La décision

Je restai incrédule, aspiré dans mon propre corps par un malaise intense. Qui diable avait écrit cela ? C’était une écriture inconnue et le mot ressemblait à une blague complexe et travaillée. Si complexe qu’elle invalidait mon hypothèse de cambrioleur. Quel cambrioleur ferait cela hormis Arsène Lupin ? Qui se donnerait la peine après son forfait de laisser un indice et une signature ? Je sortis de table chancelant et me dirigeais rapidement vers la porte d’entrée. La clé se trouvait toujours sur la serrure telle que je l’y avais laissé la veille. Je tournais la poignée et, après un léger grincement, la porte ne fit pas un mouvement. Comment était-ce possible ? Comment avait-on pu rentrer ? Par la fenêtre ? J’occupais le quatrième étage sans balcon et il n’existait à ma connaissance aucun moyen de passer de ce côté-là, que ce soit par le rez-de-chaussée ou par le toit. De toute manière, la fenêtre avait été gardée close pour me prévenir de la fraîcheur de l’automne. Je vérifiai ensuite l’ensemble de mes effets. Rien ne manquait, rien n’avait été subtilisé ou même déplacé. Tout était strictement à sa place, sauf le mot sur la table qui ajoutait une touche menaçante au décor.

Je m’allongeai un moment pour me remettre de mes émotions. Je prenais de profondes inspirations comme je l’avais appris lors de mes cours de relaxation. Je réfléchissais rapidement. A priori, aucun indice témoignant de l’entrée d’une personne de l’extérieur ne se trouvait dans l’appartement. Il n’y avait que moi, enfin il me semblait, je n’étais plus sûr de rien. Je me pris à penser à cette histoire d’une ancienne sans domicile fixe qui s’était un jour introduite chez une personne et qui s’était dissimulée dans une cache au plafond pendant des années. Elle profitait de la nuit pour quitter son repaire, manger et boire. Lorsque le propriétaire se rendait à son travail, elle profitait alors de toutes les commodités sans ne jamais laisser aucune trace pendant des années. Elle fut trahie par l’installation d’une caméra de surveillance qui révéla son stratagème au propriétaire horrifié. Il était impossible que cela m’arrive. J’avais inspecté consciencieusement tout mon domicile. Je ne découvris rien. Je fus toute de même pris d’un doute. Après tout, peut-être existait-il des trappes secrètes. Je me retournais sans cesse et échafaudais un plan rudimentaire afin de me tranquilliser l’esprit.

Avant de me coucher, j’étalai une fine couche de farine sur le sol. Intrus s’il y a avait, il laisserait des traces confondantes. Cela permettrait également de me confondre si je faisais preuve de somnambulisme. C’était sommaire, mais c’est ce que j’avais de mieux pour le moment. Je l’avais lu dans une nouvelle de Maupassant dans laquelle le protagoniste souhaitait mettre en évidence le passage d’un être invisible. M’étais-je lancé sans le vouloir dans une chasse aux fantômes ? Non, impossible, cela ne peut exister. L’absence de preuve de l’existence de ces êtres impalpables est bien la preuve de leur inexistence jusqu’à preuve du contraire. Ainsi dit la science que je suivais religieusement jusque-là. Non, je voulais révéler la présence d’une personne bien réelle, matérielle qui avait par un moyen dont j’ignorais tout pénétré chez moi. Pris dans un torrent de réflexions, je ne pensai pas une seule fois à contacter la police. Et qu’aurais-je dit ? Que j’avais trouvé une réponse à une phrase que j’avais écrite la veille sur un vieux bout de papier ? Que prendrait cela au sérieux ? D’ailleurs, avais-je besoin de cette aide ? Que risquais-je ? Il y avait des indications sur ce qui arriverait une fois le contrat accepté, mais rien n’indiquait la nature de cette réponse en cas de refus. Je commençais à prendre cette histoire avec sérieux presque sensible au monde de l’invisible. Je ne m’endormis pas tout de suite, je guettais, l’oreille tendue, les nerfs à vif. Le moindre bruit, le moindre mouvement dans l’ombre. Je pensais trop tard que j’aurais pu quitter l’appartement et dormir chez un ami, mais quelque chose me disait que j’emporterais avec moi mon maléfice. Il était également hors de question que je conte cette histoire à quique ce soit. On ne comprendrait pas, on se moquerait de moi et à raison. Peut-être étais-je devenu fou et dans un état de demie conscience, à moitié éveillé, j’avais écrit une suite à mon message initiale. Cela, je n’y croyais pas. Coire, quel mot pour un passionné de science ! Moi qui souhaite savoir et non point placer ma foi dans quelque chose d’invérifiable. Je m’assoupis sans rien avoir entendu ni vu.

Je me réveillai en sursaut aux aurores après avoir rêvé de craquement et de murmures dans la nuit, ceux d’une femme en robe, maigre de dos et qui écrivait sur le fameux parchemin. Je sautais du lit pour découvrir ce qui s’était joué durant la nuit non pas pour savoir si le père Noël avait récompensé toute une année de bonne conduite, mais s’il se trouvait un monstre chez moi. Au départ, je ne vis rien. Les rayons de lumière qui traversaient les stores et frappaient la pièce perdaient leur lutte contre les ténèbres environnantes. Je ne distinguais pas grand-chose. Puis, enfin, je vis une trace devant la chaise semblable à une empreinte de pied nu unique à moitié effacée comme la trace à moitié recouverte du gibier dans la neige. C’est ce que je pensais voir du moins. Cette unique empreinte n’était pas la mienne, elle était trop petite. J’avançais précautionneusement vers la table pétrie de peur. M’attendant à voir la femme surgir d’un recoin. Mais était-ce vraiment une femme ? Les femmes sont faites de chairs et d’os, laissent des traces bien définies quand elles se déplacent. Non, c’était une présence qui écrivait avec un style empreint de féminité plutôt qu’une femme véritable. Je regardais du coin de l’œil le papier et, effectivement, celui-ci était plus rempli que la veille. Cette constatation brisa toutes mes certitudes concernant les causes de cet événement. Le texte présentait la même écriture hideuse.

Était inscrit en dessous du ménage précédant : « Il ne te reste que deux jours, il n’y aura aucune conséquence, si tu décides de refuser, je te laisserai en paix pour le restant de tes jours avec toutes tes questions et tes regrets. Inutile de me chercher dans la matérialité, je suis autre ». La dernière phrase me plongea dans un abîme de terreur. Je m’évanouis pour la première fois de ma vie, non la dernière. Lorsque je retrouvai mes esprits, le mot y était toujours, identique. La chose m’avait répondu une seconde fois. Elle était là, quelque part, dans les murs, dans le sol et au plafond. Elle me proposait de tout connaître du monde et de l’univers en échange d’un grand sacrifice de ma part, sans toutefois préciser sa nature. Pour la première fois, ma curiosité naturelle fit surface et surpassa temporairement ma peur. Que me demanderait-elle ? Quelles seraient ces terribles conditions ? Qu’encourais-je si je ne respectais pas les termes du contrat ? Je tournais toutes ces questions sans relâche. Et me sentis comme observé. Cette sensation ne me quitta plus. Peut-être la femme était-elle présente, regardant par-dessus mon épaule, scrutant mes moindres mouvements et guettant toutes mes réactions. S’apprêtait-elle à intervenir lorsque je donnerai le signal ? Je tremblai d’émoi. Et si celle-ci était malhonnête ? Avait-elle menti sur les conditions, sur les récompenses ? Avait-elle vraiment les pouvoirs qu’elle laissait supposer ? La prudence me fit croire qu’elle était de bonne foi et capable de tout. Je nettoyais toute la farine inutile et réfléchissais sur le mot. Je ne touchai à aucun moment le papier de peur d’être contaminé par une obscure maladie ou un envoûtement inconnu.

Je vécus le jour suivant dans la peur, n’osant sortir ou m’éloigner des lieux. J’avais l’impression d’être retenu jusqu’à ce sue ma décision fut prise. La connaissance de toutes choses. N’était-ce pas ce que j’avais toujours voulu ? Par une course effrénée contre le temps, j’accumulais des savoirs, tout connaître, tout comprendre, n’était-ce pas mon but ? Certes, le message était inquiétant, mais avais-je vraiment le choix ? La menace était à peine voilée. Pouvais-je décliner sans conséquences ? Je laissais passer la journée et je dormis d’un sommeil paisible sans rêves. Il me restait jusqu’ai soir pour ma réflexion, mais ma décision était arrêtée. Ma vie était sans grand objectif, sans grand espoir, je me laissais vivre, je ne me connaissais point de famille, je m’étais coupé de toute relation amicale. Qu’avais-je à perdre ? J’étais entre deux âges, trentenaire célibataire non-propriétaire. Je vivais pour la connaissance. Si tout s’achevait, je pensais avoir bien vécu jusque-là. Souvent, nous craignons la mort, non par peur pour nous même, mais pour l’affliction qu’elle infligerait à nos proches. Sans même parler d’enfant. Moi, je n’avais aucun de ces fardeaux, ces entraves limitent la pensée et les actions des hommes de mon âge. Le temps le bien le plus précieux est conséquemment entamé par ces « distractions ». Je pouvais me permettre d’oser, d’aller de l’avant sans penser aux conséquences.

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Mattarya
Posté le 19/09/2025
Très mystérieux et donne envie de savoir qui se cache dans son appartement. Très intriguant, très introspectif.

Ça donne envie au lecteur de connaître la suite.
Malophélie
Posté le 01/09/2025
Bonjour,

Je poursuis la lecture de vos chapitres car j'ai hâte de découvrir qui est cet "autre". J'aime beaucoup le mystère autour de ce deuxième mot laissé qui est plus énigmatique, concis que le premier et qui laisse notre imagination se mettre en route pour identifier la personne ou la chose en question.

J'espère que le personnage va imaginer d'autres stratagèmes et se lancer sur de mauvaises pistes pourquoi pas pour faire durer le suspens !

Concernant les détails, il me semblait avoir retenu que l'écriture sur le premier message était impeccable et belle et ici le narrateur la qualifie d'hideuse, je ne sais pas si c'est normal ou si j'ai mal perçu une nuance peut-être.

En tout cas, en route pour la suite
Damanisdaman
Posté le 06/08/2025
Merci pour ce deuxième chapitre, assez attendu dans son déroulement (le narrateur pense à des explications rationnelles, mais tout laisse à penser que l'explication surnaturelle est la bonne) mais qui fonctionne et crée une certaine tension.

Le narrateur prend de l'épaisseur et le fait qu'il pense accepter le pacte suite à un raisonnement qui se veut rationnel est une bonne idée. Toutefois, lui qui semble cultivé et cite Maupassant, ne devrait-il pas penser à Faust ? Cela pourrait donner plus de poids et de profondeur à son hésitation.

J'ai noté quelques coquilles, je ne sais pas si vous souhaitez que je vous les indique ?

J'attends la suite en tout cas !
NouvelleNature
Posté le 15/08/2025
Bonjour,
je vous remercie pour ce retour, concernant les coquilles vous pouvez me faire celui-ci en me contactant en privé.
Le personnage n'a pas parlé de Faust car il ignore ce que j'ignore et ne connaissant pas Faust, il n'y a pas pensé :D
NouvelleNature
Posté le 15/08/2025
Bonjour,
je vous remercie pour ce retour, concernant les coquilles vous pouvez me faire celui-ci en me contactant en privé.
Le personnage n'a pas parlé de Faust car il ignore ce que j'ignore et ne connaissant pas Faust, il n'y a pas pensé :D
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