Une fois à la maison, Chris se dirigea directement vers la cuisine pour se servir un grand verre à l’évier. Camille avait l’habitude. Il voyait ça comme sa façon à elle de méditer. Elle s’asseyait là, faisait tourner l’eau, la buvait et partait loin, très loin dans ses pensées. Ce n’était pas le moment de la déranger. Lui, il était crevé. Tout son corps le torturait et il souffrait d’une migraine carabinée. Il se dirigea vers les marches et resta paralysé devant la première en se rendant compte qu’il ne pouvait plus lever les jambes.
— Tu me prêtes ta chambre ? fit-il en avisant l’étage d’un air désespéré.
Elle rit en silence et se rapprocha de lui. Elle lui passa un bras autour de la taille et le soutint pour l’aider à monter. Arrivée en haut, elle l’abandonna après l’avoir laissé assis sur le lit.
Il poussa un soupir en la regardant partir. Il avait envie qu’elle reste. Il aurait aimé qu’elle dorme avec lui parce qu’il la savait fatiguée aussi. Il ferma les yeux. Chaque fois que le spectre s’était retourné pour tirer, elle avait été là, tout près avec son air déterminé. Tout le long de la fuite, il avait entendu son pas derrière lui. Il revit sa guerrière braver le dernier rayon de l’arme pour le plaquer au sol et la lutte qui avait suivi. Elle n’avait eu aucune pitié pour lui. Il avait mal partout… Mais il était vivant et libre. Grâce à elle. Ça n’avait pas de prix de vivre avec une femme pareil…
Il ne se rendit pas compte qu’il s’était endormi, pourtant quand Chris le secoua doucement, il émergea des profondeurs d’un cauchemar moite et poisseux plein de monstres vaporeux et d’appels au secours.
— Quoi ? fit-il vaseux.
— La réunion, dit-elle. Habille-toi et descends. Tu as besoin d’aide ?
— Attends, je regarde…
Il se redressa, massa ses cuisses endolories et se releva.
— Non, ça va aller.
— Dis-moi si tu changes d’avis.
— T’inquiète.
— Grouille-toi quand même, je me sens un peu mal, là…
— Hein ? Pourquoi ?
Elle quitta la chambre et il se rendit compte qu’il y avait du bruit en bas. Beaucoup de bruit. Des voix, un raclement de chaises, un tintement de verre, des exclamations, des rires. Il se dépêcha de s’habiller. Il choisit d’enfiler cette putain d’armure. C’était le soir, il faisait moins chaud, il risquait moins d’étouffer.
Lorsqu’il sortit de sa chambre, il se rendit compte qu’il y avait du monde partout en bas. Samuel et Didier étaient penchés au-dessus de son ordinateur. Serge et Lolita avaient pris les places assises autour de la table. Strada discutait avec Irvine et Sam adossé contre le bar qui délimitait la cuisine. Stéphane était là aussi, installé dans les escaliers, pensif et silencieux. Camille retourna rapidement dans sa chambre chercher le walkman et le rendit à son propriétaire dès qu’il arriva à sa hauteur.
— Merci, c’était génial, lui dit-il.
— Je suis content de rencontrer quelqu’un avec qui je partage mes goûts musicaux, répondit Stéphane satisfait. J’ai des compilations à te prêter, tu aurais de quoi les lire ?
— Non, mais je passerai à l’entrepôt trouver ça. Des cassettes, j’imagine…
Stéphane hocha la tête, amusé.
— Camille ! salua Strada en l’apercevant. On s’est dit que comme tu étais mal en point on n’allait pas te faire marcher, on va faire la réunion là pour ce soir.
Il repéra Chris appuyée contre la porte de sa chambre comme une gardienne de prison, elle croisait les bras dans une attitude tout sauf à l’aise. Il se dépêcha de la rejoindre.
— C’est super gentil, chef. J’apprécie, dit-il. On peut commencer, si vous voulez. Je fais couler du café ?
— C’est bon, assura Serge en montrant son verre rempli du précieux breuvage. Quand on a su qu’il n’y avait que de l’eau ici, on en a fait. On s’attendait à mieux de la part de Chris !
Cette dernière haussa les épaules, obstinément silencieuse. Camille lui passa un bras autour de la taille et lui sourit pour tenter de la détendre, mais le regard glacial qu’elle lui envoya le convainquit de la lâcher, et vite.
— Bien, intervint Strada. Ne faisons pas trainer les choses. Nous allons commencer par mettre directement sur le tapis ce qui nous intéresse : la réintégration de Chris dans la Brigade. Camille, expose-nous tes conditions, puisque tu en as, je donnerai les miennes ensuite.
Parfait. Camille adorait quand ça se passait comme ça, avec ordre et méthode.
— On ne demande pas grand-chose, expliqua Camille. Chris veut être totalement libre de ses mouvements dans les limbes et obtenir le droit de ne louper aucune éruption.
Chris songea qu’elle n’aimait pas qu’on parle en son nom, mais d’un autre côté, elle ne se serait pas sentie capable d’exposer la situation sans se braquer, alors elle se contenta d’écouter. Elle se donnait l’impression de se cacher derrière Camille. C’était bizarre, mais pas si désagréable.
— Moi j’ai besoin de quelqu’un pour former la relève, rétorqua Strada. Ça veut dire rester avec eux, les guider, les pousser à aller loin, leur apprendre comment fouiller, les protocoles de sécurité. Je ne peux pas aller dans les limbes leur montrer. Il n’y a que Chris qui le peut.
— Je le ferai, répondit Chris sans hésiter.
Strada et Camille la dévisagèrent, bouche bée. Sam et Didier échangèrent un regard surpris.
— Bah super ! approuva Serge. Si tout le monde est d’accord pourquoi on n’a pas fait ça plus tôt ? ironisa-t-il.
— Ok, fit Strada en retrouvant son aplomb. Dans ce cas… Qui a quelque chose à dire contre l’intégration de Chris dans la Brigade ?
Samuel leva sa tasse de café.
— C’est un détail, mais c’est important. Il y a eu du vol de matériel et je ne peux pas le tolérer. Chris a une arme !
— Je n’ai pas volé de matériel, contredit Chris. Il m’a été remis par un membre de la Brigade. C’est Sadie qui me l’a apporté, quelques mois avant que son cœur ne lâche, juste après… l’histoire avec Rémy. C’est à elle que je me suis confiée, elle m’a défendue et elle m’a aidée en me procurant du matériel.
— Je confirme, fit simplement Irvine.
Strada pinça les lèvres.
— Ça explique bien des choses.
— Si c’est pas volé, ça me va, se rétracta Samuel. Mais bon, on a un registre pour ça. Ce registre était tenu par Sadie, maintenant par Irvine…
— Écoute, fronça Irvine. Il y avait des tensions, on a fait au mieux.
— OK, OK ! J’ai dit que c’était bon.
— Autre chose ? demanda Strada mal à l’aise.
— La contrebande, intervint Irvine. Parce que c’en est. Chris et Camille ont créé un réseau parallèle aux échanges derrière notre dos.
Samuel donna une petite tape sur l’ordinateur. Camille se crispa.
— Alors ce n’était pas voulu, dit-il avec un geste d’apaisement. Mais on peut appeler ça comme ça, je vous l’accorde. En fait… il faut que je vous raconte tout parce que c’est important pour la Brigade. Chef, je propose qu’on voie plus large qu’un simple interrogatoire au cas par cas et que je vous déroule un vrai cours sur tout ce qu’il s’est passé ces dernières semaines, sur les limbes et leur fonctionnement et sur les découvertes que l’on a faites, images à l’appui. Vous allez voir, ça va être super intéressant.
Camille monopolisa l’attention pour le reste de la soirée. Chris le regarda dévoiler leurs avancées, leurs progrès, leurs secrets, jusqu’à sa façon de prédire les éruptions juste en tenant un verre d’eau à bout de bras. Elle n’aimait pas ça, mais elle n’avait plus le choix. Elle n’avait plus le droit de travailler seule. Elle ne serait plus obligée de se cacher, elle n’aurait plus à se mettre en danger pour ne pas être remarquée, elle pourrait se concentrer sur ses objectifs, plus diffus, plus nombreux… Au final, c’était comme avec Camille, un ensemble de menues tâches qui pourtant l’avaient menée plus loin qu’elle n’avait réussi jusque là. Ça pouvait marcher. Si ça ne marchait pas, elle ferait autrement.
Elle se tourna vers Strada en comprenant qu’il lui avait parlé.
— Hein ? fit-elle perdue.
— Que comptes-tu faire avec tes deux recrues ? reformula-t-il.
Elle jeta un coup d’œil en direction de Didier et Sam.
— Camille va leur trouver un moyen de rester dormir ici… On commence dès demain matin, un peu avant l’aube.
Strada sourit, content.
— Alors c’est OK pour moi. Bonne soirée à tout le monde.
Il leva la main pour saluer tout ce petit groupe et quitta la maison le premier. Bientôt, Chris et Camille se retrouvèrent seuls à écouter la fourgonnette s’éloigner.
— Voilà, souffla Camille alors que la pièce était enfin redevenue calme. Tu es officiellement de retour dans la Brigade.
— C’est entièrement de ta faute, remarqua-t-elle.
— Hein ? Pourquoi ?
Elle fit la moue.
— Ok… oui. Tu as raison. Mais est-ce que c’est mal ?
— Ça… on verra.
Elle lui posa une main sur l’épaule.
— Demain, je m’occupe de former les petits nouveaux aux points de repère en ville. Toi, je te charge de trouver un moyen de les faire s’installer ici.
— Je vais déménager le débarras, si tu veux. Et je vais demander au dépôt de me fournir des lits de camp, ils doivent bien avoir ça.
— Je pensais… Je me disais que tu pourrais venir dormir avec moi le temps qu’ils soient là…
Camille resta ahuri devant cette phrase.
— Hein ?
— Oublie ça. Tu as raison, le débarras c’est très bien.
Il la regarda s’éloigner. Merde… il avait sans doute loupé la chance de sa vie, là. Il se ressaisit. Il trouverait un moyen de faire en sorte qu’elle lui propose à nouveau. Il le fallait. Il en mourait d’envie.
<3
Merci infiniment de ne pas nous laisser dans l'inconnu ! Et puis il reste beaucoup mais ça va quand même....
Ras par ici, à bientôt ;)