce nom. Des parents qui t’aimeront sincèrement, de toute leur force, pour que tu sois la plus heureuse possible. Pendant ce temps, peu importe la durée, tu habiteras avec moi et je resterai ici, en ville, à tes côtés.
— Pourquoi ne m’emmenez-vous pas avec vous, Monsieur A ? Pourquoi ne m’emmenez-vous pas vivre avec vous, dans les bois ?
Je détournai les yeux un instant.
— Je suis peut-être un bon professeur, Julia, mais je ne ferais pas un bon père.
— C’est faux. Vous m’avez donné plus de temps, plus d’amour et plus d’attention toutes ces années que n’importe qui.
— Peut-être…
Elle m’interrompit.
— Arrêtez de dire « peut-être ».
Je souris.
— Oui, ma petite, j’ai été celui qui t’a le plus aimée. Mais, c’est parce que tu étais de passage. Crois-moi, tu ne veux pas être avec moi toute une journée. Encore moins toute une vie.
— Pourquoi pas ?
— Je suis un solitaire, Julia. Je suis de ceux qui s’assoient des jours durant, en silence. Je suis de ceux dont l’activité principale est de penser. Ce n’est pas une vie pour les enfants.
— Mais…
Je l’interrompis à mon tour.
— C’est pour toi que je ne veux pas t’emmener avec moi. Or, sache ceci : je serai toujours ton professeur. Et tant que tu voudras connaître, je t’enseignerai. D’accord ?
Elle baissa les yeux à nouveau.
— D’accord…
— Ma Julia.
Elle souleva lentement la tête.
— Oui.
— Ne vis jamais dans le futur. Regarde-moi, je suis là. Et regarde-toi, tu es là. Tu manges un bon repas dans un beau restaurant, avec la personne qui t’aime le plus au monde. N’y a-t-il pas à célébrer ? Tu penses à quand je vais partir, moi je te le dis : on pourrait mourir à l’instant. Il n’y a pas de demain. Il y a maintenant. Ne sois pas de ceux qui se placent en dessous de la pierre qui tombe. On est là, pourquoi ne pas en profiter ?
Elle sourit.
— Vous avez raison, Monsieur A. Merci d’être là avec moi.
— Tout le plaisir est pour moi.
Elle recommença à manger avec enthousiasme.
— Alors, vous continuez ? dit-elle entre deux bouchées.
— Continuer quoi ? demandai-je.
— Votre enseignement, bien sûr !
— Ah ! mon enseignement, n’est-ce pas ? Et dans ce si beau restaurant, que vois-tu comme raison qui puisse me donner envie de quitter la civilisation, ma petite ?
Julia regarda autour d’elle.
— À vrai dire, rien. Je me sens bien ici. S’il y a quelque chose de révoltant, je dois dire qu’on nous le cache bien.
Je hochai la tête.
— Tu as bien raison, ma petite. On ne sait pas ce qui se passe en arrière. Mais supposons un instant que les employés sont bien traités, et qu’il n’y a pas beaucoup de gaspillage, reste-t-il quelque chose de révoltant ?
— Pour ce qui est de moi, je ne vois rien.
Je souriais.
— Tu mets le doigt sur la solution. Tu ne vois rien. Or, es-tu une paire d’yeux, Julia ? Toi, ma meilleure pianiste, tu n’identifies donc rien d’autre ?
Elle fit de grands yeux.
— Mais oui ! Il y a de la musique !
— Voilà ! Alors, ouvre grandes tes oreilles, mon enfant, je te raconte l’histoire…
Il y a quelques fautes de frappe dans ces trois derniers chapitres. :)
Il y a certainement plusieurs fautes de frappe dans ce livre. Quand j'en aurai la volonté, je m'y arrêterai. Merci de me le dire !
Au plaisir,
AGL