Mission évasion
Comme l’avait deviné Oxan, le commando ne rencontra aucun obstacle sur le trajet menant à la clairière de la mine, et celle-ci était déserte. Calixt se souvenait parfaitement des lieux ; au moins, cette fois, il ne risquerait pas de tomber sur Waï Jay armé de son fusil-laser puisque Karl avait laissé le contremaître sous un buisson, ligoté et bâillonné.
Des LED rouges dans les arbres révélèrent la présence d’un périmètre de sécurité au centre duquel se dressait l’étrange construction cubique qui protégeait l’entrée de la mine. À en croire le voyant qui clignotait au-dessus, l’épais battant métallique était équipé d’un verrouillage électronique. Les membres du groupe observaient les différents dispositifs en silence en se creusant la tête pour trouver comment les neutraliser. Ulys marchait de long en large en serrant convulsivement ses poings.
– On peut y aller sans vous, dit-il finalement sans conviction. On peut traverser le champ de force.
– Et comment tu ouvriras la porte ? interrogea Diego. Avec Livingstone et Karl, on peut peut-être la forcer, mais vous, vous n’y arriverez pas.
– Mais on peut s’approcher des bornes pour les désactiver, proposa Calixt.
– J’crois si qu’on débranche une, l’champ d’force y s’déclenche, intervint Billie.
Calixt observa plus attentivement les lieux.
– Il y a six lumières, donc six bornes, non ? Et on est six à ne pas porter d’implant
– Oh, j’ai compris ! s’écria Oxan. On peut les neutraliser toutes en même temps !
***
Calixt retint sa respiration en dépassant la limite du périmètre, mais rien ne se produisit. Debout sur son airscoot, il rejoignit la borne qui lui avait été assignée, puis s’éleva le long du tronc jusqu’à hauteur du boîtier. C’était presque trop simple : à côté de la LED, un interrupteur noir était positionné sur « ON ». Il leva le bras vers le point où Karl les observait à l’aide des jumelles pour indiquer qu’il était en place, puis regarda l’avancement des autres. Debout sur le second airscoot, Teddy était prêt. Ulys avait escaladé son arbre et patientait près de sa borne. Sur la pointe des pieds, Billie tâtonnait encore du bout des doigts pour trouver le bouton. Quant à Oxan et Tan, ils terminaient d’empiler du bois sous leurs cibles pour pouvoir les atteindre.
Enfin, Diego alluma le flash de son mediacom. Quand il le couperait, chacun devrait basculer son interrupteur. Calixt serra les dents pour ne pas ciller. Soudain, le signal lumineux disparut, laissant une tâche orange au milieu de son champ de vision. Il pressa le bouton. Au lieu de s’éteindre comme il s’y attendait, sa LED cessa de clignoter pour diffuser en continu sa lueur écarlate. Derrière lui, il perçut un juron. Son cœur manqua plusieurs battements ; il n’osait plus bouger, de peur d’être grillé par ce qui allait survenir.
– C’est pas normal ! cria Teddy d’une voix paniquée en dépit des consignes de parler à voix basse.
Puis tout à coup, les six LED s’éteignirent. Pas de décharge électrique, pas de champ de force, rien. Calixt reprit sa respiration. À l’autre bout de la clairière, Diego risqua un pas prudent vers la limite du périmètre. Puis un second. Il était passé ; ils avaient bel et bien réussi. Cette étape-ci, en tout cas.
Karl grimpa ensuite sur le toit du sas d’entrée de la mine sur l’un des airscoots. Il inspecta un long moment le linteau de la porte où s’enchâssait le voyant lumineux, démonta un ou deux composants à l’aide de ses outils, puis finit par rendre son verdict :
– Le circuit est caché dans le béton, je ne peux pas l’atteindre. Je ne sais même pas comment les Stadiens le désactivent.
– Oh ! s’exclama soudain Billie. Waï Jay l’avait c’truc noir ! D’dans sa poche. L’appuyait d’sus si qu’y l’ouvrait !
Diego partit comme une flèche vers l’endroit où ils avaient laissé le contremaître et revint quelques instants plus tard avec une minuscule télécommande. Une pression sur celle-ci neutralisa le voyant, mais n’ouvrit pas la porte. Calixt n’eut pas le temps de se demander comment ils allaient s’y prendre, car Livingstone — apparemment à bout de patience — s’empara d’un pied de biche dans l’un des sacs, l’inséra dans l’interstice le long du montant et commença à peser dessus de toutes ses forces avec des grognements sourds. Il y eut un grincement métallique comme si la porte protestait, mais elle tint bon. Il fallut que Diego joigne ses forces à celles du bonhomme pour qu’enfin, avec un « CLANK » de reddition, le battant s’ouvre en grand sur un puits obscur. Une échelle se perdait dans les profondeurs. Calixt frissonna à l’idée de descendre. Non seulement il n’avait jamais aimé le noir, mais qui savait ce qu’ils allaient trouver en bas ? Il se rappelait l’état de maigreur et de fatigue dans lequel était Billie la première fois qu’il l’avait vue. Et encore, elle avait quitté cet endroit depuis plus d’une semaine avec une étape par l’infirmerie du WOW…
– J’va l’montrer, dit Billie en posant le pied sur le premier barreau.
Une quinzaine de mètres plus bas, un palier desservait deux couloirs faiblement illuminés. Celui de gauche exhalait un air froid aux effluves ferreux.
– Çui-là, y a l’salles d’extraction où qu’on trie l’ minerai, pi l’descend aux gal’ries, dit Billie. L’dortoir, l’est d’ l’aut’ côté.
Ils s’engouffrèrent dans le corridor de droite en file indienne jusqu’à une porte en planches mal assemblées que Billie ouvrit sans effort. Diego, Oxan et Tan entrèrent avant Calixt qui les vit se raidir dès qu’ils franchirent le seuil. Quand le garçon les suivit, il comprit immédiatement pourquoi. Les dimensions de la salle étaient saisissantes : basse de plafond, elle était si profonde qu’on n’en distinguait pas le fond. Elle était éclairée par de rares lampes diffusant une lumière jaune qui teintait tout le décor en brun terne. L’odeur dense qui régnait dans l’atmosphère confinée — toilettes bouchées émanant d’un pauvre appentis, corps sales, maladies, moisissures — soulevait les tripes et piquait les yeux. Calixt avait déjà des larmes qui coulaient avant d’avoir observé en détail les occupants. Plusieurs centaines d’adolescents se tenaient là, assis ou allongés sur des lits de fortune, remuant à peine et n’échangeant qu’à voix basse comme pour économiser leurs forces. Les plus proches s’étaient figés à leur entrée. Toute la chair de leurs membres avait fondu, ne laissant que les os qui saillaient sous la peau crasseuse et couverte de croûtes. Ils paraissaient tous d’un brun identique, celui de la terre qui maculait leurs cheveux emmêlés. Les plus jeunes étaient un peu moins sales, pourtant leur vue ne réconfortait pas. Ils tournaient vers les visiteurs des visages centenaires dans lesquels les yeux cernés semblaient éteints. Un gémissement s’échappa de la gorge de Calixt.
– J’aurais pas dû vous laisser descendre, murmura Diego d’une voix qui avait du mal à passer, tandis que Billie expliquait la situation aux hikers.
Trop tard, pensa Calixt. Ces regards-là le hanteraient à coup sûr pendant des années.
***
Il fallut plusieurs heures pour faire sortir les prisonniers à l’air libre. Certains marchaient avec difficulté et les plus petits avaient peur des trois adultes, bien qu’ils aient reconnu Billie. Oxan, Tan et Teddy leur murmuraient des paroles réconfortantes en tentant de faire bonne figure, mais Calixt n’y parvenait pas. Sa gorge trop serrée ne voulait pas lâcher un mot et il se retenait d’éclater en sanglots chaque fois qu’il attrapait un bras émacié pour le hisser vers l’extérieur.
Un des plus vieux hikers, que les autres appelaient Runner à cause de ses multiples tentatives d’évasion, les prévint que des patrouilles de cybersoldiers passaient quelquefois dans le coin, même si elles étaient rares. Or, ces robots n’entraient jamais dans les bâtiments. Il fut donc décidé de rallier les nombreux hangars — ceux du lieu du séisme — qui n’étaient jamais fermés, afin de planifier la suite des opérations.
Nous voilà arrivés au cœur du sauvetage. La description des hikers est très réussie, vraiment glaçante, ils ont dû vivre un enfer. Je trouve ce passage très bien.
Le dénommé Runner est un personnage intéressant, en quelques mots tu nous donnes envie d'en savoir plus, avec toutes ses tentatives d'évasion il doit avoir un sacré caractère / mental pour recommencer à chaque fois malgré les punitions qu'il doit probablement endurer à chaque fois.
J'ai trouvé que la fin de chapitre allait un peu vite, qu'on aurait un peu plus s'attarder sur la rencontre avec les sauveteurs et hikers. Ca doit leur faire quelque chose de voir le Wow débarquer.
Petite remarque :
"qu’à voix basse comme pour économiser leurs forces." virgule après basse ?
Un plaisir,
A bientôt !
La description des hikers, j'ai pas fait dans la dentelle. Mais l'idée était effectivement de montrer qu'ils en avaient bien bavé.
Je note ta remarque sur la fin, mais comme c'est aussi abordé dans le pdv suivant (celui de Teddy, que tu as lu, je crois), je ne voulais pas trop en rajouter. Je regarderai quand même.
L’état des pauvres hikers est vraiment inquiètant et effrayant… Est-ce qu’ils se retrouvent souvent seuls, sans supervision ? Ou alors est-ce qu’on cherche à ce qu’ils meurent ? Parce que s’ils ne peuvent pas se laver du tout, j’imagine que les maladies se propageraient très vite dans un espace aussi fermé !
Je suis curieuse d’en apprendre plus sur Runner, il a l’air intéressant!
Remarque:
à ne pas porter d’implant → manque un point à la fin
Personnellement, ça ne m'a pas dérangée que le discours de Runner soit raconté sous forme de narration. Par contre, j’ai trouvé la toute dernière phrase un peu impersonnelle (on ne sait pas exactement qui décide ou comment). Comme elle se trouve toute à la fin du chapitre, on s'attendrait plutôt à quelque chose d'entraînant du genre "Allez, les gars, on va se rendre aux hangars, etc". Peut-être que ce passage deviendrait plus vivant avec un court dialogue ou une réplique ?
à bientôt pour la suite ! :)
Les hikers restent sans supervision la nuit parce qu'ils sont enfermés et qu'ils ont leurs bracelets de cheville qui les empêchent théoriquement de s'enfuir.
Runner a un tout petit rôle, par contre, tu n'en sauras donc pas beaucoup plus que ça.
Je note ta remarque pour la fin : c'est vrai que c'est impersonnel et que ça laisse un flou.
Merci pour ta lecture et tes commentaires ! Tu verras que la suite est très rapide à lire. J'espère que ça te plaira !
Je suis aussi étonnée que Calixt ait tout de suite su l'origine précise de la mauvaise odeur ("toilettes bouchées émanant d’un pauvre appentis, corps sales, maladies, moisissures"). Il me semble que moi j'aurais seulement pu me dire "ça pue" et formuler des hypothèses.
Sinon à la fin j'aurais aimé lire le discours de Runner plutôt que le voir paraphrasé comme ça, mais c'est un détail !
A cet endroit, ça me paraît difficile de caser qu'ils se lavent quand même de temps en temps, mais je peux effectivement l'insérer dans le chapitre où Billie raconte son histoire.
Quant au raccourci sur l'origine des odeurs, je pourrais effectivement faire en sorte que ce soit moins affirmatif.
Runner, il a quelques répliques ensuite, donc je crois que je vais garder la narration, ici
En tout cas, ça me rassure que tu aimes ce chapitre. Je voulais un peu d'émotion à la découverte de ces pauvres hikers, mais sans que ce soit larmoyant non plus. C'est ce que tu as ressenti ?