J’étais résolu. Je pris alors un stylo et écrit sobrement : « J’accepte ». Rien ne se produisit. Je m’attendais à voir de nouvelles écritures apparaître sous mes yeux, ou bien à ce que le papier s’enflamme tout seul. Ces hypothèses n’expliquaient pas l’unique trace découverte plus tôt. Je restai coi, me sentant stupide et ridicule. Je fus comme délivré de toutes mes inquiétudes. Je pus aller en course. L’après-midi, je me promenais le cœur léger sans penser à de sombres histoires de fantômes. Quand je rentrai chez moi au soir les mains encombrées de sacs de courses et de babioles inutiles, je vis que, cette fois-ci, le papier s’était déplacé. Je laissai tout tomber à mes pieds et me précipitai au-devant de mon destin. De nouvelles phrases y avaient été déposées : « Dorénavant, tu recevrais chaque jour des instructions précises dont tu ne pourras pas déterminer la signification exacte et immédiate. L’ensemble de ces instructions t’amèneront en dehors des sentiers déjà tracés. Tu acquerras beaucoup de savoir que tu ne pouvais même pas imaginer. Mes ordres sont indiscutables et leur non-respect entraînera l’échec du processus, mais également de terribles répercussions. Sois sans crainte, des éléments extérieurs, je te prodiguerai toute mon aide dans tes différentes tâches ». Le message s’achevait par une liste d’éléments chimiques à me procurer ainsi que des ouvrages peu orthodoxes se trouvant dans des bibliothèques reculées.
Normalement, tous ces éléments pris indépendamment étaient parfaitement anodins et leur singulière combinaison ne me permit pas d’en déduire une quelconque utilité. Malgré mon érudition, je restai moi-même interdit quant à cette improbable liste. Elle était composée de noms du siècle dernier, tombés en désuétude ou non usités. Cependant, leur qualificatif n’était pas oublié et la liste était suffisamment précise pour que je puisse dénicher l’intégralité des items. Je passai donc à la pharmacie, en magasin de bricolage, en grande surface et je pus tout récupérer. De retour chez moi, je ne fus pas étonné de retrouver sur le papier une recette toute prête. Par souci évident de ne pas la reproduire, je tairai les éléments qui la constituent. Elle eut pour moi de terribles répercussions. Je suivais donc ces instructions, je pris soin avant cela de transformer une pièce inutilisée en « laboratoire ». J’y entreposais tout le matériel. Il me fallut une semaine complète d’installation pour que tout soit à sa place. J’avais étudié la disposition de chaque chose afin de ne pas être entravé dans mes opérations ni gêné dans mes mouvements, et d’assurer une bonne accessibilité à tous mes instruments. Je mis beaucoup de rigueur et de rationalité dans cette folle entreprise qui n’en avait aucune. Peut-être était-ce pour moi une façon de garder contact avec le réel et de conserver une sorte de contrôle.
Durant cette période, je fis à nouveau d’étranges rêves qu’on aurait dit prémonitoires. Je voyais sortant des eaux cette femme, vêtue d’une longue robe. Elle était de dos, les cheveux ondulés et blonds dégouttaient d’un liquide plus dense que l’eau et qui se frayait lourdement un chemin sur sa peau. Sa présence mystique était pleine de peur et de beauté. Une attraction fatale de népenthès exhalant un doux parfum sucré pour tendre ses filets de sucre aux fourmis trop gourmandes. L’image fut brève et je ne vis fort heureusement jamais son visage. Elle devait être très belle, mais également terrible, comme le tonnerre dans les collines. Je me réveillai souvent en sueur après ces apparitions nocturnes. J’avais la désagréable sensation que ces rêves avaient une emprise et une réalité plus grande que je ne voulais pas l’admettre. Je fus grandement perturbé et anxieux de ne pas pouvoir satisfaire les exigences du papier.
Je réalisais mon premier mélange le jour même de la fin de l’installation. Il devait s’accompagner d’une incantation dans une langue qui m’était inconnue et que je lus phonétiquement du mieux que je pus. La formule était issue d’un des ouvrages que j’avais emprunté dans une bibliothèque spécialisée. Lorsque cette potion fut achevée, je la plaçai dans une fiole de verre. Une épaisse fumée nauséabonde s’en échappait et je fus fort heureux de sceller ce morbide contenu conformément aux indications. Je devais ensuite la conserver pour plus tard sans plus d’explications. La seconde préparation moins corrompue, mais qui, je le savais, était infiniment plus perfide que la précédente, était un simple breuvage parfumé à l’aspect engageant. Je dus, une fois qu’il était terminé, le boire intégralement. J’admets avoir réfléchi à deux fois avant de poser mes lèvres sur le verre froid. J’allais franchir une étape supplémentaire, m’engageant dorénavant physiquement sur un chemin d’où l’on ne revenait pas. Je fus cependant poussé par la peur des répercussions et je pris les menaces d’un être aux pouvoirs incertains au sérieux. Je bus avec appréhension, mais ce fut doux et acidulé en même temps. Je ne sentis rien de particulier, puis, lorsque je déglutis, tout mon œsophage fut anesthésié par un froid intense. La progression de ce corps étranger traçait un sillon de givre dans ma gorge au fur et à mesure de sa progression. Je tremblai de peur, le liquide tomba sous forme d’une averse dans mon estomac où chaque goutte déformait la surface d’une mer tempétueuse. La sensation d’engourdissement et de froid se répandit en ondes rythmiques se propageant dans tout mon corps. Avais-je pris un poison ? Allais-je mourir là sur le parquet d’un petit laboratoire de fortune ? Je fus pris de violentes secousses et sombrai dans l’inconscience.
Je trouve cette manière d'écrire très poétique, on lit facilement aussi.
Toutefois une légère explications des ingrédients, ou un bout de phrase de l'incantation aurait été bien :) mais cela reste mon ressenti personnel...