II. Te retrouver — 09 juin au 15 juin 2010

Par Callie

« Pourquoi la plus douce amitié est-elle celle qui lie les personnes d'un sexe différent ? C'est que cette amitié est toujours, à notre insu, parfumée d'un peu d'amour. »

Auguste GUYARD, Quintessences (1847)

J'ai l'impression que depuis toute petite, je n'ai jamais cru à l'amitié fille-garçon. J'ai toujours redouté l'ambiguïté d'une telle relation. Peut-être que l'idée s'était pleinement insinuée dans mon esprit au début de mon année scolaire, lorsque mes parents ont débarqué à Reykjavík. Après tout, c'est ce qu'on dit partout, non ? C'est la seule chose qu'on t'apprend. Qu'un homme et une femme, c'est supposé finir ensemble. Le mariage, la maison, les gosses, le chien, la vie parfaite. On range tout ça dans des cases et y'a pas d'autres moyens, c'est le schéma qu'on doit suivre pour avoir une belle vie. 

Des clichés. C'est tout ce qu'il y avait dans ma tête. J'étais incapable de me faire ma propre idée de ce monde, t'y crois ça ?

En septembre 2014, J'avais entamé ma deuxième année de licence de mon double cursus droit et informatique - j'avais pour projet quelque chose dans la cybersécurité -, nouvelle université, nouveaux amis. Bref, un bordel incroyable. Pendant que mes parents défaisaient les cartons, j'apprenais à découvrir la ville tout en maudissant mon père pour sa mutation dans la capitale.

Mes premières rencontres ici avaient été douces, je te l'accorde. Puis de plus en plus houleuses, délirantes et je me suis laissée embarquer parce que je découvrais et j'avais aussi envie de m'émanciper, je pense. Vers la fin de l'année, je dérivais complet. J'enchaînais les soirées tout en peinant à garder un niveau stable pour poursuivre l'année prochaine plutôt que retaper. Tout le putain de cliché que j'étais. Sauf que voilà, tu es apparu. Il faut toujours quelque chose, quelqu'un pour faire basculer une histoire, pour faire basculer quelqu'un, pas vrai ?

Dans mon histoire, c'est toi.

Te retrouver était devenue ma nouvelle obsession après que tu m'ais volé mes affaires. Pas parce que j'avais été séduite par ton côté badboy, loin de moi cette idée de vouloir tes bras, j'étais pas tombée si bas. La seule chose que je souhaitais retrouver, c'était mes souvenirs. Ceux que tu m'avais volé.

Alors, pendant une longue semaine, au milieu des cours d'informatique et de droit à l'université et des engueulades avec ma famille, je t'ai traqué. Tu ne le savais pas encore, mais j'étais déjà une bête en crackage de téléphone malgré mon jeune âge. J'étais sûrement déjà vouée à sombrer dans le dark web ou à travailler pour la NASA à cette époque. Et à ton plus grand malheur, j'ai découvert les premières facettes de ta vie. Il faut dire que ton mobile était curieusement fourni pour un simple voleur.

J'ai appris à te connaître à travers les clichés de ta vie que j'ai vu et revu. Ici, tu semblais avoir été pris en photo à ton insu avec un gamin légèrement plus jeune. Vous aviez les mêmes traits, alors j'en ai déduis qu'il s'agissait de ton jeune frère, pourvu que tu en ai un. Là, tu semblais être à une soirée avec des potes comme un ancien lycéen. Dans celle-ci, tu embrassais quelqu'un. Loin de moi de vouloir te mettre une étiquette sur cette semaine d'apprentissage, mais j'ai bien compris que je n'avais pas affaire à un voleur de grand-mère expérimenté ou à un camé en mal d'héroïne.

De ce que j'avais pu récolter ensuite à ton sujet, tu avais eu une enfance assez difficile, mais elle ne semblait pas expliquer tes actes. La question se posait donc : pourquoi étais-tu devenu un voleur ? Est-ce que c'était une technique de drague ? Ton téléphone, par terre, c'était volontaire ? Parce que c'était terriblement nul et inefficace. Et puis, tu avais de quoi avoir les femmes à tes pieds avec un faciès comme le tien, pas vrai ? Elles venaient te lécher les basques juste pour posséder un bel homme qu'elles n'aimaient pas vraiment, simplement pour frimer.

Cette histoire ressemblait carrément à un mauvais début d'une romance entre une fille banale et un badboy ténébreux. Mais tu avais l'air d'être un homme qui se contentait de ce qu'il avait sans chercher à avoir davantage. Tu t'appelais Abel Einarsson. Tu avais deux ans de plus que moi. Et tu avais été à l'université, toi aussi. Mais on ne s'était jamais croisés. Puis après, difficile de savoir quelles études tu suivais.

Je suis restée pendant une nuit entière après ces révélations à me poser des milliers de questions à ton sujet, cherchant à comprendre, à saisir tes raisons qui m'échappaient. Pourtant, je savais que les réponses n'étaient pas bien loin, il fallait simplement creuser davantage, chercher au bon endroit. Alors, j'ai persévéré.

Dans ton téléphone, il y a un numéro que tu appelais souvent. J'ai décidé de rappeler cette personne mais il n'y avait rien au bout du fil. « Ssssh ... Zzzzzh ... » Ça grésillait comme un bruit de radio, puis j'ai tenté de communiquer « Allô ? Y'a quelqu'un ? » Mais il y avait encore un long silence pesant. Pendant un moment, j'ai espéré. J'imaginais la personne à l'autre bout de l'appareil, tenant le téléphone entre ses mains tremblantes, n'osant pas lâcher un mot. Alors timidement, il préférait écouter jusqu'à ce qu'une voix ne se prononce. « Allô ! Répondez, bon sang ! Je vais pas vous manger ! » Mais malgré tous mes efforts, j'ai eu aucune réponse au bout du fil. Quelques grésillements sur la fin, des bruits réguliers qui ressemblaient à des bips puis on a rapidement raccroché de l'autre côté dans un son assourdissant à m'en détruire les oreilles. « Pff, tous des cons ! »

Heureusement, l'appel avait été suffisamment long. Je suis donc parvenue à localiser l'appareil. Et c'est ainsi que tu m'as directement guidé à toi, Abel. Tu avais semé derrière toi des petites miettes de pain comme le ferait le Petit Poucet. Était-ce un appel à l'aide ou tu agissais simplement par mégarde ? Petit voleur du dimanche ou serial-killer ?

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