En reconnaissance
Plutôt que l’imposant bus collectif, ils avaient préféré emprunter les biplaces stationnés autour de l’astroport et s’étaient lancés vers le camp, toutes lumières éteintes. Ils n’avaient trouvé que quatre voiturettes, mais Ulys avait certifié qu’il pouvait effectuer le trajet assis sur le capot arrière d’un des engins, ce qu’il commençait sérieusement à regretter. Le module central avait beau ne pas subir les cahots, ses bras étaient tétanisés à force de se cramponner pour ne pas être éjecté à chaque accélération ou chaque changement de direction. Le contournement de London-Stadium par les bois environnant faillit l’achever, Tan slalomant entre les troncs qui surgissaient tout à coup devant eux dans une obscurité presque totale. Heureusement, dans le véhicule de tête, Diego leva le bras pour donner le signal de l’arrêt.
– On est plus très loin, mieux vaut continuer à pied, chuchota-t-il.
– Je vais faire une reconnaissance, déclara Karl sans regarder personne en particulier. Pas la peine que tout le monde se mette en danger pour l’instant.
Il fouilla dans le sac qu’il portait pour en extraire une paire de jumelles numériques, puis s’enfonça entre les arbres.
– J’y vais aussi, dit Ulys. Au cas où il y aurait des bornes de sécurité. Karl risque de les déclencher avec son implant, mais pas moi !
– Attends ! le retint Calixt en ouvrant l’autre sac.
Il en tira les deux airscoots, en tendit un à Ulys, déplia le second et l’activa. Ils démarrèrent sans tenir compte des protestations à mi-voix de Diego, d’Oxan et de Tan.
Ulys repéra rapidement la silhouette massive de Karl. Celui-ci sursauta en le découvrant à côté de lui, immédiatement suivi de Calixt, mais ne dit pas un mot. Il pointa un doigt droit devant. Des lueurs émanant du campement perçaient l’obscurité ; ils approchaient. Karl écarta les bras pour leur faire signe de stopper, puis porta ses jumelles à ses yeux. Il balaya les alentours, s’arrêta sur un point sur lequel il zooma.
– On recule, murmura-t-il aussitôt en grimaçant.
Les deux garçons obtempérèrent.
– Oxan avait raison, il y a des cybersoldiers partout, expliqua Karl quand ils furent hors de portée de voix.
– Est-ce qu’ils surveillent aussi le ciel ? interrogea Calixt.
Ulys comprit immédiatement.
– On va bien voir, dit-il en décollant.
Il contrôla son impatience pour se caler sur son cousin. L’expert en airscoot c’était lui, après tout. Calixt obliqua vers l’arrière le temps que les engins prennent de l’altitude. Ils décrivirent ensuite une boucle au-dessus des arbres pour revenir vers le campement, assez près l’un de l’autre pour pouvoir échanger à mi-voix. C’était rassurant de sentir la jambe de Calixt qui frôlait la sienne. Ulys n’était pas sûr de bien réaliser le danger qu’ils couraient ; sa raison le savait, mais il n’éprouvait pas la peur à laquelle il s’attendait. Somme toute, il était plutôt calme. Or, il pressentait que son cousin, plus prudent, le rappellerait à l’ordre s’il prenait trop de risques.
À une centaine de mètres devant eux en contrebas, il distinguait les hors-mondes dans les luminaires du camp. La plupart étaient assis dans l’herbe, mais certains marchaient de long en large. Skull était forcément du nombre, pensa Ulys. Il reconnut aussi la gigantesque silhouette de Paddy campée sur ses pieds, l’or de ses tours de bras réfléchissant intensément la lumière.
Soudain, Calixt désigna un point au sol, entre la lisière des bois et les bungalows. Un robot ! C’était difficile à affirmer vu d’en haut, mais il paraissait au moins aussi haut que Diego et Paddy. Il avait une silhouette humanoïde pourvue d’une tête plutôt petite, d’un torse cylindrique sans abdomen et de membres démesurés qui se pliaient dans tous les sens. À la place des mains, les tubes qu’il arborait ressemblaient trop à des canons de fusil pour ne pas en être. Cette fois, le cœur d’Ulys manqua un battement. Ils allaient passer juste au-dessus de lui ! Il s’écarta un peu de Calixt pour pouvoir réagir en cas d’attaque et vit du coin de l’œil son cousin raffermir sa prise sur son guidon. Pourtant, le cybersoldier ne broncha pas. Sa tête continua à pivoter sur elle-même en cycles ininterrompus sans tourner ses caméras vers le haut.
– Tu crois qu’on peut les avertir ? chuchota Calixt.
– Trop risqué ! Il vaut mieux pas descendre et si on crie, on va se faire tirer dessus. Y a plus qu’à espérer qu’un d’entre eux aura la bonne idée de regarder en l’air.
Ce ne fut malheureusement pas le cas, mais en continuant leur ronde, les deux cousins localisèrent une vingtaine de bornes de sécurité qui formaient une enceinte tout autour des bungalows. Elles émettaient des lueurs rouges clignotantes, signalant probablement qu’elles étaient en état de marche. Les Stadiens les avaient accrochées dans les arbres environnants, sans même se donner la peine de les installer très haut. Il était sans doute impossible de s’approcher suffisamment pour les désactiver sans déclencher le champ de force.
Ils rejoignirent Karl dans la forêt. Celui-ci parut soulagé en les voyant atterrir à côté de lui. Ulys remarqua qu’il parvenait enfin à les regarder en face.
– On n’a repéré aucun Stadien, expliqua le garçon.
L’homme-tuyaux haussa les sourcils.
– Je crois que leur flemme sera notre plus gros allié, dans cette histoire, dit-il.
– Ils doivent avoir entièrement confiance dans leurs cybersoldiers. Il y en a une bonne trentaine tout autour du camp. Ils sont à l’extérieur du périmètre du champ de force.
– On pourrait peut-être les désactiver, nous, les bornes ? proposa Calixt.
– Elles sont trop basses, d’après ce que vous me dites. Vous seriez repérés par les robots. Rejoignons les autres, on verra avec Diego.
– Chut ! fit soudain Calixt.
Ulys se figea. En tendant l’oreille, il distingua les craquements de brindilles qui avaient alerté son cousin. Quelqu’un venait dans leur direction ! Ils se dissimulèrent tous trois derrière des troncs, à l’affût. Une silhouette replète se matérialisa en noir sur le fond de nuit, avançant d’une démarche tout à fait décontractée. Apparemment, l’intrus ne les avait pas repérés. Un faible rayon de la petite lune se fraya un passage entre les branches alors que l’homme arrivait à leur niveau. Waï Jay ! À peine Ulys avait-il reconnu le contremaître qu’il sentit son guidon lui échapper des mains pour passer dans celles de Karl. Celui-ci se faufila derrière le Stadien en brandissant l’airscoot qu’il abattit d’un coup sec sur sa tête. Waï Jay s’écroula sans un soupir.
Le trio rejoignit le reste du commando, le corps du contremaître ballotant comme un sac sur l’épaule de Karl.
– Me faites plus jamais le coup de partir sans me demander mon avis ! vitupéra Diego dans un souffle rauque.
Puis il manqua de s’étrangler en apercevant le Stadien inanimé. Le compte-rendu des évènements fut ponctué par ses soupirs.
– Je ne vois pas trop comment on va les sortir de là, dit-il finalement en se tordant les mains. Si quelqu’un a une idée, qu’il n’hésite pas à la partager.
– Ce qui est sûr, dit Ulys, c’est que dès qu’on s’approchera du campement, ce sera le branle-bas de combat.
– Peut-être qu’on devrait d’abord libérer les hikers ? proposa Oxan. Ils doivent être beaucoup moins surveillés. Il y aura peut-être des volontaires pour nous aider, parmi eux ? Qu’est-ce que tu en penses, Billie ?
– Pour s’barrer d’ici ? Sûr, gamine ! Y en aura. Pi l’en a quequ’zun qu’ont près d’vingt ans. Sont p'têt pas en pleine forme, mais s’ront utiles.
– Allons-y, alors, ordonna Tan en se mettant en marche en direction de la mine.
Ulys lui emboîta le pas alors que Diego murmurait d’une voix désespérée :
– En fait, c’est pas du tout moi, le chef de groupe…
Comme tu me l'avais dit, cette fin d'histoire semble s'orienter vers l'action, ce qui me plaît bien. Ce chapitre est plaisant, avec des petites touches d'humour intéressantes (sympa la phrase de chute de Diego^^). Sympa aussi de découvrir les cybersoldiers, pour l'instant ça se passe assez mais j'imagine qu'il va y avoir des complications à un moment donnée (=
Intéressant de voir la manière dont les enfants ont pris de l'importance dans le groupe du WOW au fur et à mesure de l'épopée, on peut dire que l'intégration est réussie (=
Un plaisir,
A bientôt !
Contente que cette fin plus rapide te plaise. Et en effet, j'ai essayé de mettre un peu d'humour de temps en temps, parce que c'est plus sympa.
Les enfants prennent beaucoup d'importance à ce moment, tout simplement parce qu'il n'y a plus qu'eux ! Je pense d'ailleurs que c'est ce qui manque globalement au roman : un enjeu plus clair et des actions spécifiques aux enfants. Le problème, c'est qu'ils se laissent un peu "porter", à part ici, à la fin.
Je me suis fait plaisir avec la dernière réplique de Diego :)
"vitupérer", je n'y pense pas très souvent, mais vu la dose de dialogue que j'ai dans ce roman, il faut bien que je varie les incises !
Rien à dire de plus sur ce chapitre, tu nous brosses la scène et ses difficultés, avec les bornes et les robots militaires qui pour le coup, sont peut-être un peu nombreux, considérant qu’ils ne sont qu’une précaution supplémentaire (de ce que je comprends).
Va pour la libération des hikers !
Les cybersoldiers ne sont pas forcément qu'une précaution supplémentaire : certes il y a le champ de force, mais il n'y a aucun garde humain (trop flemmards XD ).
Comme tu l'auras compris, cet épisode est un concentré d'action. J'espère que ça se tient. N'hésite pas à me dire sans détour ce que tu en penses !
Merci
A+