Début d'explication...

— Comme je le craignais, le fait de venir chez votre grand-mère vous ramène dans le passé. Vous ne devriez pas rester à Concarneau, ni bien sûr aller à ce rendez-vous, dit calmement le docteur Trubard à travers le combiné.

— Cela ne coûte rien d’aller voir si c’est faux, rétorqua Maïwenn.

— Écoutez. Cela vous fera un choc. Vous vous demandez si quelqu’un sera au rendez-vous ? Je peux déjà vous le dire : non. Il n’y aura personne. Je vous le redis, partez de là, prenez des vacances dans un endroit neutre et oubliez toutes ces histoires.

— Vous avez sûrement raison, je vais voir ce que je peux faire.

— Éventuellement vous pouvez aussi prendre de l’homéopathie pour vous calmer, en complément de votre traitement. Par contre, je ne pourrais pas être toujours disponible alors apprenez aussi à prendre sur vous. D’accord ?

— Encore une fois, vous avez raison docteur, je ne vous importunerai plus. Merci de votre aide. À partir de maintenant, je me débrouille, décida Maïwenn.

— Très bien. Rappelez en septembre pour votre suivi et prenez bien votre traitement, indiqua Trubard rapidement.

— Bien, comme vous voulez, rétorqua sa patiente, un peu surprise d’un délai si long.

Maïwenn raccrocha le téléphone et s’assit dans le salon pour déjeuner. Machinalement, elle alluma la télévision sur le journal. À l’écran, un bandeau rouge défilait indiquant qu’un évènement venait de se produire.

— Mesdames et Messieurs, l’information du jour reste la disparition de Pierre Godest. En effet, le frère de Victor Godest, propriétaire du LaGo, retrouvé mort à Quimper, n’a pas respecté les conditions de son contrôle judiciaire. Il est introuvable depuis ce matin.

Maïwenn prit la télécommande de son téléviseur et le coupa.

C’est décidé, à partir de maintenant, j’arrête la télévision.

Plus tard, malgré les conseils de son thérapeute, elle gara sa voiture sur un parking donnant directement sur l'entrée de la ville close. C’était plus fort qu’elle, il fallait qu’elle sache. Puis, elle traversa la moitié de l'édifice, jusqu'à atteindre la place Saint Guénolé, s'assit sur un des bancs disposés au milieu et attendit. Quelques minutes seulement après son arrivée, la jeune femme jeta un œil nerveux sur sa montre : douze heures et cinq minutes, toujours personne. Un sentiment de honte l'envahit.

C’est officiel, le docteur Trubard avait raison, personne ne viendra. Quelle perte de temps, réalisa-t-elle soudain.

Elle allait se lever sur cette pensée lorsqu'elle sentit des mains se poser sur ses yeux.

— Salut Maïwenn, lui dit leur propriétaire.

Elle posa alors ses mains sur celles de l'inconnu et sentit une sorte de gros bracelet à lacets sur son poignet ainsi qu'une bague à l'index. L'homme retira ses mains des yeux de Maïwenn et s'assit près d'elle. De corpulence moyenne tout comme sa taille, ce dernier avait les cheveux bruns en bataille, une barbe de quelques jours et de grands yeux bleu foncé. Il était vêtu d’un t-shirt à manches longues noir, un jean et des baskets, noires également. Un style sombre, mais décontracté qui lui allait comme un gant. C'était indiscutablement un très bel homme.

— On s’est déjà vu quand tu t’es fait agresser par Lukian, reprit l’homme en réalisant que Maïwenn le dévisageait.

— Ah mais oui! Et bien merci encore. Je suis contente de te revoir et surtout que tu sois plus loquace. À quoi est dû ce changement ?

La jeune femme lui sourit franchement, elle était plutôt charmée par l’homme près d’elle.

— Je suis Mathias Omnès. Il faut qu’on parle.

Le sourire de Maïwenn disparut aussitôt. Sans un mot, elle se leva et partit d'un pas rapide en direction de sa voiture, bousculant au passage de nombreux touristes mécontents. Tout se brouillait dans sa tête. Était-il réel ou une hallucination ? S’il existait bel et bien, l’autre homme dans ses rêves aussi et le meurtre également. Son cœur battait à cent à l’heure. Soudain, une pensée plus affreuse à ses yeux lui traversa l’esprit et si au contraire, il n’était qu’une illusion alors son cas était plus grave que prévu. Pour en être sûre, elle fit demi-tour, il était juste derrière elle.

— C'est bien ce que tu voulais non ? Me trouver. Et bien voilà. Suis-moi, on doit parler. J'habite juste là, je t'offre un remontant, dit-il en montrant une maison à quelques mètres d'eux.

— Attends, balbutia Maïwenn.

— Je comprends, tu es sous le choc, mais…

— Madame, Madame excusez-moi, le coupa la jeune femme en interpellant une inconnue, comment trouvez-vous ce jeune homme ?

L’inconnue croyant à une blague continua son chemin sans répondre.

— Tu fais quoi là ? demanda Mathias.

— T’occupe. Mesdemoiselles, vous le trouvez mignon ? lança Maïwenn à un groupe d’adolescentes.

Elles regardèrent Maïwenn étrangement, se regardèrent et se mirent à glousser.

— Carrément pour un vieux de trente ans, commença l’une, avant que toutes les autres la suivent en cœur.

— Salut bg, ajouta une autre sous les rires de ses amies.

— Tu joues à quoi exactement, s’énerva Mathias en prenant Maïwenn par le bras.

Il l'entraîna au deuxième étage d’une bâtisse divisée en plusieurs logements, sans qu'elle puisse même réagir.

La porte d'entrée de son appartement donnait directement sur un salon accueillant où était disposé un canapé aux couleurs chaudes autour d'une table basse en bois clair. La pièce était très sombre du fait des pierres apparentes, et ce, malgré les deux grandes fenêtres donnant sur la place. Intégrés au salon, la cuisine américaine et son grand comptoir appuyaient un peu plus la convivialité des lieux.

Maïwenn s’assit sur le canapé pendant qu’il lui servait un verre. Il mit ensuite un fond musical doux pensant ainsi détendre l’atmosphère.

— C’était quoi ton délire en bas ? demanda-t-il enfin.

Maïwenn souffla :

— J’avais besoin d’être sûre que tu n’étais par une hallucination.

— Ah ouais. Satisfaite ?

— J’ai du mal à y croire. Si tu es réel, c’est que tout ce qui m’est arrivé ces dernières semaines est réel aussi et ça, c’est flippant, tout comme le fait que tu puisses rentrer dans mes rêves, expliqua-t-elle.

— Pas que dans les tiens, corrigea le jeune homme.

— Ah d’accord…

— Pourquoi me cherches-tu Maïwenn ?

— Je ne sais plus, cela fait des semaines que mon psy me persuade que j’ai tout inventé pourtant, si tout cela est vrai…j’ai assisté au meurtre de Victor Godest, il m’aurait donné une chevalière et demandé de te retrouver, mais des éléments ne collent pas, finit la jeune femme, encore plus perdue qu’avant.

— Tu as assisté au meurtre ? s’exclama l’homme. Raconte-moi tout. Qu’est-ce qui ne colle pas ? interrogea Mathias, très intéressé.

— Et bien, je l’aurais porté, donc bougé, alors que son poids était trop lourd pour moi et puis il saignait beaucoup, mais je n’en avais aucune trace. J’ai peur de te faire perdre ton temps. Je deviens tarée.

— Pas forcément, rétorqua Mathias pensif, autre chose ?

— Oui. Il y a cet homme que j’ai vu tuer Victor qui est venu dans mes rêves me répéter encore et encore qu’il fallait que je me soigne car j’étais folle, répondit Maïwenn la voix tremblante.

— Un classique, indiqua simplement son interlocuteur.

— Un classique ? Tu te fous de ma gueule ! Tu enquêtes sur quoi exactement ?

— C’est compliqué, glissa simplement son hôte.

— J’ai tout mon temps, insista Maïwenn.

— Soit. Pour faire court, je suis un Guide.

— Un Guide ? releva la jeune femme.

— Oui. En fait, nous les Guides, nous conseillons les hommes dans leurs choix depuis des siècles en entrant dans leurs rêves. Mes ancêtres ont souvent été des conseillers de guerre. Ils se faisaient passer pour des apparitions prémonitoires.

— Rien que ça. Toi aussi tu es sous traitement ? se moqua son invitée.

— Après ce que tu as vécu, tu doutes encore ?

— Il m’en faudra un peu plus pour te croire. Pourquoi n’y a–t-il aucune trace de vous ?

— Parce qu'on se fond dans la masse et puis, j’imagine qu’une personne qui parlerait de nous passerait pour folle, s’amusa Mathias.

— Touché, concéda Maïwenn, et d'où viendrait cette capacité ?

— Je ne sais pas vraiment. Nous l'avons, c'est tout.

— C'est tout ? Tu ne t'es jamais posé la question ? s’indigna la jeune femme.

— À vrai dire, il y a une légende qui parle d’un guerrier mourant qui fut sauvé par une déesse. C’est elle qui aurait créé les Guides.

— Je vois. Une déesse, normal quoi. Au fait, tu ne m’as toujours pas répondu, tu enquêtes sur quoi, tu es flic ? reprit Maïwenn.

Mathias rit de l’ignorance de la jeune femme.

— Bon écoute, suis bien car c'est un peu compliqué, commença le jeune homme d’un ton supérieur.

— Je vais faire de mon mieux, rétorqua son invitée un brin moqueur.

— Alors voilà. Nous, les Guides, sommes répartis sur l’ensemble du globe, mais dans chaque pays il y a ce qu’on appelle des branches. La branche française est dirigée par Victor par exemple. Pour une raison inconnue, certains Guides développent des capacités en plus du don d’entrer dans les rêves. Mon rôle est de m’assurer que ces capacités soient canalisées et ne nuisent pas à notre secret ou aux consignes de notre chef désigné. Le chef de tous les chefs du globe si tu préfères. Victor se savait en danger depuis quelque temps. Il m’avait contacté, officieusement. C’est probablement pour cela qu’il t’a parlé de moi.

— Pourquoi était-il en danger ?

— Pour plusieurs raisons. D’abord parce que son projet de Visio-nerf ne plaît pas à tout le monde. Pouvoir entrer dans les souvenirs de chacun grâce à un casque…

— Ah oui, certains ont peur de la concurrence ? coupa Maïwenn.

— C’est un peu ça.

— Et les autres raisons ?

— Victor était le chef de notre branche et il ne faisait pas forcément l’unanimité, notamment auprès de son frère, Richard, qui le trouvait trop humaniste.

— Un autre frère alors, pointa Maïwenn.

— C’est exact, ils sont trois : Victor, Pierre et Richard. Ce dernier a toujours était jaloux des deux autres. L'un était notre chef et l'autre allait devenir le directeur du LaGo. Il s'est toujours senti de côté. S'il parvient à ses fins et devient le chef de notre branche, il tentera de faire abroger certaines lois, telle que l’interdiction de rendre quelqu'un fou.

— Attends…quoi ? bondit Maïwenn.

— Oui, nous avons cette possibilité en entrant dans les rêves d’autrui, mais cela est interdit depuis des siècles, expliqua Mathias, un peu gêné.

— Et bien tout le monde n’est pas au courant de cette interdiction apparemment, s’insurgea la jeune femme, il a voulu me faire taire en fait.

— Exactement. C’est pour cette raison que tu dois me décrire ce dont tu te rappelles le concernant.

— Quand je pense que je suis allée en maison de repos. Je prends des médicaments depuis des semaines à cause de cela et j’ai perdu toute confiance en moi, s’énerva encore Maïwenn.

— Je comprends ta colère, mais j’ai besoin de ton aide et vite.

— Et les femmes, les trois femmes qui faisaient la ronde autour de moi c’en était aussi à tous les coups. Putain, c’est dégueulasse !

— Les trois femmes ? Ils sont plusieurs alors, réalisa Mathias.

— Et les deux hommes l'autre soir ?

— Ce sont des apprentis Varlarc'h chargés de protéger le secret des Guides. Ce n’était donc pas une coïncidence. Ils en avaient après toi et là, c’est grave.

— Des Apprentis quoi ?

— Je t'expliquerai plus tard, c'est...

— Compliqué... Je vois. Et pour Pierre ?

L'homme souffla. Il avait tellement de choses à expliquer en si peu de temps que pendant un instant, il fut tenté de ne pas répondre à ses questions, mais il n'avait pas le choix. Il sortit de sa poche une pièce qu'il fit glisser entre ses doigts avant de poursuivre avec peu d'entrain :

— En fait, c’est logique que la police ait arrêté Pierre. Sans Victor, il prend le contrôle de tout. Les soupçons sont légitimes, mais je ne comprends pas qu’il se soit enfui.

— La culpabilité peut-être ? se risqua Maïwenn.

Mathias lui jeta un regard noir.

— Je refuse d’y croire. Il a dû découvrir quelque chose. Je dois à mon tour trouver de quoi il s’agit et tu vas m’y aider, décréta-t-il.

— Super…

— Ne le prends pas à la légère Maïwenn, des vies sont en péril. Dans environ deux semaines, aura lieu la présentation du Visio-Nerf, mais aussi le grand cercle, c’est ainsi que l’on appelle l’assemblée de tous les chefs, va se retrouver sur une île au large de l'Irlande et de la Grande-Bretagne. Ils y désigneront le successeur de la branche française. Les enjeux sont énormes. Seuls les chefs et leurs enfants y sont conviés, mais nous devons absolument y aller pour disculper Pierre.

— J’ai besoin de réfléchir à tout cela. C’est trop pour moi, balbutia la jeune femme en se levant, je suis perdue, finit-elle.

— Ne le prends pas comme ça, attends. J'ai vraiment besoin de toi et tu es déjà impliquée que tu le veuilles ou non, tenta Mathias.

Il essaya ensuite de la retenir, mais Maïwenn était déjà dans la cage d'escalier.

 

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