Les machines étaient sans vie et sans pensée. Elles dépendaient de l’Homme.
Évangile selon l’Algorithme, 1-2.
Secteur 4
Zone bleue
Après l'indépendance Oumane a été reconstruite en totalité. Le projet du Grand Monarque, héros de la Guerre de Partition, mégalo, mort et momifié depuis au moins huit ans. Selon lui, Oumane pouvait devenir la cité-état modèle du Pacifique Sud. Une ville moderne, ouverte sur le monde, riche et magnifique. Un laboratoire pour les consortiums. Bref, un paradis sur terre. Pari tenu. Pari perdu.
“Nec pluribus impar” dit la propagande. Elle ne se trompe pas. Oumane est à nulle autre pareille, un amas de pustules de béton, de verre et d’acier. Une abjection architecturale.
Jadis si belle, avec ses maisons coloniales, ses parcs et ses jardins, ses plages, Oumane ressemble à une métropole hideuse, dont la réimpression par des méca3D autonomes traîne depuis dix ans. A part son plan en damier, de l’ancienne ville il ne reste rien. On a même effacé les noms de rue. Il faut avouer, que dans cette partie du monde, nul ne les a jamais vraiment connus.
Ne demeurent que des secteurs numérotés et des zones de couleurs, des rues plus larges et les bâtiments plus hauts. Le tout est fade, froid et sans âme, une insulte à l'harmonie. Mais comme personne ne prend le temps de regarder le décor, pourquoi s’encombrer ? D’ailleurs, qu’est-ce que la beauté au juste, sinon une simple illusion dans notre tentative d’apprécier le monde. Un pur moment d’égarement subjectif. Heureusement, l'Algorithme fixe la norme désormais.
Je roule sans avoir activé le mode URGENCE. Je déteste sa sonnerie stridente. Une plainte métallique qui vous vrille les oreilles, et accélère le rythme cardiaque au-delà du raisonnable. Je traverse les secteurs deux et trois à une allure pépère. Je souhaite conserver l’illusion d’être toujours en congé.
Le secteur 4 est le plus laid de tout le territoire oumanais. Fâcheuse condition pour une zone touristique.
Situé au sud de la grande presqu’île, il englobe les quartiers autrefois habités par les classes sociales aisées, à proximité de belles plages de sable blanc.
Peu avant la reconstruction, la montée des eaux faisant loi, tout le rivage a été bétonné.
Aujourd’hui, avec la pollution, le sable prend de méchantes teintes grisâtres et la mer n’est plus qu’une soupe de plastique, un potage épais aux reflets bleutés. Plus personne ne se baigne dans cette partie du lagon et les dizaines de requins bouledogues qui hantent les eaux découragent les ultimes téméraires.
La réimpression qui a suivi, n’améliore rien. A Oumane, on ne sait pas tirer la leçon des erreurs passées.
Fin 2023, après la Grande Émeute, tous les anciens bâtiments ont été détruits et les dernières collines arasées. Le long du rivage, on a aménagé une longue promenade sans arbres parce que, d’après l’Algorithme, ils consomment trop d’eau. On a construit de grandes avenues et de longs boulevards qui se télescopent en des carrefours démesurés. On a édifié une myriade d’hôtels, de restaurants et de boutiques de souvenirs, pour les proD étrangers en quête d’exotisme et d’authenticité.
On a pensé à tout. Sauf peut-être à une chose, Oumane n’attire plus. Elle est devenue une vieille péripate, fardée comme un clown et parée de beaux atours, qui n’excite personne.
Les embouteillages de robocars rythment les moments clé de la journée. Le matin, quand tous les proD travaillant dans le secteur embauchent en croisant ceux qui terminent leur service. Le midi, quand tous les proD, de statut intermédiaire ou majeur, se battent pour déjeuner dans les rares restaurants servant une nourriture fraîche et acceptable, à des prix raisonnables. En fin d’après-midi, quand le ballet du matin s’inverse.
Il n’y a qu’à la nuit tombée, lorsque le secteur revêt ses habits chamarrés, qu’il semble plus beau. La lumière dispensée par les lampadaires et les projecteurs biolum éblouissent les lieux avec une telle intensité, qu’on finit par oublier leur laideur. A ce moment et à cet endroit, Oumane dégage alors une exubérante beauté.
Grâce à son système de guidage autonome, ma robocar arrive sans encombres sur la scène du meurtre. L’événement a eu lieu à deux pas d’un carrefour imposant et à une centaine de mètres de la plus grande plage d’Oumane.
Le Fidèle est un hôtel haut de gamme pour touristes proD très fortunés, dans le coin le plus hype du secteur 4. Un suppositoire de verre et de métal, qui s’étire sur près de 400 mètres et en fait le point culminant de la ville. Une construction sensée provoquer le vertige, quel que fut l’endroit d’où on la regarde. Une ode à la mégalomanie.
Les crimes ne pullulent pas dans une zone bleue, alors forcément ça attire du monde. Un large périmètre d’exclusion rubalisé, aux allures de fleur, est planté au pied de l'hôtel pour tenir les curieux à l’écart. Ils s’agglutinent comme des fourmis en quête de sucre autour de cette corolle, munis d’antiques périphes, de leurs derniers strappho, ou d’hologlasses, afin de ne rien manquer de cet événement exceptionnel. Ils ne font que filmer, depuis que plus personne ne regarde. Chacun veut sa petite dose de l’événement, en souvenir. Ils le revisionneront peut-être plus tard, d’un oeil distrait, sur l’écran riquiqui de leur périphe.
Au centre de la corolle, une douzaines d’agents du MSE, en combinaison de protection intégrale, s’agitent comme des pistils par grand vent. Après avoir défini la zone d’exclusion, ils l’ont quadrillée en espaces plus réduits que chacun scanne avec minutie. Une flottille de drones miniatures, j'en compte une dizaine, survole les enquêteurs et les curieux. Véritables colibris mécaniques, ils butinent d’un point à un autre de la scène de crime et de la foule, sans rien manquer de ce qui se déroule cinq mètres en dessous d’eux.
Un des pistils, aussi chevelu qu’un moine zen, paraît plus grand que les autres. Il semble très affairé, n’hésitant pas à s’agenouiller pour faire ses relevés. Il jette des coups d’œil réguliers aux autres et il n’a pas besoin de leur parler pour que ceux-ci reprennent une mesure ou changent d’endroit. Son nom clignote en orange fluo sur le verre droit de mes hologlasses : agent Lena Dwarcolovna.
Quel magnifique specimen !
— Tom range toi sur l’espace libre à ta droite. Tu restes en veille et tu libères Doddd. Concentre-le sur la foule présente, qu’il fasse un relevé complet des identités.
Je finis d’enfiler mes gants. Mon arme est déjà dans mon holster d’épaule. Le cube de golf ronronne toujours à l’intérieur de ma poche de veste, comme un chaton endormi.
— A quelle hauteur dois-je libérer Doddd Monsieur ?
— Tu le places au-dessus des autres drones, ça doit faire vingt mètres je pense. Oh, j’allais oublier. Enregistre tout en résolution maxi via mes hologlasses.
— Bien Monsieur.
Pour avoir le droit d’entrer dans le périmètre protégé, je dois présenter à la bleusaille en faction mon badge de Renifleur. C’est ringard mais je ne veux ni puce, ni tatouage. Même pour effectuer mes achats. Je reste un indécrottable cul-plat.
Vive le libre arbitre !
Le bleu a l’allure d’un premier de la classe, avec sa tignasse soigneusement peignée, et ses hologlasses trop grandes pour lui. Des lunettes intelligentes rondes en polycarbonate noir, assez datées. Le zig aime l'originalité. Un vrai pionnier. Je me fais contrôler par Harold Lloyd. Surtout rester impassible, cela pourrait casser mon image.
En m’approchant, je remarque qu’il tripote machinalement un périphe démodé vieux d’au moins deux ans. On ne lui a pas encore délivré son matériel sur mesure, et sa combinaison moulante paraît trop lâche. Elle flotte sur lui comme l’emballage sur une glace en train de fondre. Je le sens quelque peu frustré de ne pas pouvoir me scanner, aussi regarde t-il avec attention ma pièce d’identité et la plaque en acier chromé qui la jouxte.
Je n’ai jamais aimé le motif de cette plaque, inspiré du logo du Conso, un chien assis qui fixe une sphère rouge contenant un Z aux allures d’éclair. C’est d’un kitch affligeant. Le mariage raté d’une vieux label de musique et d'antiques symboles nazis. Les designers du Conso ont des goûts de chiottes.
En revanche, j’adore les réactions, toujours empruntes de respect maladif, que suscitent cette plaque chez les proD. Là où j’aurais aimé voir de la révulsion, il n’y avait qu’une obséquieuse déférence. Cela ne manque pas. A sa vue Harold se raidit, penche la tête, et hésite. Il attend un ordre qui ne vient pas. Il regarde autour de lui en grimaçant. Son périphe ne lui fournit aucune info. Désemparé, il replie le petit porte-feuille en simili-cuir noir et me le tend en s’inclinant.
Il paraît que chaque peuple a les dirigeants qu’il mérite. Je le vérifie chaque jour.
Je me dirige vers l’agent consciencieux. Le grand pistil au centre de la corolle.
Parler avec un augmenT me cause toujours le même sentiment de malaise. Quelque chose de semblable à voir un mouton à 5 pattes, ou surprendre ses parents en pleine partie de galipettes lorsqu’on rentre trop tôt de quelque part.
Lena est un sphinx du nouvel ordre, une créature colossale mi-humaine, mi-composants électroniques. L’agent chef Dwarcolovna, du Ministère de la Sécurité de l’Etat chinois, est une augmenT de niveau 1. Elle appartient au club des charcutés de l’extrêm, des modifiés définitifs, des plus qu’humains, des transHu.
Ses muscles sur-développés n’ont rien de naturels, le résultat de transoPérations très coûteuses et élaborées. Depuis trois ans, l’humanité ne se contente plus d’utiliser les stéroïdes pour créer ses champions. Elle est désormais capable de faire repousser les nerfs, d’imprimer les os et de tisser entre elles les fibres musculaires et synthétiques. Elle peut également reprogrammer l’ADN.
L’intrication quantique repousse toutes les limites au-delà même de l’imagination. La Singularité à l’œuvre. L’Homme devenu démiurge.
On n’avait pas besoin de ça. Quelle tragédie !
Il ne m’est pas nécessaire de côtoyer l’agent Dwarcolovna depuis longtemps, pour savoir qu’elle n’est plus faite que de chair humaine, mais aussi de céramique, de carbone et de kevlar. Cela ne fait pas d’elle Superwoman, il lui manque encore la cape et elle reste mortelle, mais avec un petit effort elle n’en est pas loin.
C'est la neuroCam logée dans sa cavité oculaire gauche qui me gêne le plus chez Dwarcolovna. Ce dispositif est relié au réseau neuronal de la colosse et décuple ses facultés de vision et ses capacités d’analyse. Pendant que ce ver mécanique immonde vous fixe, vous scrute tel un parasite cyclopéen avide en quête d’un nouvel hôte, l’agent reçoit via son servCom, quantité d’informations physiologiques. Votre rythme cardiaque, votre température et votre pression artérielle.
J’ai lu tout ça dans une holopub un jour, lors d’une de mes enquêtes. Dans une salle d’attente si je me souviens bien. Un de ces boniments qu’on vous sert en vitesse sur écran 3D, avec de la belle musique et des voix-off sirupeuses, histoire de vous faire oublier que vous perdez votre temps. Quitte à gâcher les précieuses minutes de votre courte vie, autant le faire en musique. Ça a plus de gueule !
Fidèle à mon éternelle rengaine de cul-plat, j’en suis encore à me demander ce qui peut motiver les êtres humains à subir pareils traitements, lorsque l’agent Dwarcolovna me repère. Mon amour propre est sauf, ma manœuvre d’approche ne se voulait pas furtive.
— Waldo Sirrrce !
Je feins de ne pas être surpris qu’elle me reconnaisse. Je ne souhaite pas me comporter comme un amant maladroit et gâcher notre première rencontre. Je m’en voudrais. Je me rends surtout compte de ma stupidité ou de mon égotisme. Quelque part c’est pareil. A force de se croire au-dessus on dérape. Lena Dwarcolovna est équipé d’un servCom, tout comme moi. Elle accède aux mêmes Datas que moi. Louées soient-elles !
Est-ce un sourire ou une grimace qu’elle affiche ? Je devais avouer mon incapacité à interpréter les signaux envoyés par cette femme, qui n’en est plus vraiment une. A moins que ses zygomatiques aient été raccourcis. Après tout les meilleurs chirCom commettent aussi des erreurs.
Je ne vois aucune incrustation sur les verres de mes hologlasses. Tom ne m’aide pas beaucoup. Ça sent le filtre à plein nez, et du sévère.
— En personne, fais-je, en inclinant la tête.
Raide comme un piquet, elle me rend mon salut.
— Que vient fairrre un RRRenifleurrr à ce niveau de l’enquête ? On commence à peine. Les consos ne peuvent plus attendrrre les prrréliminairrres ?
Elle roule les r comme un tambour et accentue certaines syllabes plus que d’autres. Son ton sec est aussi coupant qu’une lame en tungstène. Elle ne me quitte pas de son œil vermiculaire.
Mes craintes sont fondées. Le Consortium marche sur les plates-bandes du Guoanbu sans aucun respect pour la procédure habituelle. Je me pointe sans même un bouquet de fleurs, la partie va être serrée.
— Non, plus de préliminaires avec les sbires du Guoanbu désormais. Nouvelle procédure, on fourre à SEC. Ça irrite, mais il faut ce qu’il faut. Chacun doit obéir. Donc puisque nous devons frayer ensemble ne perdons pas de temps. Qu’avez-vous à me transmettre pour le moment ?
Quelle remarque à deux balles ! Un vrai naze. Bravo Waldo !
A-t-elle seulement compris le jeu de mots ? Ma réputation de comique peine à décoller. Je ne suis pas en mesure de dire si elle soupire de soulagement ou d’agacement. Je n’ai pas de neuroCam pour m’aider. Tom ne m’incruste aucune info sur mes hologlasses. C’est confirmé, la cyclope a activé un système de filtrage béton.
Elle se contente de me scruter, centimètre carré par centimètre carré, longuement. Elle prend son temps, comme un gourmet dégustant une friandise rare. Elle tient à retarder son orgasme.
Si elle était demeurée une cul-plat, on aurait pu considérer Lena comme une belle femme. Des pommettes hautes et saillantes, une jolie bouche charnue, un front dégagé révélateur d’un tempérament prudent, une peau sans défaut. Une pure beauté slave. Hélas, il ne lui reste qu’un œil d’un beau bleu azuréen.
En la regardant je me demande quel type d’interface affiche les Datas. Elle ne porte pas d’hologlasses et je ne remarque aucune audioThèse. Sans doute un système couplé à sa neuroCam et relié au nerf auditif. Aucune latence. Le système nerveux mène la danse. De l’horlogerie de pointe qui a le mérite d’être discret. La dame est coquette visiblement.
Je ne peux m’empêcher de sourire. Prendre un tranZ avant de venir, en voilà une idée de génie. Ça améliore la perspicacité. Je gère mon stress au mieux, la laissant prendre mon pouls et tout le reste. Mes fonctions cérébrales tutoient l’état psychédélique, les hallus en moins. Quelle grande innovation ces medocs ! Une forme de conscience modifiée sans délires hallucinatoires.
C’est toujours ce que prétend la pub !
Que voit-elle ? Son attirail de première classe lui permet-elle de lire dans mon crâne ? J’espère que le filtrage de mes sentiments fait la différence.
Surprise ! Moi aussi j’ai un filtre !
Elle s’attarde davantage sur la poche de ma veste. Celle qui héberge le cube. Par réflexe, je glisse ma main à l’intérieur. Je le saisis comme un petit œuf délicat et le couve. Sa tiédeur est aussi agréable qu’un baiser. La caméra de Lena Dwarcolovna zoome et fait le point. Elle dézoome et se pose sur mon visage. Même pantomime. Zoom. Optimisation. Dézoom. Son sourire-grimace s’élargit. Est-ce de la satisfaction que je perçois ? Mon instinct ne me dit rien. Elle fait juste son boulot. Elle est clean.
— Voulez-vous voir le corps ? me demande t-elle.
Elle joint le geste à la parole, en faisant un petit pas de côté pour m’indiquer l’endroit où on a retrouvé le macchabée.
En sept ou huit enjambées, nous rejoignons la zone marquée à la pulvacraie qui marque l’emplacement du corps. On dirait les contours d’une peinture égyptienne délavée. Lorsqu’on l’a découvert, le visage du mort était de profil alors que sa poitrine faisait face au sol. La silhouette dessinée sur le biociment du trottoir donne l’impression de vouloir s’enfuir en courant.
— La victime s’appelait Abel Monrrrivaje, 52 ans, astrophysicien, docteur en physique théorique et quantique. Il logeait ici, déclare t-elle en pointant de son pouce le gigantesque suppositoire derrière elle. Il a été découverrrt ce matin parrr une hôtesse de l’hotel. Il était 05:42:23. La gamine s’est prrris les pieds dans le morrrt. Le type était rrrecouverrrt parrr une bâche camouflante. Jamais vu un trrruc parrreil. Du matos de pointe. On l’a envoyé au crrrimLab pourrr analyse. Pourrr le moment on a rrrelevé une vingtaine d’ADN différrrents. C’est trrrop.
Effectivement c’est trrrrrrrrop !
En même temps qu’elle me donne ces informations, mon servCom me les confirme ou les enrichit. La photo de la victime s’incruste et j’apprends que le type est aussi un augmenT. Je remarque un amplificaTeur qui lui recouvre un quart du crâne. Le dernier modèle. Un dispositif valant mon salaire annuel. Les capacités cérébrales du type étaient donc gonflées à l’IA.
Pourquoi pas ! Ça peut aider pour les calculs compliqués.
— Ok pour les faits. Vos hypothèses.
— Beaucoup de choses sont encorrre à fairrre. Le corrrps et la bâche sont partis au laborrratoirrre. Mais je peux dirrre que l’homme n’a pas été tué sur place. Ce n’est pas un crrrime prrrémédité. Elle doit se reprendre à deux fois pour bien prononcer le mot “prémédité”. Pourquoi une augmenT ne se fait-elle pas implanter un traducteur ou un gommeur d’accent ?
— Cet homme a été tué ailleurrrs, reprend-elle, puis déposé ici parrr une ou plusieurrrs perrrsonnes, des masqueurrrs sans doute. Ils ont pourrrrrri l’endrrroit pourrr que le trrraçage soit prrresqu’impossible. C’est du trrravail trrrès prrroprrre fait parrr de vrrrais prrrofessionnels.
— Et l’arme ? On m’a parlé d’un AED.
— Inforrrmation corrrrrrecte. Vu l’état de son intérrrieurrr il a été grrrillé parrr un tirrr au plasma, nous sommes au moins sûrrrs de ça.
Le silence qui suit est suffisamment long pour être significatif.
— Je parie que vous n’avez donc rien trouvé au niveau des caméras qui quadrillent le secteur, et qu’il n’y a pas de témoin non plus.
Elle n’a pas besoin de répondre, ma question n’en est pas une. Avant même de le lui demander, Tom me l’a déjà précisé. L’historique des caméras de la zone a été effacé entre 0:00:00 et 05:30:00.
— Avant que vous me le demandiez Monsieur Sirrrce, nous avons aussi compulsé toutes les Datas du secteurrr, rrremontées par l’ensemble des prrroD qui s’y trrrouvaient, au moment supposé du meurrrtrrre. Nous n’avons rrrien rrremarrrqué de louche pourrr l'instant. Visiblement votrrre Algorrrithme n’est pas si efficace que ça.
Je préfère ne pas lui répondre. Nous affronter ne servirait à rien. D’ailleurs nous sommes d’accord sur le fond. De là à le lui dire. Je jouerai mon rôle de Renifleur jusqu’au bout, mais sans violence.
Je réajuste mon chapeau à larges bords, pour mieux me protéger du soleil. Quelle que soit la saison, il est de toute façon toujours trop fort, mais en été, je vis un calvaire. L’espace d’une ou deux secondes je me vois même en train de prendre feu. Ma veste réfrigérante ne suffit plus à cette heure-ci. Je recule de quatre pas pour profiter de l’ombre salvatrice de l’immense suppositoire. Dwarcolovna m’accompagne en effectuant un rictus. Cette fois-ci, je suis sûr qu’elle grimace.
— Vous avez chaud on dirrrait et votre coeurrr bat trrrès vite.
Qu'est-ce que ça peux te foutre Robocop ?
Elle n’a pas dit trop. C’est ce que je déteste le plus chez tous ces augmenT, leur sentiment de supériorité supposé par rapport à ceux qu’ils aiment qualifier de culs-plats. Qui voudrait lui ressembler d’ailleurs ? Le cul-plat au moins reste un humain véritable.
— Chacun fait comme il peut avec ce que la nature lui donne, rétorqué-je impassible.
Avec une lumière moins vive, je lui aurais montré mes yeux intacts derrières mes hologlasses teintées. Moi, il m’en reste deux, maudite transHu.
Si ça se trouve, elle doit être autant gavée de médocs que moi et plus encore. C’est le prix à payer pour un augmenT. La drogue aide à calmer les douleurs obsédantes et permet à la psyché de tenir, face à cette réalité insane. Un mal nécessaire pour des créatures monstrueuses enfantées par des démiurges inconséquents. Mais je n’ai pas de temps à perdre avec elle en longues discussions philosophiques.
— Ce Monsieur Monrivaje a des collègues dans l’hôtel je suppose. Vous avez des infos de ce côté là ?
Mon ton est devenu plus sec. La bougresse espère-t-elle me vexer ou est-ce juste ma susceptibilité qui me joue des tours ? J’aurai du prendre un relaX en plus du tranZ.
— Ils n’ont rrrien vu. Nous vérrrifions tous les alibis. Nous avons longuement échangé avec leurrr porrrte-parrrole qui est aussi son brrras drrroit. Monsieur Monrrrivaje était sans ennemi. C’était quelqu’un d’apprrrécié qui avait rrréussi et qui menait une belle carrrrrrièrrre.
— Toute réussite nous attire un ennemi. C’est la médiocrité qui entraîne la popularité. Les grands ne jalousent pas les petits, dis-je, sans comprendre d’où cela vient.
Elle me regarde avec une telle intensité, que je peux voir sa caméra me zoomer une fraction de seconde. Sans doute cherche-t-elle dans ses Datas qui est l’auteur de cette réflexion d’un autre temps. Je ne sais pas si elle trouve la réponse. Moi-même je ne l’ai pas. Mais je me garde bien de lui dire que c’est Tom qui vient de m’incruster cette litanie sur le verre gauche de mes hologlasses.
— Comment s’appelle-t-il ? demandé-je.
— Qui ça ?
— Son bras droit !
— Elle s’appelle Errrika Vyltmöss.