Rencontre avec Lukian

Les explications du jeune homme avaient pris plus de temps qu'elle ne l'aurait cru, car il faisait déjà nuit. La ville close, déserte, était éclairée par des lampadaires en forme de lanterne, suspendus aux maisons afin de se fondre dans l'architecture médiévale. Le seul bruit qu'elle pouvait entendre était celui de ses pas qui résonnaient sur les pavés. C'était une ambiance si étrange qu'elle avait l’impression d’avoir remonté le temps.

Alors qu'elle passait devant les canons servant autrefois à la défense de la cité, elle entendit d'autres pas résonner. Elle se retourna, mais ne vit personne et continua son chemin.

La ville close est très belle de nuit, mais vraiment trop lugubre pour moi, admit-elle.

Il ne lui restait plus qu'une arche à passer pour rejoindre le pont la ramenant au cœur de Concarneau alors elle pressa le pas.

— Comme on se retrouve...

Son cœur se mit à battre un peu plus fort dans sa poitrine. La voix qu'elle venait d'entendre provenait d'une ombre cachée sous l'arche.

Les bruits ne venaient pas de derrière, mais de devant moi. Merde, réalisa-t-elle.

Maïwenn fit comme si elle n'avait rien entendu et continua de marcher, espérant qu'on la laisse passer sans encombre. Elle sentit alors une main sur son épaule l'attirer vers l'arrière avec une telle force qu'elle perdit l'équilibre et tomba sur le sol. Malgré l'obscurité, elle put reconnaître l'homme au-dessus d'elle : c'était celui qui l'avait agrippée par le bras après le concert.

— Je l'avais dit qu'il ne serait pas toujours là ! jubila-t-il.

Il n'eut pas le temps de continuer sa phrase qu'un autre homme, arrivé derrière Maïwenn, lui bondit dessus. Tous deux roulèrent sur les pavés, refusant de lâcher prise.

L'assaillant de Maïwenn prit vite le dessus et asséna de violents coups de poing au deuxième homme, bloqué sous son poids. Ce dernier réussit tout de même à se dégager et frappa à son tour avec une telle force que son adversaire n'eut pas le temps de riposter immédiatement. Quelques secondes lui suffirent pour reprendre ses esprits, comme porté par la rage. Les coups de poing et de pieds fusaient sous les yeux de Maïwenn, qui tentait d'identifier le second homme. Ils semblaient avoir tous les deux une grande maîtrise du combat. À vrai dire, elle n'avait jamais rien vu de tel si ce n'est dans les films. Cependant, il fut vite évident que son protecteur avait le dessus.

— Va-t’en Maïwenn, lui cria-t-il.

Elle reconnut immédiatement la voix de Mathias et courut vers sa voiture, garée à quelques mètres. Le jeune homme donna un dernier coup à son adversaire qui s'écroula au sol, puis il la rejoignit sur le parking, monta dans sa voiture et lui fit signe de démarrer.

— Je crois que tu n'as plus le choix si tu veux être tranquille, lança-t-il en essuyant sa lèvre pleine de sang.

— Tu ne perds pas le nord, toi. Pourquoi m'as-tu suivie ? demanda t-elle tout en conduisant nerveusement;

— Je n'allais pas te laisser partir comme ça, tout simplement. Calme toi où nous allons avoir un accident, ce serait balot.

— Un vrai chevalier servant en somme, ironisa-t-elle.

— J'ai besoin de toi, c'est tout, rétorqua-t-il froidement.

— Sinon, où as-tu appris à te battre ?

— C'est trop long à expliquer maintenant.

— Encore ? Tu en auras des choses à m'expliquer plus tard. En attendant, je dois avoir des pansements à la maison. Je peux au moins savoir qui est ce mec ?

— C'est Lukian, le petit-fils de Richard.

— On le laisse comme ça ? Nous pouvons peut-être appeler du secours.

— Cela ne servirait à rien, il va s'en remettre et il vaut mieux que cela reste entre nous.

Comprenant que Mathias ne transigerait pas sur ce point, la jeune femme n'insista pas.

Une fois dans sa salle de bain, elle lui donna de quoi soigner ses blessures puis lui prépara une chambre pour la nuit. Ceci fait, elle retrouva le jeune homme installé dans le canapé du salon devant la télévision, les deux pieds sur la table basse. Malgré la soirée mouvementée, il n'avait l'air ni fatigué ni de souffrir des coups qu'il avait reçu.

— J'ai repensé à ce que tu m'as dit tout à l'heure, lui lança-t-il sans même détourner les yeux de l'écran.

— À propos de ?

— De Victor et de l’homme dans tes rêves.

Attentive, Maïwenn s'assit à côté du jeune homme.

— Nous avons des archives dans la ville close. Une grande partie de notre histoire y est répertoriée. Peut-être qu'en y allant, nous pourrions trouver quelque chose. Peut-être que Victor te connaissait depuis longtemps sans que tu le saches.

— Ok. Rassurant.

— Accepterais-tu de faire un test de parenté ? rajouta-t-il sans ménagement.

— Ah d’accord, tu es plutôt direct. Tu comptes faire ça comment ?

— Tu sais, en tant que Guide, je connais pas mal de monde, rétorqua le jeune homme d’un air supérieur.

— On verra ça demain si tu veux bien, je suis épuisée. Tu veux que je te montre ta chambre, ou tu hantes les rêves de quelqu'un d'autre ce soir ?

— Très drôle, tu as retrouvé ton sens de l'humour on dirait, lui dit-il un peu agacé.

Il la suivi ensuite afin qu'elle lui montre sa chambre, la remercia de son hospitalité puis, alors qu'elle allait se coucher, redescendit dans le salon en attendant que le sommeil le gagne.

xxx

Malgré les coups qu'il avait reçus, Lukian parvenait encore à maîtriser sa voiture, il n'avait pas beaucoup de route à faire.

Il passa la grande grille de l'entrée et gara sa petite citadine sous le porche du manoir. C'était une magnifique propriété qui appartenait à sa famille depuis des générations. Une appréhension monta en lui au moment de passer l'entrée, il avait échoué et son grand-père allait encore le prendre pour un minable. Il prit son courage à deux mains et pénétra dans le hall d'entrée puis dans le salon. C'était une pièce impressionnante avec en son centre une énorme table de forme rectangulaire qui faisait quasiment toute la longueur de la pièce. D'immenses tapisseries de couleur rouge et bleu représentant des champs de bataille étaient accrochées aux murs. Dans le fond, se trouvait une grande cheminée, avec de chaque côté, des étagères remplies de livres anciens et autour, plusieurs fauteuils permettant de lire au coin du feu. En dépit de l'heure tardive, sa famille était assise à la table, attendant avec impatience son rapport. Aussi, lorsqu'il entra timidement dans la pièce, Richard bondit de sa chaise pour aller à sa rencontre.

— Alors comment cela s'est passé ? Pas bien visiblement. J'aurais dû m'en douter et confier cette mission à un de mes hommes plutôt qu'à mon incapable de petit-fils. Ils auraient été à la hauteur, eux.

Richard était un homme d'environ soixante-dix ans, peut-être plus, mais qui avait la santé et la force d'un homme de vingt ans de moins. Ses cheveux blancs et ses yeux bleus ridés donnaient à son visage un air dur et intimidant, plus encore que sa carrure qui était pourtant imposante. Son fils, Patrick, qui restait impassible sur sa chaise, avait hérité de ses traits. Médecin à l'hôpital de Concarneau, son métier lui avait imposé de se forger une carapace qui le rendait plus pondéré que son père.

— Un peu d'indulgence Richard, il est si jeune, dit l’une des femmes assises à la table.

Richard se tourna vers celle qui avait osé intervenir et la fusilla du regard.

— Vous avez toujours été tendre avec lui, particulièrement toi, Amy. Le fait d'être sa mère n'implique pas de se voiler la face. Patrick, je sais que tu as fait de ton mieux, voudras-tu bien expliquer à ta femme l'importance de ce qui se passe ici ?

Amy tourna la tête pour ne pas montrer à Richard son énervement. Elle était la mère de Lukian et plutôt fière qu'il ne soit pas devenu une brute épaisse malgré l'entraînement qu'il suivait. Infirmière dans le même hôpital que Patrick, elle avait accepté d'administrer à Jeanne les médicaments qu'avait prescrits son mari. Elle pensait donc avoir droit à un peu plus d'égard compte tenu des risques qu'elle prenait pour eux, mais ça n'était pas le cas.

— Je n'y manquerai pas père. Je travaille toujours à ce que Jeanne passe pour sénile. Personne ne pourra la croire, quoi qu'elle dise. Nous devons y aller maintenant, je pense qu'Amy a besoin de repos. Bonne nuit à tous.

Obéissante, sa femme se leva, heureuse de quitter cette atmosphère pesante et le couple sortit de la pièce.

— Grand-père, je suis désolé, mais Omnès, l’enquêteur, m'a pris par surprise, s'excusa Lukian.

— Mathias ? C'était l'un des meilleurs, quel gâchis. Tu vois Roselyne dans quelle situation il nous met ! s'énerva Richard en direction du fond de la pièce.

Assise au petit salon, une femme se retourna et s'approcha de l'assemblée. Ses cheveux roux étaient comme embrasés par la lumière du gigantesque lustre au-dessus d'eux et sa longue robe noire, ne faisait qu'accentuer cet effet visuel.

— Au moins Richard, tu ne pourras pas m'accuser d'avoir été une mère trop tendre. Pour la défense de Lukian, j'ai moi aussi était mise en déroute par cette Maïwenn, tout comme tes deux petites filles d'ailleurs.

Attablées, les intéressées se regardèrent puis lancèrent un regard timide à leur grand-père. Elles avaient omis de lui parler de leur mésaventure et c’est Roselyne qui fit alors le récit de leur rencontre malheureuse avec Maïwenn.

— Ce que tu me dis est impossible. Personne ne peut faire cela, dit-il incrédule.

— Elle, elle le peut.

Le visage de Richard, habituellement imperturbable, devint livide. Il se leva sans rien ajouter et se dirigea vers le hall.

— Ton fils veut prouver l’innocence de Pierre, mais tu sais que c’est impossible. Pierre a tué ou commandité le meurtre de mon frère. Empêche Mathias d'agir, je ne voudrais pas qu'il mette le doigt sur des choses passées et qui doivent le rester. Mes petites filles... Et Lukian, je veux tout savoir sur cette Maïwenn, son histoire, sa famille, ses fréquentations, tout, ordonna-t-il.

Il quitta ensuite la pièce, laissant ses occupants à leurs spéculations sur Maïwenn pendant qu’il empruntait le grand escalier le menant à sa chambre.

Dans leur lit, Rose, son épouse, l'attendait. Elle était légèrement plus âgée que lui, mais avait gardé sa coquetterie d'autrefois et mettait un point d’honneur à ce que ses cheveux soient toujours impeccablement serrés dans un chignon. De petite taille, qu'elle compensait par un fort caractère, elle s'était imposée auprès de sa famille comme le modèle à suivre.

Ce soir-là, elle n'avait pas souhaité attendre le retour de son petit-fils. Elle n'avait aucune confiance en lui et le traitait sans complexe de lavette. Pour elle, son fils, Patrick, était la seule personne capable de les sauver.

— Alors ? Je suppose que ton imbécile de petit-fils a lamentablement échoué, lança-t-elle.

— Oui. Mais il y a plus grave.

— Ah bon, est-ce possible ? Tu as l'opportunité de devenir notre chef et Lukian n'est même pas capable d'impressionner une petite sotte !

— Cette petite sotte comme tu dis peut reprendre le contrôle de ses rêves et en chasser les Guides. Qu'est-ce que tu penses de ça ?

— Tu en es sûr ? insista Rose en se redressant dans le lit. Si cela se révèle vrai…

— Il faudra se débarrasser de cette fille, je sais, conclut son époux.

 

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Den ar vilin
Posté le 18/06/2024
Salut, c'est encore moi x)
Cette partie de ton écrit nous permet de faire la connaissance de Richard. On ne le connait pas très bien mais on a déjà envie de le frapper, et sa femme aussi d'ailleurs.
Sinon, petit coquille : "Elle reconnuT immédiatement la voix de Mathias et couruT" à la 3e personne du singulier conjugué au passé simple.
J'ai hâte de lire la suite !
À bientôt !
Portequigrince
Posté le 16/07/2024
Re bonjour! :-)
Merci pour la correction, c'est fait!
Richard et sa femme font leur apparition ici mais effectivement, ils vont avoir leur importance!
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