Aussitôt Lionel reparti, je déverrouille mon téléphone et appelle ma cousine. Sa voix ne tarde pas à remplacer la tonalité stressante de l’appareil.
- Hey ! Tu devineras jamais ! lance-t-elle sans « bonjour » mais avec enthousiasme.
- Quoi ?
- Zoé et moi… On s’est remises ensemble !
Je hoche inutilement la tête.
- Tu m’as entendue ?
- Oui… Oui, trop cool ! Vous vous êtes revues, ça veut dire ?
- On s’est pris un verre hier soir. Enfin, pas juste un, beaucoup plus !
- Vous êtes allées au Sceptre ? Y’avait Jacob ?
- Non, à l’Antidote. Éloignées de la famille, c’est plus simple. Et tu sais qu’il y a pas que le Sceptre dans la vie, hein…
Cette fois, je ne hoche pas la tête. Je connais assez mal Zoé, je ne l’ai vue qu’à une ou deux occasions. Mais je repense à ma cousine énervée du comportement de sa copine, à ma cousine en pleurs, et je ne peux m’empêcher de me méfier.
- J’espère que ça se passera bien avec elle, cette fois.
J’ai lâché cette phrase d’un ton plus froid que je ne l’aurais cru.
- Ouais, je sais… répond Émilie. T’as raison, je vais faire gaffe. Mais pour l’instant je profite, je suis trop contente ! Je te parle pas de toutes ses excuses et de ses promesses, ça va te saouler… Mais je suis contente !
- Bon… Tu me la présenteras un peu plus officiellement alors ? Je veux dire, c’est pas parce que je saute pas au plafond que j’ai pas envie de la connaître un peu mieux et de passer du temps avec vous… Avec toi.
- Noté ! On sort sans doute samedi. Et au fait… Pour que tu passes du temps avec nous, faudrait que tu sortes un peu de la bicoque, je te signale… Arrêter d’être tout le temps avec mamie ou à t’occuper de la maison.
- D’ailleurs, ton père vient de passer.
Encore cette voix froide que je n’ai pas demandée. Je ne sais pas d’où elle me vient.
- Et alors ? Ça a marché ?
Je me rends compte que je n’ai pas réfléchi à pourquoi j’appelais Émilie. Pour lui raconter quoi ?
- Pas vraiment… Enfin si, mais c’est pas trop ce que t’attendais.
- Comment ça ?
- Il a tout de suite vu que c’était des conneries, cette histoire de toilettes. Mais il est resté, on a… on a bien discuté.
Un silence s’installe, pas si différent des anges qui passaient entre Lionel et moi.
- Et vous avez discuté de quoi ? demande soudain Émilie.
J’entends son sarcasme. Mon père et discute dans la même phrase, elle ne connait pas. Je bégaie, pas sûre de la concordance des mots entre eux, des significations peut-être cachées :
- Il m’a parlé d’une aide-soignante… D’une cliente de l’épicerie qui avait un patient qui est mort. Il était en fauteuil roulant – le patient. Les voisins faisaient trop de bruit, personne l’a entendu mourir. Elle s’appelait Odile.
- Qui c’est qui s’appelait Odile ?
- La cliente qui était aide-soignante. C’est elle qui a trouvé le corps de son patient.
- Ok… Et donc ?
- Je sais pas…
Émilie soupire avant de continuer :
- De toute façon, quand il parle, il sait dire que des conneries. Tu te souviens des rumeurs qu’il avait lancées ?
- Quoi ? Quelles rumeurs ?
Un nouveau soupir, plus laborieux cette fois. Puis, comme à contre-cœur :
- Des rumeurs à la con à propos de mamie. Soit-disant elle aurait… C’est pas mon père qui les a lancées, ces rumeurs, je le sais, c’est l’ancien voisin, la maison bleue à droite de la bicoque. Il est parti depuis, bon débarras. En tout cas, ce voisin supportait pas mamie, et tu sais comment elle peut être elle, aussi… Et mon père s’est engouffré là-dedans. Je crois juste qu’il en voulait tellement à sa propre mère pour je-sais-pas-quoi qu’il a trouvé un bon moyen de montrer sa colère contre elle.
- Et c’était quoi, les rumeurs ?
- C’était… C’était que mamie se débarrassait de ses bébés.
- Quoi ?
- Qu’elle était souvent enceinte mais qu’elle cachait ses grossesses, qu’elle accouchait à la maison et qu’elle… ben, qu’elle se débarrassait des gosses, quoi.
Je ne sais pas quoi dire. Comme une sensation de trop d’un coup, trop d’informations, trop d’images. Trop d’incongruités, aussi, des bizarreries et des absurdités jusqu’à débordement. Et comme une envie de rire, tellement c’est…
- Carrément cringe, hein, complète magiquement Émilie.
- Et ça vient d’où, ces rumeurs ? Je veux dire, ça part de quels… de quels indices ?
- Apparemment, mamie sortait trop souvent ses poubelles.
J’étouffe un nouveau quoi ?, inutile. Pas la peine non plus de formuler c’est n’importe quoi ni même ce voisin, quel enfoiré.
- Moi qui dis toujours à mamie et à toi d’en faire moins, côté ménage… poursuit Émilie. Tu vois, une bonne raison de laisser la poubelle moisir de temps en temps.
Un nouveau silence, l’impression de digérer une montgolfière entière en guise de dessert. La logique implacable d’Émilie se creuse dans mes réflexions toutes chamboulées. Je pousse un petit ricanement, puis un autre, plus naturel. À l’autre bout du fil, Émilie se laisse aller elle aussi.
En un rien de temps, la situation nous fait sincèrement rire.
C'est toujours avec un grand plaisir que je poursuis ma lecture de "Soleil Bleu" et ses multiples mystères... J'ai hâte de voir les choses s'emboîter jusqu'à leur donner un sens et une raison. Je suis frustrée que mes pistes soient si pauvres pour le moment x)
Mais cette rumeur liée à la mamie n'est sûrement pas anodine, bien qu'elle ne semble pas fondée. Et si elle est vraie malgré tout, elle expliquerait l'existence de Jonathan que Nellie pense avoir tué. Tiens, tiens. J'ai aussi l'impression que la copine d'Emilie, Zoé, va avoir son importance dans l'histoire. Ralala, trop hâte de voir où tu nous mènes ^^
Comme l'a très bien dit Jeannie.C, l'ambiance de famille malsaine est incroyablement retranscrite avec ses relations difficiles, les gens qui se jugent entre eux, les failles de chacun, les secrets de chacun qui embarquent Virginie dans une grande spirale infernale. Il y a aussi tous ces silences, tous ces "anges qui passent" (et je ne me lasserais jamais des nombreux jeux de mots que cette expression t'inspire XD) Bref, je passe un super moment, j'enchaîne !!!
J'ai lu tous tes commentaires, c'est chouette de voir l'évolution de tes intuitions !
Je tablais sur l'ambiance familiale un poil pesante, sur des non-dits et des silences censés exploser à un moment, mais je n'avais pas réalisé que ça prendrait une aussi grande pleine dans l’œil des lecteurices. Une bonne surprise !
Me revoici pour continuer ce beau roman <3
Et woah, quelle horreur cette nouvelle rumeur qui vient s'ajouter à la charge mentale de Victoire - et à la difficile histoire de cette famille... Le chapitre commence plutôt positivement pourtant, avec cette bonne nouvelle que lance Émilie. Mais alors ce qu'on raconte de Nellie avec les bébés, brrrrr. Décidément, on descend toujours plus profond dans la découverte des "cadavres" de cette famille (enfin, "découverte"... si là en l'occurrence ce ne sont que des rumeurs qui peuvent s'avérer fausses...) et je commence à m'inquiéter pour Victoire, sa mamie, pour Émilie. u_u
On palpe toujours très bien à travers ton texte l'ambiance malsaine de ce genre de petites commune où tout fait boule de neige, tout le monde fait circuler des ragots su tout le monde, où une vengeance peut déclencher des catastrophes pour bien plus de monde que la seule personne concernée. Il y a quelque chose d'étouffant et d'inexticable - comment Victoire va se tirer de ce nœud gordien ?
Effectivement je joue pas mal sur les (n)on-dits (oooh jeu de mots !), ce qui fait qu'une partie de l'histoire se situe dans la tête des personnages et des lecteurices avant d'être réelle.
Et l'oncle alors, il n'a pas dit pourquoi il racontait cette histoire de vieux/vieille mort tout seul ? c'est quand même un peu étrange.
Choses :
◊ "Plus simple éloignées de la famille" J'ai dû relire la phrase pour la comprendre. Peut-être une virgule après "simple" aiderait ?
◊ "je n’hoche pas la tête" Ça me chiffonne les yeux d'avoir une apostrophe avant un -h, normalement c'est ne + hoche je pense.
Ce genre de commentaires m'aide quand même beaucoup à niveler l'ensemble du roman : je ne veux pas que mon personnage principal continue de s'enfoncer sans fin, à un moment il va falloir secouer le cocotier...
A très vite !
Je m'attendais inconsciemmnet à un autre interlude petite note semée ! Je pense parce que j'ai hâte de voir les inventions que tu vas nous dégotter avec ces chapitres :D
Ce chapitre sonne très innocent mais en meême temps la toile d'araignée que tu es en train de tisser autour de moi pauvre lecteur, je la sens, je te VOIS petite araignée ! bon je peux pas faire grand chose pour t'en empêcher cela dit. C'est assez terrifiant : je pense que comme je te connais en tant qu'autrice, j'ai pas envie de me faire avoir alors j'essaie de garder les yeux sur l'araignée, et en même temps ça ne sert à rien car ça ne t'empêche pas de faire ta toile et ça ne m'aide pas pour trouver la sortie de ladite toile.
J'ai cette sensation car je sens que cette affaire de rumeur va ressortir ; qu'on va trouver la part de vérité au sein de la rumeur mais on ne sait pas quand ni sous quelle forme et comment cela va-t-il s'imbriquer avec cette affaire de personne tuée mais bien vivante ? D'autre part je trouverais ça trop bien que le livre aborde les "faiseuses d'anges" comme on disait si élégamment. M'enfin bref.
Plein de bisous !
Chat, pieuvre, algue, licorne, maintenant araignée : on accueille tout le monde <3
Dans ce chapitre-ci, il ne s'agit pas d'avortement mais d'infanticide... Mais ça manque peut-être de clarté ? Vu que je continue de jouer sur des niveaux de subtilité, ça m'étonnerait pas tant que ça.
D'ailleurs, ou est le papy? Je ne me rappelle plus si tu en as parlé (désolée, ce n'est pas du a un manque de clarté mais a la lecture saccadée)
Je ne vois toujours pas le rapport avec Odile. Peut-être que l'oncle voulait proposer de l'embaucher pour la mamie et il s'est perdu? Tout est si étrange. En tout cas, cette histoire de bébé donne une nouvelle perspective a l'histoire, c'est tres bien fait !
J'ai jamais parlé du grand-père, mais c'est vrai que je pourrais préciser quelque part son absence... Il est mort y'a longtemps, tout simplement !