Hubert Dencarrier, gestionnaire de l’entreprise familiale Van Suiker, en avait l’intime conviction : la confection de cuberdons était une affaire extrêmement sérieuse. Vous aurez certainement remarqué que cette phrase d’accroche contient un certains nombres d’éléments cocasses demandant à être plus amplement détaillés.
Tout d’abord, là où personne ne se choque qu’une entreprise du nom de Van Suiker fabrique des confiseries telles que les cuberdons, on pourrait s’étonner du fait que son gestionnaire se nomme Dencarrier.
Depuis sa plus tendre enfance, Monsieur Dencarrier avait toujours été fasciné par les cuberdons. Leur onctuosité, leur saveur subtile, leur couleur délicate… Parfaits pour accompagner une petite liqueur gouleyante.
Hubert Dencarrier savait tout ce qu’il y avait à savoir sur le cuberdon. Il ne croyait d’ailleurs par à la légende attribuant sa paternité à un curé, ni à celle voulant qu’un pharmacien le découvrît par hasard. Non. Hubert savait qu’Erret avait donné naissance à ce merveilleux petit chapeau sucré. Sa sophistication ne pouvait être d’origine humaine.
Quand il rencontra Marguerite Van Suiker près de vingt ans plus tôt, il en avait presque pleuré de joie. Marguerite était l’arrière-petite-fille de Marcus Van Suiker – issu de le petite bourgeoisie flamande – celui-là même qui détenait l’entreprise familiale de cuberdons. Il fit à la jeune femme une cour assidue qui déboucha sur un mariage en grandes pompes un an plus tard.
Ce qu’il ne savait pas, pourtant, c’est que Marcus Van Suiker en avait déjà enterré des fils et des gendres ! Ce vieux chnoque, plus croulant qu’une momie et plus liquide qu’un cadavre, leur avait tous survécu. C’était d’ailleurs la raison pour laquelle il n’y avait pas de « et fils » ou de « et cie » ou encore de « et associés » à côté du si touchant « entreprise familiale Van Suiker ». Le vieux voulait la garder pour lui seul ! Ainsi, Marguerite était l’unique survivante de sa lignée et Hubert, la seule solution pour gérer l’entreprise. Et « gérer » était un bien grand mot.
Evidemment, les moqueries ne manquaient pas, quand un Dencarrier travaille dans une entreprise Van Suiker qui produit des cuberdons. Il aurait été sans doute plus adéquat qu’Hubert devînt dentiste – quoique cela eût certainement créé une autre forme de raillerie… Heureusement, son amour – sa passion ! – pour les cuberdons lui permettait de lutter contre les blagues de mauvais goût.
Donc pour Hubert Dencarrier, la confection de cuberdons représentait une affaire sérieuse. Il était crucial pour lui de fournir les meilleures confiseries de tout le pays dans les plus brefs délais. Hélas, travailler avec des lutins, petites créatures extrêmement volontaires, mais farceuses, n’était pas toujours une sinécure.
Hubert n’avait finalement pas beaucoup de chance dans la vie. Outre un patronyme difficile à porter dans sa profession, à presque 45 ans, le bilan de son existence le laissait songeur et quelque peu dépressif. Même s’il exerçait un métier qui le passionnait, il était le sous-fifre d’un homme qu’il détestait – et qui le détestait tout autant. Il fallait ajouter à cela une gestion de la main d’œuvre de la fabrique tout bonnement calamiteuse ; il arrivait à Hubert de devoir faire le travail de ses employés car ces lutins préféraient les batailles de sucre à la confection des cuberdons. Et finalement, il avait épousé une femme qu’il n’aimait pas… ou plus… Disons plutôt qu’il ne l’avait jamais aimée. D’une part, parce qu’il ne la trouvait pas jolie et d’autre part, parce qu’elle le rabaissait sans cesse. Il en était presque venu à ne plus se sentir coupable de l’avoir épousée pour son nom.
Tout naturellement, il avait donc pris une maîtresse… plusieurs même. Quand il n’en pouvait vraiment plus, son bureau à la fabrique se transformait en véritable lieu de débauche sous les yeux coquins des lutins qui n’en perdaient pas une miette.
Ulcéré par le manque de considération dont il faisait l’objet, Hubert ne prenait même plus garde aux possibles conséquences de ses actes. Il pensait que cela lui était égal et qu’il n’en souffrirait pas plus que cela. Finalement, que ses liaisons soient de notoriété publique ou non, le divorce était très mal vu dans cette branche de la société où le « qu’en dira-t-on » régnait en maître.
Un soir, après une folle chevauchée avec Louise, une fougueuse jeunette d’une vingtaine d’années sa cadette qu’il couvrait de bijoux et de soie raffinée – même s’il la préférait en tenue d’Eve – notre étalon se retrouva à fumer un cigare, un verre de Bourbon à la main, la satisfaction peinte sur son visage.
Les lutins ne s’étaient cette fois pas rincé l’œil puisqu’Hubert prestait ce jour-là quelques heures supplémentaires afin de s’occuper des comptes de la fabrique, bien après la fermeture.
Après leurs ébats, Louise – comme Madeleine et Anne avant elle – avait de nouveau tenté, avec beaucoup d’insistance, de le convaincre d’abandonner sa femme et son principal revenu donc, pour l’épouser, elle. Cette petite sotte pensait qu’il était suffisamment nanti pour l’entretenir sans les cordes de la bourse Van Suiker. Hubert n’avait eu d’autres choix que de lui annoncer que tout était fini entre eux. Aucune partie de jambes en l’air, aussi épique soit-elle, ne valait le risque de perdre à tout jamais ce rapprochement si précieux avec les cuberdons qu’il avait acquis en épousant Marguerite. Folle de rage après son échec cuisant, Louise l’avait giflé et était partie en claquant si fort la porte, que la vitre s’était brisée.
Bien sûr, les galipettes étant importantes à son équilibre masculin, Hubert allait devoir la remplacer très rapidement. Hélène ferait l’affaire. Plus vieille, mais moins idiote.
Tout en fumant son cigare, Hubert prenait mentalement note de contacter son homme de main le lendemain matin afin qu’il aille détrousser Louise des bijoux qu’il lui avait offerts. Il n’allait tout de même pas lui laisser une petite fortune en pierres et en or.
Soudain, il lui sembla entendre un bruit venant de la fabrique. Son bureau surplombait l’atelier de confection. De là-haut, son regard d’aigle pouvait observer les lutins dans leur travail quotidien.
Hubert n’y prêta vraiment attention que lorsque le bruit se fit de nouveau entendre. A tous les coups, le concierge avait oublié de fermer une tabatière et un vilain chat de gouttière s’était faufilé à l’intérieur.
Il se leva de son siège en soupirant. Il ne pouvait pas laisser un chat se noyer dans une cuve de sucre et ficher en l’air toute la production du lendemain. Il ouvrit la porte de son bureau, enjambant les bris de verre laissés par la crise de Louise et descendit les escaliers de métal séparant son antre de la salle de confection.
La lumière qu’il avait laissée allumée dans son bureau baignait faiblement les quelques mètres de béton devant lui et engendraient des ombres inquiétantes un peu plus loin. Hubert essaya de baisser le levier d’alimentation électrique de la fabrique afin d’éclairer la salle de production mais rien ne se passa. Il renouvela la manœuvre sans plus de succès. Il poussa un soupir frustré. Lutins comme concierge, il n’avait affaire qu’à des incompétents.
Un bruit sur sa droite le fit sursauter et il cria pour se donner du courage.
— Qui est là ?
Une nuée furieuse fonça sur lui dans une tempête de bruissement d’ailes nacrées et les éclats de rire des lutins moururent dans la nuit après qu’ils se furent engouffrés par une tabatière restée ouverte.
Hubert jura comme un charretier en réalisant qu’une nouvelle fois, ces fichus lutins lubriques l’avaient observé en pleine action.
Il y eut de nouveau un bruit un peu plus loin, derrière les cuves de sucre liquide et Hubert s’y précipita d’un pas rageur, bien décidé à faire payer sa mauvaise humeur au premier importun qu’il croiserait.
— Vous allez me le payer, espèce de sales…
Hubert n’eut jamais l’occasion de terminer sa phrase et par là même de faire rougir de honte toutes oreilles délicates qui se seraient trouvées à portée de voix. Une force surhumaine l’arracha au sol et il fut propulsé, tête la première, dans l’un des bains de sirop de sucre.
Cela aurait pu être un fantasme enfin devenu réalité, mais croyez bien que ce n’est pas tout à fait dans cette perspective qu’Hubert Dencarrier vécut l’expérience. Sa bouche et son nez se remplirent rapidement de liquide poisseux et alors qu’il lançait une main vers le rebord de la cuve dans l’espoir de s’en extraire, il sentit une main l’enfoncer sous la surface collante et trouble.
Tous ses efforts pour se sortir de cette mauvaise posture s’avérèrent vains tant la force de son agresseur était grande. Et alors que sa conscience sombrait lentement dans le néant, il pensa une nouvelle fois que décidément, il n’avait pas eu beaucoup de chance dans la vie. Il y avait certainement de l’ironie à travailler dans une confiserie quand on s’appelle Hubert Dencarrier. Mais le comble était certainement de mourir noyé dans un bain de sucre.
Oh mais que je suis contente que tu sois revenue sur PA et que ton histoire continue ! Comme tu le sais déjà, je suis accro, je suis dans le fanclub Oscar, bref... me revoilà :)
Dencarrier, génial, le nom xD Je sentais que quelque chose de mal allait lui arriver, à ce gaillard, et je ne me suis pas trompée. J'ai beaucoup apprécier retrouver ton humour et ton ironie dans ce chapitre; j'avoue que ce n'est vraiment pas de chance de s'appeler Dencarrier et de mourir noyé dans du sucre... mais d'un point de vue créatif, c'est très bien trouvé !
Je n'ai aucune idée qui pourrait commettre ses meurtres mais je vois comme un lien entre le meurtre de la sirène et celui-ci. Ca impliquait dans les deux cas une relation adultère. Ca m'intrigue beaucoup et ça donne très envie de grignoter la suite !
Il faut qu' j'essaie d'être plus constante dans l'écriture donc je me suis remise à publier ici ^^
Il m'a fallu des plombes pour trouver un nom sympa lol du coup, je suis contente qu'il te plaise XD
Je vois que tes petites cellules grises sont très actives et il y a de l'idée. Tu tiens un élément intéressant :D
Merci !