- Lumy, Lumy, Lumerelle ! On va chercher des plantes jusqu’à quand ?!
Seelie s'agrippa à la jeune fille. Son sourire bondissait, pétillait dans ses yeux, éclaboussait Lumerelle.
- Quand est-ce que tu dois être rentrée ?
- Je suis punie pendant cro longtemps, alors je reviens quand on m’a oubliée. Je suis punie dans la remise. Maman dit que c’est mieux là-bas parce qu’elle m’entend pas faire n’importe quoi. Tu sais, moi, je trouve ça pas juste parce que maman elle m’a punie, parce que j’ai dit bonjour à… euh Irrlicht. C’est moche comme prénom.
Lumerelle détacha la petite main pendue à son poignet et la prit entre ses longs doigts. Elles suivirent un moment un papillon doré.
- Alors que, il est gentil, Irrlicht, moi je trouve. Je lui ai fait un câlin… tu crois que c’est pas bien ?
- J’ai croisé Irrlicht, ce matin.
- Oh ! Vrai, il est gentil, hein ?
- Sans doute.
Seelie lâcha Lumerelle pour enchaîner les cabrioles au-dessus des racines. Lumerelle la suivit en sautillant.
- En fait, c’est cro bien ! Parce que comme je suis avec toi, on dirait, bah, que je suis pas punie ! J’aime cro aller dans la forêt et pis j’ aime cro être avec toi !
Elle gloussa de joyeuses exclamations.
- Dis, tu me racontes une histoire ?!
Les lèvres de Lumerelle creusèrent un chemin de joie. L’enfant s'arrêta net sur une racine, aux aguets.
- Alors ? Tu racontes quoi ?
La jeune fille s’agrippa à une branche, se balança, pour enfin s’y asseoir. Seelie ne la quitta pas des yeux, la bouche grande ouverte d’impatience. Elle se laissa tomber sur la mousse.
- Alors... !
- Alors... l’histoire…
Aussitôt, Seelie ferma la bouche, ouvrit grand yeux et oreilles, enfonça ses menottes dans le doux sol de la Forêt des Lueurs.
- …l'histoire de la Lune et du Soleil.
- Attends ! Attends !
Seelie défit ses souliers vernis, remonta ses géantes chaussettes et se cala contre une souche.
- C’est bon !
Elle se mit à jouer avec la boucle de la chaussure, la bouche béante et ravie, les yeux pétillants d'attente et d'admiration.
- En ces temps-là, la Lune et le Soleil ne s'étaient jamais rencontrés. Leur rôle similaire, qui est d'illuminer, le jour ou la nuit, ne leur permettait pas. Ils savaient simplement qu'un autre les remplaçait pour qu'ils puissent se reposer. Mais un jour, la Lune, curieuse, voulut découvrir qui brillait si fort lorsqu'elle partait. Elle se cacha dans l'azur, se confondant avec les nuages.
Lumerelle resserra la ficelle qui ceinturait sa robe, fit danser ses pieds nus suspendus dans l'air. Elle se pencha ; ses cheveux dégringolèrent. Ses yeux bleus de chat plongeaient dans ceux écarquillés de Seelie.
- Elle observa le Soleil à son insu. Et elle fut éblouie. Tant et si bien que le lendemain, elle revint : elle voulait vérifier si tous les jours, ses rayons étaient si forts, si beaux, si brillants et incroyables. Pendant une semaine, les quelques nuages dissimulèrent la Lune émerveillée. Alors l’impensable arriva : la Lune tomba amoureuse du Soleil.
Seelie chuinta de joie.
- Hélas, la Lune a le devoir sacré de guider les voyageurs et les égarés, les solitaires et les désespérés : elle ne pouvait pas quitter sa nuit. Elle ne pouvait non plus venir tous les jours voir le Soleil ! après avoir veillé toute la nuit, elle devait se reposer. C'est ainsi que lorsqu'elle passait trop de temps à contempler son opposé et son complémentaire, elle n'avait pas assez de forces pour être belle et ronde... La Lune se contenta d'aimer de loin.
Lumerelle bondit au sol et s'accroupit vers Seelie.
- Lorsque le Soleil se réveille en pleine nuit après un cauchemar, il arrive qu'il tombe nez à nez avec la Lune. Et lorsqu'ils se retrouvent face à face, la Lune balbutie, tente d'être naturelle et indifférente à son regard en rayon. Mais elle n'y parvient pas : elle rougit, mais alors ! elle rougit ! Son visage de marbre devient groseille.
Seelie imagina en un gloussement une groseille flottante entre les étoiles.
- Chaque fois que le Soleil s'égare dans la nuit et la rencontre, il voit la Lune rouge. Alors il pense que c'est sa lumière habituelle ! Il n'a évidemment pas compris qu'elle est amoureuse de lui...
- Oh ! non... ! soupira Seelie en papillonnant des yeux. Et, alors ? Il se passe quoi, après ? Moi... chuchota-t-elle en étalant son petit corps sur la mousse, moi, je dis que le Soleil, il sera aussi amoureux. Sinon... c'est cro criste.
Lumerelle tendit sa main à l'enfant et arrangea sa houppette rousse.
Elles reprirent leur marche sous le feuillage. La petite fille bailla : l'air pur de la forêt, la cavalcade de ses pieds et une part de la journée s'alourdissaient déjà autour de son col blanc. Lumerelle se baissa pour qu’elle grimpe sur son dos. Seelie enroula ses minuscules mains avec un vague sourire.
- Tu continues l'histoire, cro plaît ? Le Soleil amoureux, cro plaît. J'aime bien tes histoires, Lumerelle... murmura la petite voix contre son épaule, et puis... quand, quand je ferme les yeux... bah, on dirait... qu'on est des sœurs. J'aime bien quand, quand je suis ta sœur...
- On est sœurs même les yeux ouverts.
- Oui, mais c'est pour de faux. On se... on se ressemble pas... pis on a pas la même maman et le même papa…
Lumerelle resserra ses mains contre les cuisses de la petite.
- On a ni papa, ni maman, alors on peut dire qu'on a les mêmes.
- Bah, moi, j’ai une maman, même si c’est pas la vraie. Mais, imagine, on est des sœurs…
Elle eut un sourire rêveur contre la joue de Lumerelle.
- Mais ça se peut pas. On se ressemble pas : t'as les cheveux tout noirs et tout longs, et bah... moi, c'est roux avec des... des... bouclettes. En plus, ils sont courts, les miens.
- Les sœurs, c’est plus important qu’elles soient liées par l’âme que par le sang. Donc on est sœurs.
- C’est quoi, l’âme ?
- C’est avec quoi tu t’envoles…
- Des ailes ?
- Oui, des ailes intérieures. Pour rêver, pour penser, pour aimer.
Les petites dents blanches de Seelie resplendirent comme quelques nuages amassés entre ses lèvres.
- Comme ça, j’ai deux fois des ailes. Parce que j’en ai dans le dos, aussi. Bon, maintenant, tu continues l’histoire du Soleil et de la Lune ! cro plaît.
- Et après, je te ramène chez toi, d’accord ?
- D’accord ! s’exclama l’enfant en se positionnant pour apercevoir un morceau d’azur et de verdure.
- Un jour, le Soleil n’éclaira pas bien : il était malade. Il était resté dans sa chambre, derrière son rideau de pluie et de nuages. La Lune s’inquiéta de ne pas le voir, alors pendant toute la nuit, elle n’arrêta pas de tortiller des nuages en réfléchissant à ce qu’elle pouvait faire pour l’aider. Pendant quelques jours, ce fut ainsi : le Soleil malade ne sortait pas et la Lune maigrissait d’inquiétude.
- J’aime pas quand c’est criste, Lumy…
Lumerelle décala une mèche rousse qui lui chatouillait le cou.
- Attends la suite ! Un jour, ou plutôt une nuit, le Soleil apparut à nouveau, un peu pâle quand même. Il ressemblait à une minuscule étoile.
- Bah, oui… parce que le Soleil, en fait, c’est une étoile. Je le sais, hein… je l’ai appris…
- A ce moment-là, la Lune n’était qu’un filet de lumière, même plus un croissant.
- C’est criste, ça… !
- Attends ! Donc, la Lune éclairait à peine la nuit. Le Soleil s’inquiéta : elle paraissait si frêle et si livide – n’oublions pas qu’il croyait que la Lune était toujours rouge – qu’il se demanda si une maladie ne les avait pas contaminée tous les deux. Une maladie de ténèbres qui les empêcherait d’illuminer !
- C’est toujours criste…
- Honteux d’être minable, le Soleil hésita à aller la voir. Il mit heureusement sa fierté de Soleil de côté, et s’approcha. La Lune garda les yeux fermés alors elle ne le reconnut pas, elle crut que c’était une de ses amies étoiles qui venait prendre des nouvelles. Alors elle dit d’une voix instable et aérienne :
« Petite étoile, je suis toujours fatiguée, mais ce n’est pas grave. Je suis inquiète pour le Soleil, j’utilise toutes mes forces pour réfléchir, pour l’aider. Mais je ne trouve pas ! »
Le Soleil fut immédiatement bouleversé. Une goutte roulait le long du corps fin de la Lune.
« Mais, dit-il de sa voix enrouée de chaleur et de fièvre, tu perds toute ta lumière pour m.. lui ! »
« Je sais, mais il faut que je trouve une solution… comment vivrons les humains, les animaux et les plantes sans le Soleil ? Moi, ce n’est pas grave… »
« Ô Lune… murmura le Soleil touché soudainement au cœur par une étrange brûlure, tu es tout aussi essentielle que le Soleil… ! »
La Lune rit doucement et cela ressemblait à un bruissement perlé.
« Tu n’as jamais regardé le Soleil à midi, petite étoile, pour dire une chose pareille ! Ses rayons réchauffent et illuminent tout avec… je n'ai pas les mots tant c'est grandiose ! »
« Comment peux-tu dire ça, avec ta magnifique couleur dans les cieux noirs ? (il croyait toujours qu’elle était normalement écarlate) Tu es l’ancrage des rêveurs, des égarés, des rebelles, de tout ceux qui ne savent ou ne peuvent vivre le jour… ! »
« Petite étoile, tu es bien gentille… Mais – elle renifla – je me suis trompée. Je suis tombée malade comme lui au lieu de briller plus fort pour aider les habitants de la Terre. Je suis trop fragile. »
Et elle éclata en sanglots. C’était une averse qui coulait de ses yeux douloureusement clos. Sa lumière clignotait tant elle était faible. Soudain, elle disparut.
- Lumerelle ! cria Seelie en ouvrant grand son regard luisant et violet. C’est cro, cro criste ! Ça va pas là !
- Chut… le Soleil fut enveloppé de désespoir. Son cœur battait si fort que quelque chose se cassa en lui. Et, comme si une fiole contenait toute sa lumière, il explosa. Le jour s’était levé, il illuminait le matin avec une force extraordinaire au point de faire briller les contours de la Lune noire de chagrin.
« Lune ! s’écria-t-il. Ô Lune ! Je suis guéri ! »
En effet, l’amour de la Lune l’avait transpercé au cœur, jusqu’à ce flacon qui contenait son amour à lui. Lui qui s’aveuglait de sa propre lumière ouvrit enfin les yeux. Et alors, l’amour éthéré explosa pour la Lune.
« Lune ! Lune ! Réveille-toi ! Je t’en supplie ! Ton amour… ton amour… il faut que je te donne le mien, si fort ! Regarde mes rayons brûlants d’amour pour toi ! C’est grâce à toi ! Ô, Lune… »
« Soleil… ? »
La Lune, encore faible, encore qu’un croissant, s’éveillait.
« Tu m’aimes ? »
« Lune ! Oui… » souffla-t-il.
« Moi aussi, Soleil… »
Doucement, la Lune reprit du poids et devint d’une blancheur pure. Le Soleil rit en comprenant que c’était sa couleur naturelle… et il la trouva plus belle encore. Depuis ce jour, la Lune et le Soleil s’aiment. S’ils disparaissent parfois, c’est qu’ils sont partis se promener ensemble dans la galaxie. La Lune a gardé son habitude de se cacher de temps en temps derrière les nuages… et le Soleil se cache parfois derrière la Lune. Et s’il arrive encore que la Lune devienne rouge comme une groseille, c’est que le Soleil lui dit des mots doux…
Dis, tu t'es inspirée de quel conte pour créer cette histoire ? Ca m'en rappelle une, mais c'est vague, je pense qu'elle est chinoise...
En tout cas c'est vraiment une joie de te lire, toujours aussi beau !
A très vite
Sinon merci énormément ! Je suis tellement heureuse que ça plaise !
Les deux personnages qui partagent cette histoire avec nous sont vraiment attachants, je trouve les dialogues bien plus réalistes que ceux du chapitre précédent.
Encore une fois, l'atmosphère est bien décrite et on imagine parfaitement les scènes qui se déroulent. J'arrive presque à attendre la voix des personnages dans ma tête. En tout cas, on a envie d'en apprendre plus sur ces deux "soeurs" !
Ta plume est très fluide et plaisante, j'ai sincèrement hâte d'en lire davantage.
J'espère que la suite (quand elle arrivera) te plaira tout autant
Merci énormément