I- Intrus (partie 2)

« C’est insensé ! »

La grimace du moine passa de l’abbé à son camarade dont l’hébétude semblait perdurer. Ses sourcils froncés marquèrent le revirement à l’œuvre dans son esprit.

« Non, nous nous sommes emportés, voilà tout. Des bandits ont dû réussir à s’infiltrer dans le monastère et l’obscurité a eu raison de notre discernement. Je suppose que Frère Hilaire a reçu un méchant coup sur la tête en tentant de les arrêter. Il vous le dira quand il sera revenu à lui, j’en suis sûr. Après tout, si cela était vrai, nous aurions déjà eu des preuves !

— Vous venez pourtant d’en avoir une, mais vous vous refusez à y croire semble-t-il. Comme d’autres avant vous ont préféré taire leurs mots pour faire vivre le silence. Les Hommes sont faillibles et je ne suis guère une exception, ajouta-t-il après une courte pause. Aucune piste n’est à écarter. Cela dit, les coïncidences se multiplient et il devient difficile de fermer les yeux plus longtemps. »

Trois chauves-souris surgirent de la pénombre et tournoyèrent au-dessus du puits. L’abbé étudia leurs mouvements avec détachement, ignorant la mine abattue de son subordonné. Ses mains déformées par l’âge se saisirent des pans de sa bure et les relevèrent. Il tourna le dos au jardin, puis gravit les premières marches.

 Vesper observa les clercs disparaître en haut des escaliers, une expression amère sur le visage. Tout près, elle sentait l’insistance du regard de Melion qui la sondait dans les moindres détails.

Peu importe l’apparence qu’il revêt, son comportement ne changera pas…

Ses jambes bougèrent prudemment afin de trouver une position plus confortable sur le tapis de feuilles mortes et elle laissa le temps filer sans dire un mot. Le nez levé, elle suivit la lente course des étoiles à travers la nuit. Leur éclat se retrouva piégé dans l’indigo qui nappait ses iris, créant un ciel factice autour d’un astre noir et immobile.

« Tu entends quelque chose ? finit-elle par demander.

 — Plus rien depuis plusieurs minutes. »

Un hochement de tête, puis Vesper amorça un mouvement de départ. Elle repoussa les branches qui accrochaient la laine de son manteau pour se diriger vers le puits au centre du jardin.

Du lierre grimpait le long de la pierre taillée en un cercle grossier pour se jeter dans le vide. Les pieux assemblés en angles droits au-dessus du puits disparaissaient presque entièrement sous la mousse. S’asseyant sur la margelle, la magicienne saisit la corde à deux mains et fit basculer ses jambes vers l’abîme avec une infinie précaution. Lorsque le bout de sa semelle tâta une fine barre de métal, elle se laissa glisser vers le fond du puits au terme d’une longue inspiration.

Ses paumes maintenaient si fermement la corde que chacun des fils de chanvre s’imprimait dans sa peau tendre. Une tension irrépressible crispait ses muscles et nouait sa gorge dès que son pied devait s’aventurer dans le vide à la recherche du barreau suivant. À quelques centimètres de son nez, la pierre avait cédé la place à la terre. L’odeur âcre du humus emplissait ses narines.

Des ténèbres devenues plus épaisses lui firent lever la tête vers la bouche du puits. Le visage monstrueux de Melion se découpa sur les rayons de la lune qu’il occultait. Incapable de lire son expression, Vesper ne distinguait de lui que deux globes brillants, vides, apposés sur une forme ni humaine, ni animale. Elle soutint son regard et s’efforça de maîtriser son pouls, témoin d’une émotion qu’elle ne voulait trahir.

« Tu y es presque. »

Ses paroles atteignirent la sorcière alors qu’il s’écartait déjà. La lumière revint se réfugier dans le fond du puits, et les mots y résonnèrent avec elle.

Trois barreaux de plus et la sorcière se laissa choir pour atterrir dans une eau boueuse qui ne dépassait pas sa cheville. Elle tira un coup vif sur la corde puis s’écarta de l’échelle de fortune. Un instant plus tard, son camarade sauta du dernier barreau pour se tenir debout près d’elle. Il scruta l’obscurité et se dirigea aussitôt vers une galerie horizontale creusée dans la paroi. Prenant appui sur les planches de bois grossières qui en maintenaient l’ouverture, il se hissa à l’intérieur avant d’offrir son aide à Vesper.

Sa main rugueuse se referma sur le bras de la sorcière, l’entourant tout entier. La pointe courbée de ses ongles la fit frémir. Elle posa un soulier contre la terre friable et n’opposa aucune résistance à la force de Melion, malgré l’impression que sa peau allait se déchirer. La traction cessa dès que ses genoux se posèrent sur le bois vermoulu des ais. Devant s’étendait un tunnel qu’aucune lumière ne pouvait éclairer, tout juste assez haut pour permettre à un homme d’avancer sur les mains. La silhouette de son compagnon s’éloignait déjà et Vesper lâcha un léger soupir avant de se faufiler à sa suite.

Les imperfections du bois défilaient sous ses paumes. Seuls les froissements de leurs vêtements parvenaient à combler l’écrasant silence souterrain, où même le vent ne trouvait son chemin. De trop nombreuses planches les séparaient encore de la sortie au goût de la sorcière. Ses pensées parvenaient à occuper son esprit, quoique aucune ne réussissait à l’égayer. De simples paroles prononcées au bout de quelques minutes de ligne droite lui donnèrent cependant le sourire.

Les formes effilées de Melion se découpaient peu à peu sur une faible source de lumière. Entre ses épaules osseuses, les traits droits d’une deuxième échelle se précisaient. Lorsqu’il l’atteignit, il leva les yeux vers la mince bande de ciel et tendit une oreille attentive sur l’extérieur.

« Personne à proximité, souffla-t-il à Vesper qui patientait. Mais on dirait que nous ne sommes pas les seuls oiseaux de nuit dans les alentours.

— Alors dépêchons. Je ne veux pas risquer de tomber sur un moine de retour de son escapade, et m’est avis que lui non plus. »

Melion attrapa aussitôt les premiers barreaux à hauteur de main et monta en prenant soin d’éviter ceux que le temps et l’humidité avaient rompu. Une brise l’accueillit, glissant sur les angles de sa figure et lui susurrant une multitude d’informations glanées au cours de son errance. Un individu imprégné de l’odeur du monastère s’était tenu ici alors que Vesper et lui se trouvaient déjà à l’intérieur du scriptorium. Plus loin, un groupe au nombre indiscernable progressait dans la forêt qui bordait l’aile Est du monastère.

La mine indisposée de Vesper émergea du trou. Debout, elle frotta ses mains et débarrassa ses vêtements de la terre et de la poussière ramenées à la surface, puis jeta un regard circulaire par-dessus les buissons touffus qui masquaient l’entrée du passage souterrain. Les murs du monastère restaient encore visibles entre les troncs des frênes, Vesper les observa une dernière fois avant de s’enfoncer dans la forêt.

« Dans quelle direction se trouvent les autres ?

— Vers le Nord.

— Bien. Nous allons poursuivre dans la direction opposée. Si je ne m’abuse… »

La sorcière fouilla dans sa besace pour en sortir un parchemin en mauvais état. Le dépliant, elle étudia une carte sommaire de l’autrefois nommé Empire Albian. Une ligne divisait le territoire en deux et à l’intérieur de chaque partie de petites croix indiquaient les principales villes marchandes et lieux d’intérêts. Le doigt fin de Vesper glissa le long de la frontière d’encre pour s’arrêter sur le nom d’une ville.

« Nous devrions bientôt pénétrer sur les terres de l’Austrasie. Souviens-toi de ce que je t’ai dit, l’Empire-Saint n’apprécie pas vraiment les manieurs de Souffles et les… curiosités dans ton genre. Une fois la frontière passée, faisons profil bas. »

Melion acquiesça, suivant la magicienne de si près que son épaule la frôlait parfois. Il baissa les yeux sur son visage, à l’affût du moindre indice quant à son humeur, et lui supposa une légère irritation.

« Vesper ?

— Mh ?

— Le vieil homme a parlé de plusieurs vols…

— Tu l’as entendu aussi, hein ? » fit-elle d’un ton vif. La remarque avait allumé une lueur dans son regard. « Je l’ignorais. Et, bien que je ne nierai pas ma part de responsabilité, je doute que mon talent soit à  lui seul l’origine de cette rumeur. Ça ne me plaît pas du tout.

— Pourquoi ?

— Parce que si la nouvelle se répand, les monastères et tous les autres lieux d’archives vont redoubler de vigilance. D’ailleurs, je suis persuadée que cet abbé a pris soin de mettre tous ses parchemins sur les Souffles en sécurité. »

De l’amertume teintait sa voix. Elle expédia d’un revers une branche prise dans ses cheveux puis renifla. Perchée en hauteur, une chouette hulula à leur approche.

« Tant pis, je doute qu’il y avait quoi que ce soit de réellement intéressant.

— Je t’aiderai à trouver tout ce dont tu as besoin, tu sais.

— Je sais, sourit-elle. Éloignons-nous puis cherchons un lieu sûr. Je vais essayer d’arranger ton apparence. Tu ne peux pas rester comme ça, entre chien et loup, si j’ose dire.

— Je comprends pas ce qu’il s’est passé, grogna Melion. Ça m’était pas arrivé depuis longtemps.

— Les Souffles peuvent se comporter étrangement dans les lieux de culte. Peut-être qu’une interférence a eu lieu ? C’est la seule hypothèse qui me vient à l’esprit.

— Les Souffles, reprit-il d’un ton songeur. Le vieil homme en a parlé, lui aussi.

— Oui. Et il n’a pas plus d’explication que les autres. Sans oublier qu’ils ont tout de suite pensé qu’un démon était venu leur rendre visite. »

La remarque de la magicienne raviva aussitôt le goût amer laissé par la rencontre avec les moines. Melion ne répondit pas, des bribes de souvenirs surgissaient les unes après les autres comme des ombres hideuses et enténébraient son esprit. Un mal-être diffus s’écoula le long de ses veines et se matérialisa en une sensation de crampe à l’endroit de son cœur. La main serrant sa poitrine, il secoua la tête puis s’efforça de reprendre conscience du bruissement de l’herbe sous leurs pas et des jeux funestes des proies et de leurs prédateurs.

« Vesper ? finit par murmurer Melion. Pourquoi les fidèles du Dieu Blanc n’apprécient pas la manipulation des Souffles, au juste ?

— Ah… »

Le regard de la sorcière s’éleva vers la cime des arbres, où leur feuillage automnal se découpait sur une lune aux courbes imparfaites.

« Je présume qu’une vie au beau milieu de la forêt ne permet pas vraiment de connaître tous les préceptes d’Albeus, n’est-ce pas ? » Les joues de Melion prirent la même teinte que la frondaison. N’y prêtant guère attention, elle poursuivit d’une voix claire. « Le Dieu Blanc, c’est le dieu de la lumière, celle qui apporte la vie. Jusqu’ici, je pense que je ne t’apprends rien. Mais c’est aussi un dieu de la vérité, la plus crue qu’il soit, car la lumière révèle tout ce qu’elle frappe, et nul ne peut espérer cacher sa vraie nature une fois éclairé. Pourtant, il existe des choses qui lui échappent. Des recoins où l’ombre règne en solitaire. Des ténèbres, rien de plus. Et dans ce royaume aux marges du monde gouverne Lathréa, la déesse de ce qui doit rester secret.

— Ce qui doit rester secret ? répéta Melion, dubitatif. Qu’est-ce que tu veux dire ? Tu parles des Souffles ?

— Entre autres. Selon certaines conceptions, les Souffles appartiennent au monde des ombres et leur manipulation briserait un secret que les mortels ne peuvent apprendre. Pour les adeptes de cette vision, c’est un sacrilège que d’amener à la lumière ce qui n’aspire pas à s’y trouver, et inversement.

— Mais pourquoi ? Quel mal il y a à ça ?

— Ravie de voir que nous partageons la même opinion, répliqua Vesper d’un sourire aiguisé. Si certaines personnes sont capables de plier les Souffles à leur volonté, alors pourquoi s’en priveraient-elles ? Tout ceci n’est que superstition. D’ailleurs, tu sais quel secret ne doit jamais être dévoilé ? Le mystère le plus absolu, celui qu’on ne peut résoudre impunément ?

— Non.

— La mort. »

Les sourcils épais de Melion se froncèrent. Il progressa de plusieurs pas distraits lorsqu’un craquement sous sa semelle lui provoqua un sursaut. Ses yeux passèrent du sol à Vesper, laquelle l’observait avec un air amusé.

« Les défunts ne doivent jamais souffrir d’un repos troublé, reprit-elle. Une fois que des yeux se ferment, ils ne peuvent contempler la lumière de nouveau. Les écrits sont sans équivoque à ce sujet. Tu sais ce que cela veut dire ? » Son interlocuteur secoua la tête. « Si c’est interdit, ça veut dire que ça s’est produit. Et si ça s’est produit une fois, mon cher, alors quelqu’un pourrait le provoquer une fois de plus. »

Vesper leva son visage vers la lune, dont la pâleur rivalisait avec celle de l’astre. Ses lèvres s’étirèrent encore, repoussant les ombres qui accentuaient l’expression quiète qu’elle arborait. Sans même devoir se tourner vers son compagnon, elle pouvait sentir l’intensité de son regard posé sur elle. Elle en devinait l’éclat qui y brillait, sans une once de réserve, tout comme les mots qui se formaient dans son esprit en cet instant même.

« Si c’est ce que tu veux, je ferai tout mon possible pour que tu y parviennes.

— Oui. Je sais, fit-elle d’un ton léger avant d’entendre la fin de la phrase. En attendant, cette clairière devrait faire l’affaire. »

Du doigt, elle pointa un chemin en contrebas qui sillonnait en direction d’un chaos de rocs massifs. Polies par les éléments, les pierres s’amoncelaient les unes au-dessus des autres comme les briques d’un mur titanesque. À leur pied, un étang éprouvé par la rudesse de la saison dernière se recroquevillait dans son lit sablonneux.

Sans la nécessité d’un autre avis que le sien, la sorcière s’engagea sur la pente ardue et évita d’un pas agile les racines que les arbres dressés à flanc de falaise avaient déployées en pièges mortels. Elle sauta d’un bond sur l’amas de feuilles mortes qui s’affaissa sous son poids puis marcha en fredonnant jusque l’étang. Une chute d’eau au faible débit s’échappait d’une faille entre les rocs et se déversait en de douces notes feutrées jouées au rythme de la respiration léthargique de la forêt.

Un son mat marqua l’arrivée de Melion dans la clairière. Il s’avança vers la magicienne lorsqu’une silhouette étirée surgit d’un fourré pour filer ventre à terre dans les sous-bois. Les muscles bandés, ses yeux écarquillés suivirent l’animal effarouché jusqu’à sa disparition quelques mètres plus loin. Les bruissements évanescents de sa course effrénée lui indiquaient cependant la position de la bête avec une précision fatale.

« À ta place, j’éviterais d’obéir aux instincts d’une apparence que tu ne possèdes plus. »

Comme un rappel à l’ordre, la voix railleuse de Vesper tempéra ses pulsions chasseresses. Son attention délaissa la créature pour s’attarder sur la sorcière. Agenouillée près de l’eau, elle en effleura la surface et observa l’onde créée par la pulpe de son index se propager.

« Tu ressens quelque chose ? demanda-t-elle tandis que le souvenir de son geste avait déjà disparu parmi les rides de l’étang.

— On dirait… que mes sens sont apaisés, répliqua-t-il après quelques secondes d’hésitation.

— Oui. Les Souffles sont particulièrement harmonisés ici. »

Vesper balaya la clairière d’un regard songeur. La remarque de Melion lui faisait prendre conscience de cette accalmie qui s’emparait d’elle peu à peu. Les Souffles se mouvaient, s’agitaient et s’altéraient sans cesse, elle ne pouvait ignorer leurs mouvements perpétuels. Un tel instant de répit lui rappelait la façon dont le brouhaha des places de marché s’atténuait lorsqu’elle les traversait pour se réfugier au fond des ruelles.

« Je vais tenter de manipuler tes Souffles internes, déclara-t-elle en se relevant. Ton aura est troublée. Cette apparence n’est pas naturelle et je doute que tu puisses la tenir longtemps. Je me demande, tu as mal ? »

Melion baissa les yeux, babines retroussées. La sensation de l’étau autour de son cœur n’avait pas disparu, il n’avait fait que l’oublier. Sa réponse se dessinait sur ses lèvres lorsqu’une soudaine nausée lui prit les tripes. La souffrance le plia et lui arracha un grognement. Il releva la tête. Vesper se tenait droite devant lui, les paupières closes.

Son cœur meurtri battait à tout rompre. Acceptant la douleur qui crispait le moindre de ses muscles, il s’abandonna au pouvoir de Vesper et ferma les yeux à son tour.

Le temps lui parut éternité. Pourtant à en sentir les odeurs alentours, il n’avait quitté le monde que pour quelques minutes à peine. Melion se redressa, sans le moindre souvenir d’une chute, et resta assis un moment pour contempler ses mains.

Des mains indubitablement humaines.

« Je préfère voyager avec un loup à mes côtés, mais tu semblais pencher pour ton autre apparence, alors… »

La sorcière haussa les épaules et croqua dans la pomme qu’elle tenait. Lorsqu’il n’en resta qu’un trognon, elle le jeta dans les fourrés puis se leva de son rocher pour se diriger vers son camarade.

« Tu es poilu comme un ours et tu sens encore le chien, cela dit tu constateras par toi-même une nette amélioration. »

Son index pointa l’étang. Melion observa sa surface placide d’une mine encore stupéfaite avant de se mettre sur ses deux jambes. Si la marche bipède demandait toujours un effort, ses réflexes s’accommodaient déjà de ses articulations parfaitement assemblées.

Il passa devant Vesper, lui rendit un sourire maladroit, puis s’accroupit devant le miroir que lui tendaient les sous-bois. Un visage masculin à la mâchoire prononcée et aux joues creusées lui rendit son regard empli d’appréhension. Il tâta son nez droit, passa un doigt sur ses lèvres fines, puis dégagea une mèche de cheveux emmêlés pour observer ses oreilles.

« Oui… Il reste des détails, ajouta Vesper dans son dos. Mais si tu gardes tes cheveux lâchés, personne ne remarquera ces oreilles un peu trop hautes et pointues. Et pour ce qui est des yeux, et bien, ils ont au moins l’avantage d’avoir une forme humaine. »

Melion se pencha davantage. La couleur de ses yeux demeurait celle d’une bête sauvage. Il montra les dents à son reflet et découvrit une rangée d’incisives à l’écart inégal entre des canines considérables.

« …Et évite de sourire, compléta la sorcière. Enfin, ce n’est pas comme si qui que ce soit s’attendait réellement à croiser un lycanthrope de toute façon. Moi la première… »

Pensive, elle remarqua à peine les mouvements de Melion pour se redresser et ne tourna la tête vers lui que lorsqu’il lova la sienne dans le creux de son cou.

« Merci, murmura-t-il.

— Allons, ce n’est rien, répliqua Vesper prise au dépourvue, tâchant de se libérer de son étreinte. Tu ne pouvais pas rester comme ça, toute tentative d’atteindre discrètement l’Austrasie aurait été vaine. »

La sorcière s’éloigna d’un pas. Bras croisés, elle posa sur son compagnon un regard encore peu familiarisé. Elle pouvait lire l’étonnement dans ses yeux d’ambre, bientôt remplacé par l’ombre d’une réflexion.

« Qu’est-ce qu’il se passerait si nous étions découverts ? demanda-t-il d’une voix grave et claire que Vesper peinait à reconnaître.

— Honnêtement, je n’en suis pas certaine. Les cultes de l’Austrasie sont bien plus sévères que ceux de la Neustrie, ce n’est pas pour rien qu’on l’appelle l’Empire-Saint. Préparons-nous au pire, et nous verrons bien. »

Tournant les talons, Vesper récupéra son sac puis étudia les chemins qui s’offraient à elle. Derrière, les pas de son camarade se faisaient presque inaudibles.

« Ça ne t’effraye pas, pas vrai ? s’assura-t-elle.

— Non. Mais pourquoi tu souhaites t’y rendre ?

— Parce que peu de gens vont oser le faire. Et si le vieil abbé a raison, j’ai de la concurrence dans le coin. »

Une brise caressa sa joue, une marque rose témoignant de son baiser glacé. Un léger sourire ornait ses lèvres tandis qu’elle étudiait un chemin qui serpentait discrètement entre les arbres.

« J’ai plutôt apprécié son petit discours, par ailleurs. Sur le changement des Souffles. Il a confirmé ce que je soupçonnais, quelque chose a changé et personne ne sait comment réagir. Tu sais, je ne peux me souvenir du monde tel qu’il était avant moi. Mais il semble clair que le rideau est tombé pour s’ouvrir sur un nouvel acte. Et toi et moi, il nous reste toute une vie pour assister à son dénouement. »

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AlexRiver
Posté le 09/04/2024
Hello !
Raaah, c'était tellement plaisant que j'en aurai bien lu quelques pages de plus !
J'aime beaucoup Melion, cette petite « forme-pensée » ou égrégore, bref dans l'idée, une création grâce aux Souffles, j'imagine :) Je le trouve attachant/attendrissant... Je ne saurai pas te dire pourquoi... Peut-être parce que Vesper à l'air plus détachée vis à vis de lui, qu'elle le voit comme une création. Alors que Melion lui témoigne une forme d'affection une fois avoir pris une forme plus humaine. Curieuse de voir comment ce tandem va évoluer !

J'ai été surpris de voir le mot « ais » dans son sens le plus ancien ! Ça m'a rappelé des souvenirs de mon CAP d'art de la reliure, car les ais, ce sont les planchettes qu'on utilise pour les mises en presse ^^
J'ai énormément aimé le discours sur le dieu blanc, la lumière, l'ombre et les défunts. Ça me parle tout ça ;)

Et tu as vraiment une belle plume. Continu, tu peux être sûre que je lirai la suite avec attention ! Cette histoire de manuscrits volés et de Souffles, ça soulève pas mal de questions...

À bientôt !
October Rust
Posté le 01/05/2024
Hello !
Désolée pour cette réponse (très) tardive, la motivation n'ayant pas été au beau fixe ces derniers temps j'ai pas trop pointé mon nez par ici
Néanmoins je te remercie une fois de plus pour ton commentaire très sympathique, je suis contente de savoir que mon histoire t'intrigue et que ma plume te plaise !

Effectivement, j'ai voulu que Melion soit attachant pour le lecteur. J'ai parfois peur de forcer un peu la chose et que ce ne soit pas du tout subtil, donc j'essaye encore de calibrer. Quant à sa vraie nature, ça va rester un petit mystère pour quelques temps :p

Merci encore, à bientôt !
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