Expédition furtive

Expédition furtive

Lorsque Tancred et Calixt firent irruption dans le QG en courant, Ulys ne leur laissa pas un instant pour reprendre leur respiration.

– Qu’est-ce que vous avez vu ? demanda-t-il en se ruant vers eux.

 Ils se mirent simultanément à relater leur rencontre. Leur récit fut suivi par un long silence.

– On est tombé chez des dingues… souffla finalement Oxan avec un tremblement dans la voix. Ou des pirates… Ou des cannibales.

– On ne peut pas juger sur l’apparence, hein… marmonna Ulys avec un sourire qu’il voulut confiant, mais qui se tordit en une moue angoissée.

– Tu dis ça parce que tu les as pas vus ! s’écria Tancred. Et tu n’as pas entendu ce que racontait ce fou furieux : il expliquait tranquillement qu’il avait réduit un type en bouillie ! Brrrr…

– Euh… oui, bon, ce ne sont peut-être pas des anges.

– Qu’est-ce qu’on va faire ? interrogea Teddy en passant la langue à l’emplacement de ses dents manquantes.

Nouveau silence : aucun d’eux ne savait quoi répondre. Il aurait été très tentant de rester enfermés dans leur refuge en espérant que la providence les dépose gentiment sur Dianaël, mais Ulys était parfaitement conscient que ça n’arriverait pas. Ils avaient même de fortes chances d’être découverts très vite.

Enfin, Calixt risqua :

– Ils ne sont peut-être pas tous comme ceux-là ? Il faudrait voir les autres.

– Je suis d’accord, approuva Ulys. Je m’en charge.

L’idée d’agir lui redonna courage. Il se dirigea vers la porte le front en avant et le poing bagarreur, décidé à mettre au tapis tous ceux qui lui barreraient la route.

– Tu te charges de quoi ? demanda Tancred en le retenant in extremis.

– De les suivre vers là où ils sont partis, dans l’escalier. Je me cacherai pour les observer. Je trouverai bien des endroits où on me verra pas.

– Tu peux pas y aller tout seul ! s’exclama Oxan. Je viens avec toi.

– On va se faire repérer, à deux ! répliqua Ulys en essayant de toiser sa cousine malgré leur différence de taille.

– Ne discute pas, c’est hors de question que tu y ailles seul. Je sais rester discrète, tu me prends pour une andouille ?

– OK, alors suis-moi.

***

Ils trouvèrent rapidement l’escalier et le gravirent lentement, croisant les doigts pour que personne ne l’emprunte avant qu’ils atteignent l’étage supérieur.

En haut, Oxan ouvrit millimètre par millimètre le panneau coulissant, passant un œil par l’interstice pour évaluer sur quoi ils allaient déboucher. Ulys aurait progressé plus vite tout seul, mais une petite voix lui disait que la prudence de sa cousine n’était sans doute pas un mal. Finalement, ils se faufilèrent dans un couloir désert qui ressemblait en tout point à ceux de l’étage du dessous. Ici, cependant, on percevait un fond sonore composé de bruits de vaisselle, d’éclats de voix, de rires et de raclements de chaises.

Ils avançaient en rasant les murs vers la source de la rumeur quand Oxan repéra, à cinquante centimètres au-dessus de sa tête, un panneau affiché sur la peinture blanche du corridor. À n’en pas douter, il s’agissait d’un plan de la zone de vie, mais il était accroché trop haut pour qu’ils puissent en voir les détails. Un point rouge représentait leur position actuelle. Plus loin, le couloir desservait une série de salles, dont une très grande où Ulys déchiffra, après de nombreux efforts, l’indication ″Réfectoire″. C’était probablement de là que venait le bruit.

– On va entrer dans la pièce qui se situe juste avant le réfectoire pour entendre les conversations, chuchota le garçon.

– OK, allons-y, approuva Oxan d’une voix calme que démentaient ses yeux verts démesurément écarquillés.

– Alors si je compte bien, il faut prendre la cinquième porte.

Ils poursuivirent leur marche silencieuse le long du couloir. Maintenant qu’ils évoluaient au cœur de l’activité des habitants du vaisseau, quelqu’un pouvait surgir à tout moment. Ils passèrent sans encombre devant la première pièce, puis la seconde. Courbés en avant pour se faire tout petits, ils accélérèrent le pas et franchirent la troisième. Quand ils atteignirent la quatrième, un grincement se fit entendre derrière eux, signalant que l’un des battants précédents s’ouvrait sur le corridor. Pris de panique, Ulys attrapa Oxan par la manche et l’entraîna à toute vitesse jusqu’à leur objectif, la poussa à l’intérieur et, dès qu’il l’eut franchi à son tour, pesa sur le battant pour le fermer hermétiquement. À peine eut-il le temps de remarquer le soudain silence, que sa cousine se penchait vers lui en soufflant entre ses dents :

– Tu sais pas compter, c’était pas la cinquième porte…

Il se retourna lentement vers l’intérieur de la pièce. Face à eux s’étendait le réfectoire, probablement rempli de la population du cargo au grand complet.