Des chiffres et des lettres

Par Bleiz
Notes de l’auteur : J'ai hâte d'avoir vos impressions sur ce chapitre qui révèle l'existence d'un nouveau personnage :) Bonne lecture !

Lecteurs, il est 21 heures. Je suis rentrée. Je vais vous dépeindre, action par action, ce qui s’est passé. Peut-être que ça m’aidera aussi à réaliser, parce que je ne parviens pas à traiter toutes les informations en ce moment. 

D’abord, je n’ai échappé à ma mère que de peu. Genre, très très peu. Peu comme les portes du métro qui se referment et la silhouette familière qui brandit du poing en s’écriant « Sale gamine, reviens ici ! » qui s’évanouit rapidement. Un changement quelques stations plus tard et je saute dans la ligne 2. En dix minutes à peine, je suis arrivée à destination. 

En face des portes, que vois-je ? Non, pas un individu suspect avec des dents trop longues pour être honnêtes, mais les horaires d’ouvertures. L’imbécile m’a convoqué une petite, ridicule heure avant que ça ferme ! Certes, ce n’est pas comme si je souhaitais m’y attarder, mais si je dois négocier son silence, ça va me compliquer la tâche. Maître-chanteur de pacotille, va. Un bref regard à mon téléphone m’a avertie que j’étais en avance de quelques minutes et que ma mère avait prévu de me réduire à moins que néant quand je rentrerai à la maison.

Il y a quelque chose d’inquiétant à attendre un ennemi, une potentielle menace, devant un cimetière. Surtout quand on ne connait rien de lui. Mais vous me connaissez lecteurs, je ne suis pas une poule mouillée. Ingrid Karlsen ne cède pas aussi facilement à la peur ! Même quand elle doit pénétrer dans un parc rempli de gens morts sur lesquels elle va devoir marcher parce que les gens ont trouvé que c’était une bonne idée de les mettre là. Mmmm. 

Sans me donner l’occasion de revenir sur ma décision, j’avançai d’un pas décidé dans le cimetière. 

Mes illusions de labyrinthe aux mort-vivants s’évanouirent dès que je franchis la barrière. Certes, il faisait sombre. Mais comment aurais-je pu ressentir de l’effroi dans un endroit pareil ? 

Le soleil se couchait lentement derrière les arbres et teintait de rose et d’orange les dernières minutes du jour. Les ombres s’étendaient sous mes pieds et la pierre des mausolées se retrouvait colorée de tons pastel. Les tombes étaient larges et pâles, espacées. Des chemins se dessinaient entre les allées blanches de poussière. Mes craintes occultes disparurent.

Je me mis lentement en marche, tenant d’enjamber les petites poussières flottantes dans la lumière. Le silence des lieux était saisissant et une part de moi se sentait presque mal de le troubler. Pourtant, à travers mon ébahissement, la raison de ma présence ici me revint brutalement en mémoire. Les frissons que m’avaient arraché l’air frais disparurent en un éclair, remplacé par de la rage. Comment allais-je pouvoir retrouver l’expéditeur de cette lettre alambiquée ? Les rimes ne valent pas qu’on leur sacrifie autant d’informations, surtout dans des situations pareilles !

J’errai, faute de mieux. Je ressassais chaque mot du message, cherchant un indice. En effet, le corbeau m’avait indiqué le cimetière. Mais c’est qu’il est vaste ! Et je refusais de m’y perdre ! Vadrouiller entre les tombes des grands esprits de ce monde à la nuit tombé, ce n’était pas ma tasse de thé. Je marchai encore un peu, mais aucune silhouette effrayante ou menaçante n’apparut dans mon champ de vision. De plus en plus décontenancée, je fis demi-tour et me rendis aux portes du cimetière. Personne.

 « Suis-je arrivée trop tard ? Est-ce un piège ? Va-t-on me dénoncer ? » Dénoncer à qui, je vous le demande ! À ma connaissance, il n’y a pas de Cour Suprême de la Prophétie. Mais il est vrai que nous vivons des temps étranges ; qui sait ce qui se passe au-delà de mes connaissances ? Mais je digresse. Je me tenais donc dans l’entrée du cimetière, les mains enfouis dans mes poches, restant aussi droite que possible sans me prendre gifle sur gifle par le vent -ce qui n’était pas un tâche aisée.

—Pythie ? 

Je me tournai brusquement. Celui qui m’avait interpellée se tenait derrière moi et ses paroles avaient eu un étrange écho dans cet espace désert. Mais déjà, je sentais la peur me quitter car la voix était jeune. Jeune comme moi.

—Bonsoir, c’est bien moi, en effet. À qui ai-je l’honneur ?

C’était un garçon, d’après son allure. Une allure banale par ailleurs : jean, baskets, hoodie bleu dont la capuche cachait son visage. Sans attendre de réponse, je me rapprochai à grands pas : un peu plus petit que moi, grassouillet. Une bouille un peu ronde, des cheveux blonds raides qui effleuraient ses épaules, des yeux bleus... On était loin du vampire aux yeux rubis et au dangereux dentier. Toutefois, ma surprise était plus grande que s’il avait été un meurtrier aux dents longues et à la peau brillante. Nos regards se croisèrent et je sus, à cet instant précis, que je l’avais reconnu.

—Tristan ? glapis-je avec effroi.

—Salut Ingrid.

Lecteurs, c’est pire que tout. Comment vous expliquer ? Commençons de façon classique : par un arbre généalogique. Mon père, Charles, s’est marié à ma mère, Rose. Rose a une sœur, Marguerite. Je suis aussi horrifiée que vous par les goûts bucoliques de mes grands-parents en matière de noms, mais restons concentrés, voulez-vous. Cette sœur Marguerite a un fils. Vos sourcils se lèvent, vos yeux s’écarquillent, votre mâchoire pendouille dans le vide. Oui ! Son fils, c’est Tristan ! Mon ignoble cousin ! 

—Espèce de saleté ! Tu m’as traînée jusqu’ici au milieu de la nuit ! m’écriai-je en brandissant le poing. Tu pouvais pas m’appeler, comme une personne civilisée ? 

—Tu m’aurais pas répondu ! Ne fais pas semblant, Ingrid, dit-il en levant les yeux au ciel. On sait très bien, toi et moi, que tu m’aurais ignoré.

—Bien sûr que je t’aurais ignoré, et pour cause ! Regarde où ça me mène, de parler avec toi ! Je m’attendais à un psychopathe, avec ta lettre à la noix.

—Mes vers sont très bien ! protesta-t-il. Même Tante Rose les aime bien. Et je te rappelle que j’ai gagné un prix grâce à eux le mois dernier.

Ah oui, j’oubliais. Je ne suis pas le seul génie de la famille. Le seul qui compte, ça c’est certain, mais il y a Tristan aussi. Mon opposé complet ! Mon cerveau se passionne pour les maths et le sien pour la littérature. Apparemment, il est doué. Il aurait gagné plusieurs compétitions d’écriture et son expertise de romans lui a valu d’avoir des articles publiés dans des journaux, d’après ma mère. Mais qui s’en soucie ? Personne ! C’est pour ça que je suis célèbre et pas lui ! Sauf que monsieur se refuse à voir la vérité en face. Selon lui, être connu n'est pas un objectif en soi, la richesse n’est qu’un trompe-l’œil dans ce monde où le sens se perd derrière les possessions matérielles, et patati et patata. Cependant, ce n’est pas le pire. Tristan a lu tellement de romans, de poésie et je-ne-sais-quoi, qu’il s’est forgé une philosophie bien particulière du monde. Tenez-vous bien, lecteurs, parce que c’est du lourd : il adhère au code de la chevalerie. Vous vous rendez compte un peu ? Au XXIème siècle ! Il est complètement barré, un fou dangereux ! Pas étonnant qu’on se parle à peine.

—Pourquoi est-ce que tu m’as fait venir ici ? Dis-moi ce que tu veux.

—Pas ici. Ses yeux balayaient les alentours. Il fit une pause avant de chuchoter : Je ne pense pas que tu veuilles vraiment qu’on discute de... ce que tu sais, ici.

Saleté. Il avait raison. Je me retins de le fusiller du regard en lui demandant de mon ton le plus poli :

—Où, alors ?

—Dans le cimetière. Je connais un endroit, personne ne nous entendra. 

Au temps pour moi, j’étais pleine de préjugés sur les vampires. Il allait peut-être se révéler un serial-killer buveur de sang dans les minutes à venir. Il dut sentir ma réticence car il souffla :

—Je connais le Père Lachaise comme ma poche. De plus, tu n’as pas à t’inquiéter, je ne te laisserai pas t’égarer. 

Je plissai le nez, méfiante mais convaincue. Il n’était pas du genre à mentir, dans mes souvenirs. Je levais les mains en l’air, en signe d’abandon, et entreprit de le suivre en raclant des pieds. Enfin, pas trop : je m’en serais voulu de réveiller un zombie en pleine grasse matinée. Finalement, il s’arrêta devant un petit enclos, près d’un mur, où trônaient deux tombes surélevées.

—Tu nous présentes ? dis-je en observant les pierres tombales d’un œil circonspect.

—La dernière demeure de La Fontaine et de Molière. Rassure-toi, ils ne sortent presque jamais. 

Sans plus s’étendre sur la question, il s’accrocha aux flèches de fer, y grimpa et atterrit de l’autre côté avec une dextérité étonnante avant de chuchoter :

—Tu me suis ? 

Avec moult grimaces, j’escaladai le grillage et retombai avec moins de délicatesse que lui. 

—C’est pour ça que tu m’as trainé ici à la tombée du jour ? Pour qu’on se cache en dessous des tombeaux des gugusses qui t’ont inspiré ton poème de Sphinx à deux balles ? En toute illégalité en plus ? grinçai-je en le foudroyant de derrière mes lunettes.

Il eut la bonne grâce de rougir mais rétorqua :

—Ça me fait mal d’entendre ça de ta part ! 

Touché, mais hors de question que je le reconnaisse. Je haussai les épaules avec dédain et me détournai. J’époussetai avec nonchalance la terre sur mes chevilles tandis que Tristan s’exclamait :

—À présent, tout est fini pour toi !

—Ah oui, vraiment ?

—Oui. Car si tu n’avoues pas de toi-même que ton don n’est qu’un canular, je serai celui qui te livrera à la justice.

—Je vois. Et tu serais suffisamment bon pour me laisser une chance de m’en sortir avec dignité ?

—Oui. Tout le monde mérite une seconde chance.

—Comme c’est noble de ta part !

Avec le recul, je comprends mieux pourquoi Maman ne parle à sa sœur qu’à petites doses. Si elle ressemble un tant soit peu à son fils, passer du temps avec elle doit être aussi sympathique que de prendre un bain au fond de la Seine avec des chaussons de béton. Il était là, à me dévisager de ses yeux ronds et ses joues rouges. Il ressemblait à un mime en proie à une crise cardiaque. Quoi, ça va, c’est pas méchant ! C’est la famille ! Si on peut plus casser du sucre sur le dos des siens, maintenant… Enfin. Quelques que soient ses espérances, il pouvait se brosser. Hors de question que je me saborde ! Je tournai le buste afin de montrer que tout ce qu’il dirait serait inutile. Mais cela ne l’arrêta pas. Le pauvre corbeau se mit à monologuer quelque chose du genre :

—Je sais que tu n’es pas une vraie prophète... Comment as-tu pu faire ça... Tu as dupé des gens qui te font confiance à présent, ça te fait quoi de savoir ça... Oh, si seulement j’avais ton talent, alors je n’aurais pas besoin de me rassurer en te faisant la morale...

OK, j’avoue, la dernière partie c’est moi qui l’ai rajouté, mais que le grand Cric me croque s’il n’y a pas un fond de vérité là-dedans ! Plus il parlait et moins je parvenais à me concentrer sur ce qu’il racontait. Je sentais juste le froid de la pierre sous mes fesses, le vent qui s’accrochait à mes chevilles et l’heure qui tournait. Je décidai de couper court à son sermon :

—Qu’est-ce que tu veux en fin de compte ? Que je confesse au monde que je leur ai menti et que je me suis fait une montagne d’argent grâce à leur crédulité ?

—Ce serait l’idéal, oui, souffla-t-il en me regardant droit dans les yeux.

Je vous l’avais dit. Un gros naze ! Je manquai d’esclaffer de rire. Il restait donc des gens comme lui dans ce bas monde ! Ç’en était presque rafraichissant. Je décidai, presque à regret, de briser ses illusions. C’était lui rendre service : à notre âge, il est un peu tard pour croire à ce genre de choses, vous ne trouvez pas ?

—Si tu crois une seule seconde que c’est ce qui va se passer, tu te fourres le doigt dans l’œil jusqu’au coude. Tu sais quoi ? Aujourd’hui, c’est jour de bonté, je vais t’apprendre quelque chose : toi, tu t’imagines que je vais suivre tes ordres parce que je suis effrayée ou, mieux encore ! parce que tout au fond de mon petit cœur, il y a un fond d’honnêteté et de morale qui ne demande qu’à remonter à la surface. Sauf que non ! Ça marche pas comme ça ! Ni moi, ni le reste du monde ! OK, j’ai menti. Et alors ? Mes prophéties, elles, sont réelles. Il n’y en a pas une seule qui ne s’est pas réalisée. On est d’accord jusque-là ? Et les conséquences de mes prophéties sont réelles aussi ! Et elles sont toutes positives ! Personne n’a rien trouvé à redire là-dessus. Pourquoi ? Parce que tout le monde s’en tape que ce soit vrai ou faux. Les gens veulent y croire et tant que je leur donnerai ce qu’ils veulent, c’est-à-dire des « preuves » de mon pouvoir, ils refuseront de remettre mon talent en doute. Ils refuseront de renier l’existence de Pythie. C’est ça, la vérité, Tristan. Alors peut-être que toi, qui est mieux que nous autres avec tes principes, ça ne te plaît pas ; mais ce ne sont pas nos affaires. 

Ma tirade eut autant d’effet sur lui que la sienne avait eu sur moi. Il se contenta de hocher la tête avant de me prévenir : 

—Ça va te retomber sur le nez un de ces jours. Je te dirai « je te l’avais bien dit », à ce moment-là. 

—C’est ça, ouais. 

—Tu ne t’es jamais demandé si ce que tu faisais était bien ? Si cette folie des grandeurs dont tu es prise valait la peine de mentir aux autres, de les faire souffrir ? insista-t-il en écarquillant des yeux incrédules.

—Jamais. 

Mensonge éhonté s’il en est, certes, mais il me prenait déjà pour une sorcière, je n’avais pas de raison d’essayer de créer un lien de confiance avec lui. Afin de le distraire de ce sujet qui commençait sérieusement à me peser, je lançai :

—Comment tu as su que je mentais ? Quelqu’un a vendu la mèche ? 

—J’ai deviné tout seul.

—Alors ça, ça m’étonnerait ! me récriai-je. Je n’ai jamais révélé le moindre indice, j’ai toujours fait attention. Et c’est moi qu’on me traite de menteuse ? dis-je en prenant Molière à témoin.

Il n’y avait que deux solutions possibles. La première était que ma mère s’était rabibochée avec Marguerite et lui avait tout raconté. Impossible. Une sombre histoire de prêt de voiture et de pare-chocs embouti avait à jamais coupé la communication entre elles il y a quatre mois. L’autre option, c’est qu’il m’avait espionné grâce à un lien intrafamilial psychique dont j’ignorais l’existence… Mes théories s’envolèrent quand il lâcha :

—Non. Je t’ai juste écoutée.

—Pardon ? dis-je en clignant des yeux. Qu’est-ce que tu veux dire par là ?

—Tes mots, Ingrid. Ils t’ont trahi. Tu les employais au hasard, tu ne faisais pas attention à eux. 

—Qu’est-ce que ce nouveau délire. C’est ma façon de parler qui t’a fait comprendre que je mentais ?

Il hocha vigoureusement la tête avant d’enchaîner :

—Tu insistais sur ton surnom de Pythie mais évitais les mots voyante et prophétesse. Devineresse, ça passait, sans doute parce que tu devines réellement ce qui va arriver. Tu restais toujours très vague sur la façon dont t’arrivaient les prophéties et les messages divins. D’ordinaire, les saints et autres reçoivent leur miracles de manière brève, comme dans un éclair de clairvoyance, mais toi il te fallait des jours. Tu étais peu présente sur les réseaux sociaux et le seul compte à ton nom n’était pas géré par toi. « Voyante », « prophétie », « miracles »... Ces termes-là étaient récurrents sur cette plateforme. J’en ai donc déduit que d’un, ce n’était pas toi qui étais aux commandes, et de deux, tu ne t’étais pas confié à ton agent. Cela aurait pu être un manque de scrupules de sa part, certes, mais c’était peu probable. Donc, tu cachais quelque chose qui te mettait mal à l’aise au point de ne pas en parler avec ton plus proche allié... Ça ne pouvait être qu’un mensonge. Et puis, tu ne te ralliais à aucune religion. Sans parler des prix astronomiques que tu infliges à tes clients...

—Ça reste un business, hein.

—Oui, certes... enfin, voilà quoi. On aurait pu s’attendre à une autre attitude de la part d’une devineresse qui communique avec les dieux et reçoit régulièrement des prophéties. Et puis, pardon, mais bon, ajouta-t-il en haussant les épaules. Tu restes ma cousine. Si tu avais ce genre de capacité, tu t’en serais vantée tellement vite que ta couverture aurait craqué avant l’âge de quatre ans.

J’en restai bouche bée. Pardonnez mon langage, lecteurs, m’enfin avouez que c’est le genre d’annonce qui vous coupe la chique ! Ce naze en bleu, ce Schtroumpf-nerd de littérature qui m’avait menacé à coups d’alexandrins m’avait percé à jour... à cause de l’emploi de mon vocabulaire ?! Si ça n’avait pas été aussi absurde, j’en aurais pleuré. Tout à coup, je réalisai quelque chose :

—Mais dis-moi... tu as compris tout ça juste en m’écoutant parler, rien d’autre ? 

Nouveau mouvement de tête affirmatif. Le sot.

—Donc tu n’as aucune preuve ? 

—Je ne dirais pas ça.

—Tristan Fournier, arrête de me faire tourner en bourrique et crache le morceau, grinçai-je en enfonçant mes poings dans mes poches, de peur de l’étrangler. 

—Disons que je suis le fils unique d’une mère aimante et soucieuse du bien-être de son enfant. Comme toutes les mères… comme la tienne. Il pourrait me prendre l’envie de discuter avec maman et de la convaincre qu’après tout, cette Toyota ne vaut pas la peine de couper les ponts avec sa seule sœur. Tante Rose accepterait de la revoir, car elle a bon fond et qu’elle m’aime bien. Là, Maman et elle pourraient discuter à tête reposée de ton plan… Tu sais aussi bien que moi où ça mènerait.

Je retins un cri d’horreur. Tragédie et désespoir, il m’avait eu ! Lecteurs, vous ne comprenez pas. Ma mère et sa sœur sont comme les deux doigts de la main : certes, elles promettent régulièrement de ne plus jamais s’adresser la parole, mais elles finissent toujours par craquer. C’est bien simple, elles s’aiment mais elles ne se supportent pas. Or, chacune de leurs retrouvailles créent des effusions et des décisions à chaud. Une fois, elles sont parties au Mexique ensemble, sans crier gare, nous laissant tous derrière. C’est simple : ensemble, elles sont excessivement joyeuses. Pire encore : ensemble, elles deviennent... raisonnables.

Sauf que mon plan n’a rien de raisonnable ! Si elles se rabibochaient maintenant, je pouvais dire adieu à la gloire et à la fortune ! Pour sûr, tout s’écroulerait. Tristan me porta alors le coup de grâce :

—Si jamais ça ne suffisait pas, un simple détour par ta chambre me permettrait de trouver toutes les preuves dont j’aurais besoin. Te connaissant, il doit y avoir des feuilles de calcul partout. Mieux : je pourrais filmer. Internet s’en donnerait à cœur joie !

Je ne pouvais pas le laisser faire ça. Ma vie en dépendait. C’est alors que, sans crier gare, le visage de Froitaut me traversa l’esprit. Je savais depuis le début qu’il avait des réticences concernant mon plan, pourtant il a toujours gardé le silence. Que ferait-il à ma place ? Que ferait-il si la vérité venait à voir le jour et que je devais faire face aux conséquences ? Me laisserait il tomber ? S’il pensait que c’était pour le mieux... Je repoussai cette hypothèse. Ce genre d’idée est inutile. D’autant plus dans cette situation ! Je fis de mon mieux pour reprendre contenance.  

—Et maintenant ? demandai-je. Qu’est-ce que tu comptes faire ? 

Il dansa d’un pied sur l’autre pendant un moment, les sourcils froncés. Il répondit finalement :

—Je vais te garder à l’œil.

—Pardon ? m’écriai-je en me jetant sur mes pieds. Non, on s’est mal compris. Les deux options qui s’offrent à toi sont : tu révèles la vérité à qui voudra bien t’entendre, et ils ne seront pas nombreux, tu peux me croire ; soit tu la fermes et tu emportes mon secret dans la tombe ! Y a pas de « je vais te garder à l’œil nia nia nia » ! Tu t’es pris pour quoi, la police ?

—Pas besoin d’être la police pour faire régner la justice. Regarde Batman. Mais je ne te dénoncerai pas : il vaudrait mieux pour tout le monde que tu avoues tout de toi-même.

Ma panique retomba d’un coup, tant j’étais interdite.

—Quoi ?

—Tu as un grand talent qui pourrait bénéficier beaucoup de gens. En reconnaissant publiquement tes torts, tu pourras afficher tes dons de mathématicienne sans tromper le monde. Et en attendant que tu comprennes que c’est la chose à faire, je resterai à tes côtés.

—Je préfère encore que tu me balances aux médias.

—Impossible. Ça doit venir de toi.

Je m’étais trompée sur toute la ligne. Ce n’était ni un vampire, ni un corbeau ordinaire : c’était un sale gosse qui se prenait pour un héros. Une plaie vivante ! Un membre de ma famille quoi. Et qui voulait me ramener sur le droit chemin ! Je rêvais de lui faire ravaler cet air faussement modeste de sa face de lune. 

J’inspirai profondément. Il me fallait analyser la situation avant de faire quoique ce soit, comme, un exemple au hasard, assassiner mon cousin. Nous étions seuls, le cimetière allait bientôt fermer. Tristan avait deviné mon secret et avait un moyen de pression pour me forcer à avouer. Problème : je n’en avais aucunement l’intention. Surtout pas quand je venais juste d’avoir l’idée de ma Quête…

Mais oui, bien sûr ! La voilà ma solution ! Lecteurs, laissez-moi vous offrir ce conseil : gardez vos amis près de vous, et vos ennemis encore plus près. Observez :

—Tristan, tu as déjà rêvé de sauver le monde ?

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Fractale
Posté le 08/05/2024
Je ne m'attendais pas à ce que le corbeau soit un membre de sa famille !

J'avoue que Tristan m'a donné l'impression de sortir de nulle part, peut-être aurait-il pu être mentionné plus tôt, pas forcément en parlant de lui en détail mais juste en évoquant son existence ? Ca permettrait de partager la surprise d'Ingrid au lieu de se demander qui il peut bien être.

En tout cas, j'ai bien aimé la façon dont tu l'as construit ! Il semble en effet opposé à Ingrid dans de nombreux domaines, à la fois beaucoup plus naïf qu'elle (je parie qu'il va tomber dans le panneau de son "tu veux sauver le monde ?", peut-être après une période de doute ou de méfiance) et bien plus lucide sur les conséquences émotionnelles de ce dans quoi elle se lance.
Il a l'air assez particulier comme gamin, le coup du "jour du couchant" ne m'étonne plus du tout maintenant que je sais qui il est : balancer des indications super vagues en sacrifiant la clarté à la rime, ça m'a l'air tout à fait dans son caractère ! Ca ne m'aurait pas étonnée qu'il compte sur les liens de l'amour et la force de la famille pour guider Ingrid jusqu'à lui (OK, OK, je caricature).
J'ai été impressionnée par la façon dont il a démasqué Ingrid, en se fiant simplement aux mots qu'elle prononce et ne prononce pas. Ca colle à son personnage et c'est cohérent puisqu'il la connaît depuis longtemps…

Ingrid, elle, m'a l'air beaucoup plus enfantine dans ce chapitre. Très nerveuse au début, et sa façon de partir au quart de tour au début de la discussion... Je l'aurais imaginée plus prudente, niant jusqu'à être certaine qu'il sache réellement quelque chose. J'ai même pensé un moment que Tristan n'était sûr de rien et qu'il voulait simplement l'accuser pour voir sa réaction.
Son cynisme n'a pas disparu mais elle m'a semblé beaucoup moins réfléchie dans sa rencontre avec Tristan qu'elle ne l'est au quotidien. Après ça vient sans doute du fait qu'il n'est pas n'importe qui…

Hâte de voir ce qu'elle lui réserve en tout cas ! Une place dans sa Quête ?
Bleiz
Posté le 18/05/2024
Tristan et Ingrid ont cette relation un peu bizarre de cousins très semblables et en même temps très différents et qui, du coup, ont du mal à s'apprécier tout en restant toujours dans les parages l'un de l'autre. Le fait que le corbeau soit son cousin la rend d'autant plus enfantine dans son comportement. Encore merci pour ton commentaire !
Miss Olivier
Posté le 23/04/2024
Bonsoir, une petite question: pourquoi avoir choisi "Bleiz" comme nom d'auteur ? et pourquoi est-il marqué "vive pa" sur la couverture du livre ? Je sais, je suis curieuse... Si vous ne souhaitez pas me le dire, ce n'est pas grave, hein ! C'est juste une question comme ça :)
Bleiz
Posté le 24/04/2024
Bonsoir, pas de souci, toute question est la bienvenue ! Bleiz est le mot breton pour dire "loup", qui est proche de mon vrai nom ; la culture bretonne et son vocabulaire va avoir une grosse importance dans la saga que je prépare, donc ça me semblait logique d'avoir mon pseudo refléter ça. Pour le Vive PA, eh bien il me fallait une couverture pour cette histoire et j'avais un espace vie à remplir, donc autant célébrer ce site qui me permet de partager mes histoires et de discuter avec plein d'autres auteurs, comme toi :)
Benebooks
Posté le 12/03/2024
Tiens mais, si mes souvenirs sont bons... ils n'étaient pas cousins à la base ? C'était juste un gamin chelou XD je trouve cette version plus intéressante et plus crédible. C'est vrai que les membres de sa famille, on les connait bien...
Bleiz
Posté le 12/03/2024
Coucou Bene, non non tu te souviens bien, à la base c'était effectivement juste un gamin chelou, comme tu dis si bien xD Quelqu'un dans les commentaires avait suggéré d'en faire un membre de sa famille et en effet, je trouve que ça marche plutôt bien ! Ça rend sa découverte de la situation plus convaincante aussi (enfin, selon moi).
Elly
Posté le 29/08/2023
Bonjour !

Ah ! C’est donc un membre de sa famille, le maître chanteur. Je voyais mal ses parents ou son frère vendre la mèche comme ça, mais si son cousin est un génie littéraire qui l’a connaît depuis l’enfance, on peut comprendre qu’il ait deviné ! D’ailleurs, j’adore le fait que tristan soit son opposé complet, autant en terme de compétences qu’en terme de personnalité. Dans le fond, je trouve que les deux ont raison. Ingrid a peut être une vision un peu immorale, mais elle est réaliste. A l’inverse, la vision de tristan est juste mais un peu utopique. Digne d’un super hero qui jure que par le bien, sauf que dans la vie, les gens n’ont pas toujours de scrupules à obtenir ce qu’ils veulent. Je me demande comment leur potentielle futur collaboration va se dérouler !
Bleiz
Posté le 16/09/2023
Bonjour,

Merci pour ton commentaire ! En effet, ils sont de la même famille mais radicalement opposés dans leurs visions du monde... et en même très proches par mille petits points communs. Ça promet des étincelles!
blairelle
Posté le 25/08/2023
Personnellement je trouve Tristan assez crédible, pour l'instant en tout cas. Le cousin honnête dans le rôle du preux chevalier (ou du barde vu qu'il est poète ?), Ingrid, Charlotte et François, et le professeur Froitaut comme vieux maître magicien ?
Sinon, j'attends toujours que les parents d'Ingrid / son prof la traîne de force chez le médecin pour lui faire un arrêt de travail, puis porte plainte contre ses compagnies pour exploitation infantile. Et je pense que le chevalier éperdu de justice (Tristan) pourrait être le déclencheur et mettre les points sur les i aux parents d'Ingrid. (Oui je reste focus sur les droits des enfants et des salariés, je sais je passe probablement complètement à côté de l'intrigue principale)
Bleiz
Posté le 25/08/2023
Les héros ne sont pas encore choisis ! Ingrid est loin d'être décidée, et comme elle aime être seule maître à bord, qui sait qui elle va choisir... (suspense, suspense)
Alors pour sa fatigue, c'est vrai qu'elle commence à en avoir marre, mais c'est aussi une drama queen x) Les parents d'Ingrid font attention à leur fille en vrai, il y avait un chapitre dans la première version (toujours disponible) où la mère d'Ingrid a une grande conversation avec elle par rapport à ses ambitions que j'ai enlevé dans la réécriture, mais je rajouterai peut-être une version raccourcie si ce point n'est pas clair.
blairelle
Posté le 26/08/2023
Ah d'accord pour le côté drama queen, c'est vrai que si elle exagère dans son journal, probablement que ça ne se voit pas (ou pas trop) de l'extérieur. Bon il faudra que j'aille voir l'ancienne version alors !
Ava
Posté le 19/08/2023
Je dois le dire : J'ADORE!
La première partie est vraiment bien écrite, on ressent l'angoisse d'Ingrid sans qu'elle même ait conscience de son angoisse. Le personnage de Tristan est très intéressant et promet beaucoup. Ingrid est toujours fidèle à elle-même : en recherche de son propre intérêt en toute circonstance. Vraiment ce chapitre est très bien écrit et promets beaucoup.
Seule petite chose : parler du dentier du vampire me parait étrange. On dirait qu'il porte de fausse dent. Peut-être le mont dentition serait plus approprié?
Bleiz
Posté le 20/08/2023
Merci ! Je suis ravie que ça te plaise autant :) Et merci pour la suggestion, je vais y réfléchir.
À bientôt !
Vous lisez