Des contenus très précieux

Par Isapass

Des contenus très précieux

 

Teddy n’avait pas du tout envie de rire. Ça lui arrivait rarement, surtout depuis qu’il avait rencontré Livingstone, le meilleur copain qu’il ait jamais eu, mais tous ces grands qui avaient émergé de la mine lui avaient rappelé de très vieux numshots de guerres terriennes prégalactiques sur lesquels il était tombé dans les cours d’un de ses frères. Des périodes où des hommes avaient fait beaucoup de mal à d’autres.

Les hikers étaient sales, ils sentaient très mauvais, certains avaient même l’air un peu fous. S’il avait écouté sa première envie, il serait resté loin d’eux pour ne plus voir leurs yeux, pour ne plus devoir se retenir de pleurer. Pourtant il savait bien que ce n’était pas de leur faute, s’ils étaient dans cet état. Il avait entendu Oxan raconter que Billie aussi était comme ça quand elle s’était échappée, et il aimait beaucoup Billie même s’il ne comprenait pas toujours ce qu’elle disait. Alors il avait ravalé ses larmes, il leur avait tendu la main pour les aider à escalader les derniers barreaux et leur avait souri, en ajoutant un gentil bonjour chaque fois que sa gorge se desserrait suffisamment. Quelques-uns lui avaient répondu, et il s’était senti mieux.

Une petite voix lui disait que ses parents seraient fiers de lui. Peut-être pas de sa participation à l’évasion des hors-mondes, par contre. Ils ne seraient sans doute pas très contents d’apprendre qu’il était mêlé à quelque chose de dangereux. Mais bon, il était là maintenant, à marcher dans les bois vers les hangars. Il faisait attention à ne pas perdre de vue ceux du commando, parce qu’au milieu d’un groupe pareil, il aurait pu s’égarer en un rien de temps. Selon Livingstone qui les avait comptés, quatre cent douze hikers étaient sortis de la prison souterraine ! Heureusement, les trois adultes étaient faciles à repérer, même dans l’obscurité.

Lorsqu’ils atteignirent la plaine où s’alignaient les hangars à perte de vue, Diego poussa les Sailor vers l’un des premiers bâtiments en leur disant qu’il allait revenir quand tout le monde serait à l’abri. De l’intérieur, l’endroit paraissait beaucoup plus grand que de dehors. Sur d’immenses étagères grimpant jusqu’au plafond s’alignaient des milliers d’objets de tailles et de formes variées, tous équipées d’écrans et de LED et constituées d’une matière blanche que Teddy reconnut comme étant du végéplastique. Il avait quelques jouets, les plus solides, fabriqués dans la même matière. Un petit robot, par exemple, qui le suivait partout, exécutait des sauts périlleux et discutait avec lui — uniquement de choses très simples, ce n’était qu’un jouet. Tout à coup, Teddy comprit ce qu’étaient justement les objets stockés là : des robots !

– Alors c’était ça les soi-disant « contenus très précieux » ? lança Ulys.

– Ben c’est vrai pour les Stadiens, répondit un des hikers — celui qui s’appelait Runner — en entrant derrière Diego et Karl. Y les vendent partout dans la galaxie, c’est comme ça qu’y gagnent leur fric. Pourquoi vous croyez qu’y nous font trimer ?

Une vingtaine d’adolescents parmi les plus âgés le suivirent à l’intérieur tandis que Karl déposait sur le sol le corps toujours inconscient de Waï Jay. Diego avait dû leur demander de participer au commando. Le géant leur expliqua en quelques mots la situation de l’équipage.

– Nous n’avons qu’une seule arme, alors il va falloir ruser. Si l’un de vous a une idée pour nous aider, elle sera bienvenue, conclut-il avec un soupir.

Il lança un regard à Karl — le même que Teddy adressait à ses copains d’école quand il oubliait sa leçon — puis frotta nerveusement son crâne entre les rangées de pointes.

– On va trouver, marmonna l’homme-tuyaux.

Teddy contemplait toujours les milliers de machines qui dormaient sur leurs rayonnages. Quel bazar ce serait, si elles se mettaient toutes en marche en même temps !

– On a qu’à les attaquer avec les robots ! s’écria-t-il.

Ulys haussa les épaules, Oxan laissa échapper un rire, mais derrière eux les hikers le dévisageaient très sérieusement.

– Ça peut, dit enfin Runner à la grande joie de Teddy. Pas une vraie attaque, mais pour faire griller le périmètre de sécurité. Plusieurs centaines en même temps contre le champ de force, hop ! surcharge.

– Mais ils ont pas d’implant, ni de bracelet, argua Tan.

– L’bornes y réagissent ‘vec leurs composants, expliqua Billie.

– Ça résoudrait ce problème, approuva Diego. Mais il restera les cybersoldiers.

– Ceux-là, on les connaît pas, dit Runner. Les engins ménagers, agricoles et les autres, on est devenus incollables à force de les fabriquer et de les réparer, mais y nous ont jamais fait bosser sur ces modèles.

– Vany ! appela soudain Billie. L’a pas un moyen qu’y z’écoutent tous ?

Une jeune fille aux cheveux très longs sortit des rangs des hikers.

– Si, y a un code pour les commander à distance à partir des terminaux fixés sur les antennes de communication. Je le connais parce que Waï Jay me faisait convoyer des lots de robots vers l’astroport, des fois, pour les expédier. Par contre, il marche pas pour les soldiers, mais y en a peut-être un autre pour eux. Il doit le savoir, lui.

Elle désignait le contremaître couché contre un rayonnage. Aussitôt, Karl se pencha pour l’attraper par sa tunique, arracha son bâillon, le redressa d’une main et lui administra une gifle de l’autre. Du coin de l’œil, Teddy vit Tan qui se raidissait. C’est vrai que Karl n’avait pas l’air commode à cet instant. Les hikers, eux, regardaient en souriant à demi, l’œil gourmand.

Après une seconde claque, le tressaillement de Waï Jay indiqua qu’il revenait à la vie. Lorsqu’il ouvrit les paupières, son visage ne montra aucun signe de peur. Soit il était très courageux, soit il dormait encore à moitié, pensa Teddy.

– Le code générique pour commander les cybersoldiers, lui souffla Karl dans la figure.

L’homme haussa les épaules avec une mine candide, ce qui lui valut une troisième gifle qui chassa sa tête vers la droite. Tan émit un hoquet et Diego ouvrit la bouche, la main suspendue dans les airs comme s’il hésitait à intervenir. Teddy n’aimait pas ça du tout ; il avait envie de se cacher les yeux.

– Crache ce code ! ordonna Karl.

Enfin, le Stadien s’éclaircit la gorge.

– Tu es en train de me demander une information qui risque de faire perdre son gagne-pain et peut-être sa liberté à tout mon peuple. Est-ce que tu crois vraiment que je vais te la donner ?

Cette fois, le bras de l’homme-tuyaux s’éleva à la verticale et son visage se contracta. Teddy ferma les yeux très fort ; ce coup-là risquait d’arracher la tête du contremaître et il ne voulait pas du tout voir ça.

– Je trouverai le code ! cria Oxan. Je… je peux le craquer !

Teddy entrouvrit une paupière. L’énorme main était figée en l’air.

– Lâche-le, dit Diego d’une voix douce. Il ne dira rien, de toute façon.

Le bras de Karl retomba le long de son corps. On entendit plusieurs soupirs, comme si une bonne partie de l’assistance avait retenu sa respiration. Un silence désagréable s’étira. Trop désagréable pour durer.

– N’empêche, lança Teddy pour meubler, c’est moi qui ai trouvé la solution, pour l’attaque des robots !

 

 

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Edouard PArle
Posté le 03/04/2023
Coucou Isa !
Bonne scène, tu instaures bien la tension quand Karl menace le WOW, c'est toujours intéressant de mettre un personnage considéré comme "bon" ou un de ses proches dans une posture morale très questionnable.
Comme les autres, j'ai bien apprécié le pdv de Teddy, qui donne un éclairage différent.
Un plaisir,
A bientôt !
Edouard PArle
Posté le 03/04/2023
J'ai oublié ma petite remarque^^
"que ce n’était pas de leur faute, s’ils étaient dans cet état." virgule en trop ?
Isapass
Posté le 05/04/2023
C'est ce que je voulais faire, en effet : montrer que même si le but poursuivi est louable, on ne peut pas utiliser n'importe quels moyens pour y parvenir. J'ai d'ailleurs sacrifié le personnage de Karl, pour ça, puisque c'est la seconde fois qu'il "dérape".
Moi aussi j'aime bien les pdv de Teddy, ça donne une vision et un ton intéressant.
Merci pour ta lecture et tes commentaires !
Laure
Posté le 12/03/2021
J'ai bien aimé avoir la perspective de Teddy aussi, c'était très vivant !

Détail : « L’bornes y réagissent « vec leurs composants » À mon avis c'est une apostrophe qui aurait dû se trouver à la place du guillemet !
Isapass
Posté le 13/03/2021
Oui, je me suis amusée avec les PDG de Teddy, ça change un peu et ça allège. Il y en a d'autres ensuite.
C'est corrigé pour les guillemets en trop ;)
Merci !
Rachael
Posté le 10/03/2021
Un chapitre du point de vue de teddy, ici c’est bien pour donner cet éclairage particulier d’un regard innocent. Et puis, c’est lui qui a l’idée de génie. La scène avec Karl et le contremaître est pleine de de tension, et comme l’assistance, on retient pas mal sa respiration, donc ça fonctionne !
Détails
Quatre cent douze hikers étaient sortis de la prison souterraine : il les a comptés ? Comment connait-il le chiffre aussi précis ?
Isapass
Posté le 11/03/2021
Désolée pour le temps de réponse, j'étais dans mon rush de corrections, mais ça y est j'ai fini. Enfin sauf d'éventuels retours sur les deux derniers chapitres, mais le principal est fait. J'ai quand même pas mal remanié les épisodes 2 et 3, ça devrait donner un peu de pêche.
Tant mieux si ça fonctionne, ici ! Et merci pour la confirmation que la scène avec Karl est tendue : je ne savais pas si j'arriverai à rendre ça.
Quant au compte exact des hikers, suite à ta remarque j'ai précisé que c'était Livingstone qui les avait comptés ;)
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