La bête sauvage
L’équipage avait décidé d’accepter la proposition de Waï Jay en séjournant au camp provisoire jusqu’au lendemain matin. La fin de journée se déroulait de manière très détendue. La plupart des hors-mondes s’étaient assis ou allongés dans l’herbe, d’autres préparaient le repas à partir des bases. Ils lisaient, discutaient, heureux de profiter d’un air libre et pur, du soleil et du paysage, tout ce dont ils ne bénéficiaient pas sur le cargo. Quelques-uns, hommes ou femmes, avaient même revêtu les robes trouvées dans les logements, pour être plus à l’aise.
Assis entre Diego et Karl, Calixt observait Dragon. Ulys l’avait déposé dans l’herbe au milieu des bungalows. L’animal sembla d’abord paralysé par cette surface mouvante qu’il ne connaissait pas. Puis, comme les tiges lui chatouillaient les moustaches et le ventre, il se mit à faire des bonds pour les éviter. Calixt était partagé entre le rire et l’envie de lui venir en aide. Quand il fut sûr que ces espèces de poils verts sortant du sol n’allaient pas l’attaquer, le félin se détendit et entreprit une visite des lieux, puis une chasse aux insectes. Calixt cessa de s’inquiéter pour lui.
Skull revint de son entrevue avec le président de région.
– Alors ? demanda Darwin qui mâchonnait un épi jaune. Qu’est-ce qu’il a répondu, Dji Ef ? Il va nous le donner, ce dédommagement ?
– Oui. Je n’ai même pas eu à taper du poing sur la table. Il a prétendu qu’ils avaient mal évalué les dégâts avant d’émettre l’alerte. Mais il n’a pas montré le moindre signe de remords.
– Incroyable ! lança Diego. Quelle bande de bluffeurs, ces Stadiens !
– Tu es sûr qu’ils vont bien nous verser la somme ? demanda Victor Charque à travers son respirateur.
– C’est déjà fait : trente mille unités qui ont bien été créditées. Au moins, ce détour ne nous aura rien coûté, hormis les quelques jours de retard.
Alors qu’une partie de Walrus game commençait entre les bungalows, Calixt décida d’aller se promener aux alentours du camp avec Ulys, Livingstone et Diego.
– On ne les entend plus crier, constata Calixt au bout d’un moment.
– Tu regrettes de ne pas être resté pour jouer ? demanda Diego.
– Non, répondit le garçon après réflexion. Une balade dans les champs, je sais que je ferai pas ça tous les jours. Alors même si j’adore le Walrus game…
– Le meilleur jeu de la galaxie ! s’exclama Diego en levant les mains vers le ciel.
Dans son geste un peu trop enthousiaste, une des pointes de son bras griffa l’épaule de Calixt qui ne put contenir une exclamation.
– Oh non ! Encore ? gémit aussitôt le géant. Je suis vraiment désolé !
Calixt savait que c’était vrai. C’était loin d’arriver pour la première fois et Diego s’excusait toujours pendant des heures, ensuite. Le garçon ne lui en voulait jamais, mais déplorait que les ornements un peu agressifs du géant soit un obstacle entre eux. Il devait souvent réfréner les impulsions qui le poussaient à lui donner un coup de coude, à grimper sur son dos ou juste à se rapprocher de lui comme il avait toujours vu ses cousins le faire avec leur père, sous peine d’être piqué ou griffé. De son côté, Diego semblait aussi chercher cette proximité entre eux. Il lui avait plusieurs fois ouvert les bras après une rigolade ou un break marqué au Walrus game, puis les avait laissé retomber en considérant ses clous d’un air à la fois triste et étonné. On ne pouvait pas dire, pourtant, qu’il ne touchait jamais personne. Calixt avait remarqué que Karl et lui s’effleuraient souvent les bras ou les mains, mais c’était toujours des gestes très mesurés.
Calixt s’empressa de rassurer son ami pour faire disparaître son regard abattu :
– C’est rien ! Ça fait même pas m…
Il s’interrompit, les yeux agrandis de surprise :
– Ooooooh ! Regardez !
Un animal cornu se tenait à quelques mètres d’eux.
– Une vache ! s’exclama Livingstone en battant des mains.
– C’est une vache ? demanda Ulys à mi-voix.
– Elle semble sauvage, dit Diego qui paraissait aussi fasciné.
Calixt n’osait pas bouger. Pour rien au monde, il ne voulait faire fuir la bête avant d’avoir pu la regarder tout son saoul. Il ne se rappelait pas d’avoir jamais ressenti un tel émerveillement. Il aurait bien aimé l’approcher davantage, caresser son nez gris, mais il savait bien qu’elle ne le laisserait pas faire. Rousse, efflanquée, elle possédait des cornes impressionnantes dont les pointes étaient dirigées vers l’avant. Pourtant elle n’avait pas l’air menaçante, mais plutôt inquiète ; elle grattait le sol en soufflant par les naseaux.
– On ferait peut-être mieux de reculer, hésita Diego. Elle a de sacrées cornes !
Après un dernier coup de pied nerveux dans la terre, la vache fit demi-tour pour s’éloigner au trot.
– Viens Calixt, on la suit ! décréta Ulys en s’élançant. C’est la première fois qu’on voit un animal sauvage, nous !
Cal ne se fit pas prier, et les deux adultes leur emboîtèrent le pas. La poursuite dura quelques minutes, puis ils perdirent la vache des yeux.
– Où elle est passée ? s’étonna Calixt.
– Elle allait par là, s’exclama Livingstone très excité, avant de foncer dans la direction indiquée.
– Liv, attends ! lui cria Diego tandis que le bonhomme s’enfonçait entre les arbres.
Au bout de quelques secondes, ils entendirent sa voix :
– Venez !
Lorsqu’ils le rejoignirent, il se tenait à l’entrée d’une clairière. Un petit véhicule biplace stationnait devant un hangar du même type que ceux qu’ils avaient vus sur le lieu du séisme. À une cinquantaine de mètres sur la droite, à côté d’une grosse butte de terre, se dressait une sorte de cabine dépourvue de fenêtres, mais munie d’une porte au-dessus de laquelle clignotait un voyant rouge.
– On dirait un sas ou une cabine de monte-charge, dit Diego. Mais qu’est-ce que ça fait au milieu de nulle part ?
Avant que quiconque puisse répondre, Waï Jay émergea de derrière le hangar en pointant une arme sur eux. Dès qu’il les reconnut, il l’abaissa et leur offrit un large sourire.
– Bonjour, dit-il. Vous visitez ? Je crains que cet endroit ne présente rien de très intéressant.
– Qu’est-ce que c’est ? lui demanda Diego.
– Ce sont les vestiges d’une ancienne mine. Elle est désaffectée depuis longtemps. D’ailleurs, vous ne devriez pas vous tenir là : avec nos séismes permanents, la stabilité du sol au-dessus des galeries est loin d’être assurée.
Tout en parlant, le contremaître leur indiquait du bras la direction d’où ils étaient venus. L’allusion était claire : il les invitait à repartir vers le camp.
Sur un geste de Diego, les quatre visiteurs obtempérèrent.
– Et toi, que fais-tu là ? demanda le géant sur le ton de la conversation. Tu chasses ? Dis-moi que tu ne tires pas sur la vache que nous venons de voir !
Waï Jay éclata d’un grand rire franc.
– Oh non, bien sûr ! Je ne ferais aucun mal à nos chers bovins ! Ils ont été amenés sur Stadium par les premiers colons, vous savez ? Depuis, ils sont retournés à l’état sauvage, mais on les adore, ce sont un peu nos mascottes. Je me promène tout simplement, comme vous, déclara-t-il avec un geste théâtral qui englobait le paysage autour d’eux. J’aime observer la nature.
– Avec un fusil-laser ? interrogea encore Diego.
L’homme lança un regard étonné à l’arme qu’il portait à bout de bras, comme s’il avait oublié sa présence.
– Figure-toi que nous n’avons pas trouvé mieux pour tailler les arbres. Il faut bien entretenir la forêt !
Calixt se sentait extrêmement mal à l’aise. Il voyait bien que Diego n’était pas du tout convaincu. Pourtant, celui-ci interrompit d’un petit signe la remarque que Livingstone s’apprêtait à émettre. Il avait soudain l’air pressé de rentrer. Waï Jay les regarda s’éloigner avec de grands saluts de la main, un sourire débonnaire plaqué sur la figure. Lorsqu’il se crut hors de vue, il fit demi-tour en épaulant de nouveau son arme. Décidément, il ne s’occupait pas de l’entretien des bois.
De retour au campement, ils racontèrent leurs deux rencontres. Des exclamations émerveillées fusèrent à l’évocation de l’animal.
– Sérieux ? souffla Tan, dépité. Vous avez vraiment vu une vache ? Oh, j’aurais bien voulu !
– Moi aussi, approuva Oxan. Tant pis, je suis sûre qu’on en verra d’autres ailleurs.
– Ce caillou est très agréable, décidément, déclara Skull en contemplant les environs. Dommage que ses habitants ne soient pas à son image ! Arnaqueurs, fainéants… et armés, en plus.
– Tu peux ajouter menteurs, Capitaine, lâcha Diego.
– Pourquoi ?
– Parce que Waï Jay nous a raconté des bobards. La mine n’est pas désaffectée.
– Qu’est-ce qui te fait dire ça ?
– Le hangar et le sas étaient en parfait état. Et surtout, la terre sur la butte était fraîche. Extraite tout récemment, à mon avis.
Skull parut perplexe, puis il haussa les épaules.
– Bah, je ne veux même pas savoir le pourquoi de cette autre entourloupe. Profitons de la soirée. Demain, on file !
L’assemblée approuva en riant, puis s’éparpilla tandis que Diego proposait une nouvelle partie de Walrus game.
– On fait équipe, Tan ? demanda Calixt.
Mais son cousin ne répondit pas : il avait disparu.
– Il est sûrement parti pour tenter de retrouver la vache, dit Karl en avisant sa mine préoccupée.
Calixt essaya de sourire, mais l’image du fusil entre les mains de Waï Jay l’en empêcha.
– T’inquiète pas, dit Karl en lui ébouriffant les cheveux. Je vais le chercher.
Il s’éloigna vers les bois.
Dans la lignée du précédent, le mystère de la planète s'épaissit. La fin de ce chapitre semble annoncer un lancement imminent dans l'action. J'ai hâte !
L'image de la vache était amusante au milieu de tous ces robots et vaisseaux.
Intéressant de reparler du Walrus Game, ça permet de faire du lien...
Je vais devoir m'arrêter là pour aujourd'hui, mais un vrai plaisir de te lire !
A bientôt !
Et là, du coup, on sait que les habitants de Stadium ne sont pas seulement arnaqueurs et flemmards mais qu'il y a quelque chose de plus.
Je t'ai répondu dans le désordre, alors je profite de ce message pour te remercier de ce marathon ! C'est vrai que les chapitres ne sont pas très longs, mais tu as quand même bien avancé d'un coup ! Merci pour tes retours et tes remarques toujours aussi pertinentes !
Je me faisais la réflexion par contre, les enfants sont chanceux tout de même d'entendre toujours les discussions importantes des adultes, ils sont souvent près de Skull, même si l'équipage est très nombreux.
En fait depuis deux-trois chapitres ça me donne presque l'impression que le rôle de personnages principaux a été déplacé vers les adultes, quand même plus impliqués dans l'action que les enfants, qui sont toujours plus ou moins dans l'attente.
Dans tous les cas, j'ai hâte de découvrir ce que cette planète manigance !
Et d'un autre côté, ça m'intéressait aussi de parler de leur positionnement par rapport aux adultes et de leurs réactions face au tourbillon d'événements qu'ils subissent. Alors c'est vrai que je mets aussi en avant des moments où ils peuvent prendre l'initiative, mais ce n'est pas toujours possible (car ce serait incohérent).
J'espère que ce n'est pas trop chiant quand même et que ça n'empêche pas de les trouver attachants. Et ils vont vite revenir au premier plan, et puis il aura le grand final... (#teaser)
Bref, j'entends ta remarque sans pouvoir y faire grand chose... Je la garde néanmoins à l'esprit !
Merci pour ta lecture et ton retour !
Tiens j’ai une hypothèse (peut-être totalement stupide…) : est-ce que le WOW n’a pas été appelé par erreur, dans le sens où c’est un autre vaisseau qu’ils attendaient ? bon, ce n’est sûrement pas ça du tout, mais la situation que tu installes est bien intrigante…
En tout cas, ça nous entraine dans quelque chose de nouveau et assez dépaysant, ça relance bien l’action, même si on doit attendre pour en apprendre plus sur les mystères du WOW
Hypothèse intéressante... je te laisse voir par la suite si ça se vérifie ;)
Bon, c'est bien si ce mystère fonctionne... Quant aux mystères du WOW, ils y sont peut-être liés ?... (je dis ça, je dis rien, et je pars en sifflotant)
Prochain chapitre : y a un changement d'ambiance, on va vers du plus trash. Et comme je te le disais, je pourrai t'expliquer mes projets de correction.
Merci pour ta salve de lectures et de commentaires ;) Tu avances comme tu veux dans tes corrections ?
A+
OK, je vais vite lire la suite.