Juillet II

Par Plulume

Les secousses du wagon avaient fini par s’arrêter. On avait sauté hors du train. La ville était pleine de sa caractéristique effervescence, et en fredonnant « Bruxelles, ma belle », on avait couru, mains dans les mains, sur les pavés inégaux des ruelles étroites du centre-ville. Les pigeons comme les passants s’écartaient sur notre passage et la mine outragée de quelques touristes aux sourcils froncés nous avait provoqué une irrépressible envie de rire.

 

  • Nino, avait demandé Naomi entre deux respirations haletantes. Pourquoi on ne prend pas le métro ? 

 

  • Parce que c’est le propre de la jeunesse que de courir alors que rien ne presse !

 

Notre cavalcade avait pris fin devant les marches d’un musée d’art contemporain quelconque. Comme des mômes, nous avions alors flâné gaiement entre les allées, progressant de façon disparate. Masha, en tête, se lançait dans de vastes contextualisations historiques que nous écoutions d’une oreille distraite. Loïs et Naomi prenaient des photographies à l’ancienne devant des aplats de couleurs bleues, en riant si fort que je craignais parfois qu’ils ne se fassent sortir par le gardien.

 

Je suivais Nino à la trace, car j’aimais le regarder lorsqu’il était confronté à la beauté. Il semblait toujours si concerné, presque triste, en fait. De temps à autre, il se tournait vers moi pour glisser un doigt le long de mon épaule.

 

  • Tu vois, murmurait-il, ce que les hommes sont capables de produire. C’est incompréhensible…

 

Cette tendresse qu’il avait envers moi n’était ni nouvelle, ni significative. Nino aimait Léna, une jeune violoniste allemande qu’il avait rencontrée pendant un voyage à Berlin. Dès septembre, ils emménageraient ensemble dans un de ces greniers insalubres que des propriétaires quinquagénaires faisaient passer pour des appartements. Elle irait au conservatoire, juste en bas de la rue. Et lui, suivrait des cours de cinéma à l’école nationale.

 

C’était le plan. Nino ferait des films qui me révéleraient en tant qu’actrice. Masha ouvrirait une galerie d’art et Naomi y exposerait ses dessins. Quand Loïs reviendrait d’un de ses grands voyages au Népal ou en Ethiopie avec des milliers de photos, on irait fêter nos retrouvailles en allant voir Jean en concert.

 

Nous avions conscience que tout cela n’arriverait probablement jamais. Mais je pense qu’on s’en fichait. Le rêve était peut-être encore plus jouissif que son accomplissement.

 

Un peu plus tard, nous étions de retour sur le grand escalier pour manger une glace à l’eau sous le soleil encore haut. Le cou tendu, la tête penchée vers l’arrière, je laissais les rayons entrer dans chaque pore de ma peau comme si j’avais la capacité d’emmagasiner de la lumière. C’est le moment qu’avait choisi Jean pour annoncer :

 

  • Je pars.

 

Puis après un silence et une grande inspiration :

 

  • Je vais rejoindre mon oncle à Paris, celui qui tient un magasin de musique. Le conservatoire, ce n’est pas pour moi. Là-bas, j’aurai peut-être la chance de rencontrer des artistes, de me lancer tout en ayant un autre job que serveur dans un café... Vous comprenez ?

 

Et encore, avec conviction :

 

  • Je prendrai le train dans trois jours.

 

Je me souviens que Nino s’était levé lentement, le regard perdu dans le lointain. Il avait marqué un temps d’arrêt, puis subitement, s’était tourné vers Jean. Visiblement empreint d’une émotion que je ne savais déchiffrer, il avait demandé doucement :

 

  • Lucas ?

 

  • On en a parlé, avait souri Jean. Ça va.

 

  • Ça va ?

 

  • Oui.

 

  • Bon, avait déclaré Nino en croisant les bras avec une détermination nouvelle. Alors il est l’heure d’organiser la plus mémorable soirée d’au revoir que nous ayons jamais connue !

 

Naomi avait pleuré en silence sur le trajet du retour. Mais, à travers ses larmes, le sourire vacillant qui étirait sa bouche était une des plus belles choses du monde. Masha avait attrapé la main de Jean pour ne plus jamais la lâcher et Loïs m’avait murmuré à l’oreille les paroles de la chanson de John Denver :

 

So kiss me and smile for me,

Tell me that you’ll wait for me,

Hold me like you’ll never let me go.

I’m leaving on a Jetplane

Don’t know when I’ll be back again.

Oh babe I hate to go!

 

Et dans nos émois chuchotés, dans notre tendre harmonie, dans notre chagrin rieur, il y avait tant et si peu. Toute la beauté de l’univers et pourtant un sentiment de vide gigantesque. Terrifiant.

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haroldthelord
Posté le 24/07/2020
Bonjour,
Pour l’instant je trouve cela bien écrit, il y a de la musique mais je ne vois pas l’histoire où ça va, je me sens un peu perdu.
Mais j’attends la suite.
Plulume
Posté le 08/08/2020
Merci pour ton commentaire !
Liné
Posté le 12/05/2020
C'est "marrant", la nostalgie (ou plutôt, la nostalgie à venir) est tellement omniprésente dans ce chapitre que j'ai l'impression qu'une catastrophe est sur le point d'ajouter son grain de sel...

C'est toujours aussi bien écrit, un vrai régal. Du coup, puisqu'on est encore au début de l'histoire et que les chapitres sont courts, je n'ai rien de vraiment constructif à dire à part que les tirets des dialogues se sont transformés en bullet points.

A bientôt !
Plulume
Posté le 17/05/2020
Bonjour,
Je te remercie de suivre cette histoire. Oui, la nostalgie est très présente... les choses sérieuses commencent bientôt, c'est promis !
J'ai remarqué ce petit problème de tiret. J'essayerai d'y remédier.

A bientôt !
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