Juillet I

Par Plulume

Un mardi, nous avions pris le train bondé qui va jusqu’à la capitale. Il n’y avait pas assez de place alors on s’était assis dans le couloir, juste devant les portes automatiques, à côté d’une jonction grinçante entre deux wagons. Il faisait chaud. Les garçons étaient torses nus sous leurs chemises ouvertes. Loïs lisait un roman policier, Masha et Naomi se disputaient gentiment en jouant aux cartes et Jean somnolait, la tête sur mon épaule.

 

Bercée par le bringuebalement du train, je regardais par la fenêtre le ciel insolemment bleu coupé par des fils électriques. Je me souviens d’avoir pensé que nous étions probablement au sommet du bonheur.

 

Tout cela avait commencé environ deux ans plus tôt, aux cours d’éloquence & écriture créative organisés le mercredi après-midi par Mme Blangeois, professeure de français pour les classes de quatrième année et fanatique absolue de Charlie Chaplin. Dans la salle 42 du deuxième étage, entre des bancs et des chaises couvertes de chewing-gums et de graffiti, était né un espace de liberté d’expression comme nous n’en avions jamais expérimenté.

 

Mme Blangeois, que nous appelions Audette sans avoir jamais su si c’était là son vrai prénom, nous parlait d’une voix rauque, une cigarette invariablement coincée entre ses lèvres peintes d’un rouge profond. La salle 42 étant bien entendu dépourvue de détecteur de fumée.

 

Je l’adulais.

 

Je me souviens du premier jour, quand Nino est entré dans la pièce. Il avait cette allure presque ringarde avec son foulard noir négligemment enroulé autour de son cou et son vieux sac en cuir, inévitablement rempli de bouquins, qu’il portait en bandoulière.

 

En quelques secondes, il avait posé avec fracas son sac sur une chaise, s’était avancé vers Audette et, l’air le plus naturel du monde, lui avait claqué une bise sur chaque joue. J’étais un peu décontenancée, mais ce n’était que le début.

 

Loïs et Naomi avaient fait leur entrée peu après, bras-dessus bras-dessous. Lui, beau et maigre tout à la fois sous une tignasse rousse et elle, ses grands yeux clairs tranchants avec ses cheveux bruns qui tombaient jusqu’à une bouche extraordinairement arrondie. Ils avaient des bagues à chaque doigt et des bracelets aux chevilles. Leurs sourires silencieux sentaient la fumée.

 

Masha n’était venue qu’à partir du mercredi suivant. Elle s’était assise dans le fond et n’avait pas décroché un mot de l’après-midi.

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Raph
Posté le 14/05/2020
Hello,
Ton écriture est vraiment chouette ! On s'attache immédiatement aux personnages, et chaque phrase sonne juste. J'aime beaucoup, et j'ai hâte de voir la suite.
Plulume
Posté le 17/05/2020
Merci de passer par ici ! C'est toujours un plaisir pour moi de lire des retours positifs. A bientôt !
Liné
Posté le 04/05/2020
Hello !

Tu arrives très bien à parler "de tout" en parlant "de rien". En l'espace de quelques secondes de vie, les personnages nous plongent dans leurs pensées et le passé/les souvenirs prennent tellement le pas sur le présent qu'on ne sait plus où regarder, exactement, et c'est très agréable :-)

Tu as déjà écrit la suite, ou tu avances plus à tâtons ?

A bientôt j'espère !
Plulume
Posté le 05/05/2020
Hello ! Merci beaucoup. Et, oui, une suite existe. C'est en cours de... retouches !

A bientôt donc.
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