Ascension

Ascension

Répondant aux instructions propagées depuis le premier hangar, tous les hikers qui le pouvaient s’emparèrent des robots à portée de leurs mains pour les disposer dehors, en direction du campement de bungalows. Le temps qu’Oxan échange avec Billie et Vany, la jeune fille aux longs cheveux qui connaissait le code générique pour faire obéir des groupes entiers de robots, Ulys en porta trois à lui tout seul. Des petits, certes, mais leur taille n’avait aucune importance ; c’était leur nombre qui comptait. Or, comme leurs coques de végéplastique les rendaient très légers, plusieurs centaines d’entre eux s’alignaient déjà en lisière de la plaine au bout de quelques minutes.

En parallèle, Diego, Karl, Livingstone et quelques jeunes adultes assez forts descendirent de leurs rayonnages une centaine d’énormes cybertondeuses trouvées dans l’un des hangars. Les engins étaient assez plats et larges pour transporter trois ou quatre personnes, ce qui permettrait aux hikers de rejoindre l’astroport sans s’épuiser en route. Karl et Teddy devaient partir avec eux.

Tout cela devait être réalisé très vite, car on craignait toujours le passage de cybersoldiers.

Lorsqu’Oxan fut prête, Ulys et elle s’éloignèrent de l’agitation frénétique sur les airscoots, en direction d’une haute antenne émettrice distante de quelques kilomètres qui couvrait toute l’étendue de London-Stadium.

– On est obligés d’aller là-bas ? demanda Ulys tandis qu’ils prenaient de l’altitude. Cette fille, Vany, elle a bien allumé tous les robots qu’on avait sortis depuis la petite antenne à côté des hangars, non ?

– Oui, mais elle a une portée trop courte. Si on veut désactiver tous les cybersoldiers de la région, il faut utiliser la grande tour émettrice. Ça ne devrait pas poser de problème : il y a un terminal au pied de la structure.

– Tu es vraiment capable de craquer ce code ?

Oxan grimaça.

– J’espère, sinon on est mal. Mais si j’ai bien compris le fonctionnement des Stadiens, leurs systèmes de sécurité ne doivent pas être trop complexes.

– Si ça se trouve, dit Ulys en riant, ils ont eu la flemme de changer le code par défaut et c’est toujours 0000 !

– Pffff ! Faut quand même pas rêver ! s’esclaffa Oxan à son tour.

***

Ils ne pouvaient manquer la tour émettrice. Elle dominait le paysage et de puissants flashs éclataient à son sommet à intervalle régulier. Ulys vérifia d’un regard circulaire qu’aucun cybersoldier n’était en vue à proximité, puis entama la descente vers sa base, suivi de tout près par sa cousine.

– Beuuuh ! Qu’est-ce que c’est que cette odeur ? dit-il en déposant son airscoot dans l’herbe.

Oxan ne répondit pas, déjà occupée à chercher le terminal. Au bout de quelques secondes, elle émit un hoquet bruyant qui incita Ulys à la rejoindre en quatrième vitesse. Elle désignait une chose par terre, avec une moue dégoûtée.

– J’ai trouvé la source de l’odeur ! Quelle horreur ! Et bien sûr, c’est juste à côté du terminal.

Une carcasse de vache se décomposait sous les bourdonnements d’insectes à quelques pas seulement d’un boîtier vert très cabossé. Il y avait des entailles  profondes sur le végéplastique de la coque qui était même troué par endroits. Ulys essaya de l’ouvrir, mais le couvercle résista.

– N’y touche pas ! cria Oxan en faisant sursauter son cousin qui éloigna la main bien vite.

Elle pointa les marques de l’index.

– Je crois que la vache a pris ça pour de l’herbe ou quelque chose de comestible. Elle a essayé de croquer dedans et ça l’a électrocutée.

– Pauvre bête !

– Le problème, c’est que le terminal est grillé lui aussi. D’après Vany et Billie, il y en a un autre, mais il est tout en haut.

Ulys leva la tête vers le sommet. La distance était difficile à apprécier d’ici, mais il avait contemplé l’antenne de suffisamment loin pour savoir qu’ils n’étaient pas au bout de leurs peines.

Ils montèrent le plus haut possible en airscoot, prirent pied sur les barreaux de l’échelle qui courait jusqu’en haut, puis ils y suspendirent les deux engins pour les récupérer au retour. Ils n’avaient même pas dépassé la moitié, estima Ulys tandis que sa cousine commençait l’ascension au-dessus de lui. Il aurait été beaucoup plus vite tout seul, mais il aurait été bien incapable de se servir du terminal une fois arrivé au sommet ! Il s’abstint donc de tout commentaire sur son allure d’escargot et la laissa prendre de l’avance en observant le paysage. Est-ce qu’il pouvait apercevoir l’armée de robots en marche vers le champ de force des bungalows ? Il lui semblait que la petite lune était plus brillante qu’au début de la nuit, mais malgré ça il ne vit rien. Il se remit à grimper. Finalement, Oxan était assez efficace. Il la rattrapa, s’arrêta de nouveau, puis essaya cette fois de situer les lumières du campement. Non, décidément, il faisait trop sombre pour se repérer. Tant mieux pour eux, d’ailleurs, parce qu’à l’heure actuelle, ils auraient fait des cibles parfaites ! Oxan n’était plus si loin du sommet, maintenant. Une vingtaine de mètres au maximum. Est-ce qu’on voyait toujours la vache, d’ici ? C’était cette tache plus sombre qui se dessinait dans l’herbe ? Ou celle-là, plus claire ? Ah non, celle-ci bougeait. Et il y en avait une autre juste à côté. Qu’est-ce que ça pouvait bien ê…

Au moment où il comprenait, un éclair bleu tailla la nuit dans sa direction et rebondit à quelques centimètres de sa main en produisant un « pschhhhiiiit » sinistre sur le montant de l’échelle. Stupéfait, il regarda la marque noire laissée par le rayon pendant quelques dixièmes de seconde, puis une sensation glacée lui traversa les intestins. Un second tir fusa dans son dos et le dépassa.

– Des cybersoldiers ! hurla-t-il. ACCÉLÈRE !

Il entendit l’exclamation aiguë de sa cousine, puis constata avec agacement qu’elle était capable de grimper très vite quand elle s’en donnait la peine. Deux autres rayons les frôlèrent. Heureusement, qu’ils étaient déjà loin du sol : avec la distance, les deux robots devaient être moins précis. Oxan se mit à se contorsionner bizarrement. Ulys crut qu’elle était touchée, mais il comprit qu’elle voulait s’abriter derrière une grande plaque soudée aux montants de la tour. Elle attrapa une barre horizontale au-dessus de sa tête, puis fit glisser ses pieds de l’échelle à une autre transversale en dessous de la première. À petits pas chassés, elle disparut derrière la plaque où Ulys la suivit. Plusieurs tirs atteignirent la face opposée sans traverser le métal. Ils étaient à l’abri !

À l’abri, mais piégés, à une dizaine de mètres en dessous du terminal.