Mundaneum
Archive#5
Troisième année – N°85
Dimanche 19 juin 1887
Un numéro : 20 centimes/1 écaille
La Plume Affûtée
Actualité
Affaires « domestiques »
Certains lecteurs pourraient penser qu’il s’agit ici d’un pamphlet totalement déplacé en faveur des hautes sphères de notre société voire un billet désobligeant vis-à-vis des petites gens. Pourtant j’ose à croire que nos lecteurs sauront faire la part des choses et comprendre au travers des quelques lignes de ce billet que mon indignation est on ne peut plus justifiée.
Il y a quelques jours, l’illustre directeur de la non moins illustre Compagnie des Transports Transvoile faisait son mea culpa public. En effet, quelle ne fut pas la surprise générale quand cet homme d’apparence et de réputation si respectables annonça à la face du monde – ou plus humblement au tout Bruxelles - qu’il était le géniteur d’un enfant né d’une relation adultère avec une employée de maison ! Tout le tralala entourant cette déclaration publique s’inscrivait, j’en ai l’intime conviction, dans le registre du coup de pub magistralement orchestré, sur fond de larmes et de mouchoir en dentelle, avec en arrière-plan, la très démonstrative madame de Valbreuze et les deux rejetons légitimes agrippés à ses jupons. De la fille légitime en revanche, pas la moindre trace. Certains en sont venus à penser que la pauvre enfant serait un peu dérangée depuis la mort brutale de sa mère et précédente épouse de monsieur de Valbreuze. Il est vrai que l’absence quasi-totale de ses apparitions publiques semble en effet venir confirmer les théories des observateurs de la vie mondaine. Mais le sujet de cet article n’est pas Charlotte de Valbreuze.
Revenons-en au cas qui nous occupe. Il n’est pas rare pour la domesticité de subir les assauts plus ou moins insistants de ses patrons. Combien de bonnes ont été culbutées dans les débarras ? Combien de nounous ont été montées dans les nurseries et de cuisinières harponnées sur leur plan de travail ? Mais surtout, combien de marmots sont-ils nés de ces aventures domestiques ? Légions !
Dans ces circonstances, pourquoi diable Charles-Louis de Valbreuze devait-il donc avouer publiquement un fricotage qui est monnaie courante dans les maisons bourgeoises ?
Ne le prenez pas mal mesdames, mais il est vrai que les hommes ont des besoins multiples que vous ne sauriez pleinement comprendre et encore moins satisfaire. Cela étant dit, il n’est pas rare que les coquines qui font l’objet de nos attentions extra-conjugales se proposent avec beaucoup d’entrain pour assouvir nos pulsions dans le but très recherché d’en retirer un polichinelle dans le tiroir qui leur garantirait alors une retraite plus que confortable loin du dur labeur de domestique. Disons donc que c’est une habitude qui ne choque plus vraiment et les détails sont généralement réglés en coulisse sans impliquer l’opinion publique et la presse.
Seulement voilà, cela n’a pas été le cas pour le petit Oscar de Valbreuze. De sa mère, nous ne savons rien, si ce n’est qu’elle était employée par la maison depuis peu de temps et qu’elle a, à présent, mystérieusement disparu. Il est donc raisonnable de penser qu’elle aura reçu une rente confortable pour se faire discrète et aura préféré laisser là cet enfant qui ne pouvait plus rien lui apporter. Oscar semble avoir vécu dans l’ombre une bonne partie de sa vie. Douze années pour être exact. Et soudain, le voilà révélé au grand jour, affublé du nom prestigieux et de la fortune de la famille de Valbreuze.
Si vous me demandez mon avis, je pense que derrière ces boucles blondes - au sens littéral, pour une fois - se cache un esprit mesquin. L’enfant a probablement imposé un odieux chantage à son fortuné géniteur afin que celui-ci le reconnaisse publiquement, car jamais dans l’histoire cela n’avait été fait comme cela. Vivre dans l’ombre devait lui être insupportable et il a fini par mordre cette main qui le nourrissait dans l’espoir d’en tirer des avantages plus juteux, un os plus imposant à ronger. Après quoi, Charles-Louis de Valbreuze aura dû choisir de minutieusement orchestrer ses aveux, ce qui a donné lieu à l’improbable déclaration publique dont je vous parlais au début de ce billet.
Où va cette société si elle doit à présent être envahie de parvenus tels qu’Oscar de Valbreuze ? Un jour, il sera appelé à occuper des fonctions correspondant à son nom. Et alors qu’adviendra-t-il ? Où ira-t-il chercher l’excellence qui devrait caractériser sa lignée, lui qui a été conçu dans les quartiers des domestiques ? Pourquoi un enfant du peuple devrait-il être avantagé parce que sa mère, loin d’avoir mérité son argent par son dur labeur, a relevé ses jupes dans le but calculé d’obtenir une vie plus confortable ? Pourquoi un bâtard devrait-il nous rire au nez parce qu’il a été assez avide pour exiger de son père qu’il le reconnaisse ?
Je vous le dis, chers lecteurs : aussi vrai qu’il est certain qu’Oscar de Valbreuze sera rejeté par les familles nanties de Bruxelles, il le sera aussi par les petites gens dont il a voulu se différencier de façon si méprisante. Ne lui ouvrez pas votre porte, ne lui tendez pas la main, ne lui souriez pas, ne le saluez pas…
Ne lui en déplaise, il ne vaut guère mieux que nous tous. Et nous allons nous charger de le lui faire comprendre !
Victor Cuypers
Bref, je suis toujours accrochée à ton histoire et je me réjouis de lire la suite quand tu la mettras ici :)
à touti et bonne scribouille !
Les disparitions de la soeur et de la mère d'Oscar sont en effet importantes :)
Je vois que tu as bien retenu la leçon, jeune padawan XD
J'espère que la suite te plaira autant.
Merci, Jowie.
Des bisous