Camille reprit ses esprits, poisseux de fatigue. Il entendit Chris bouger et se redresser tout en douceur. Elle l’enjamba pour sortir du lit, bâilla et quitta la chambre en closant discrètement la porte pour le laisser dormir. Il poussa un profond soupir et enfouit son visage dans son oreiller. Il avait à peine fermé l’œil de toute la nuit. Il avait senti les heures défiler sans réussir à trouver le sommeil tandis que les idées qui l’angoissaient tournaient en boucle dans sa tête, les mêmes schémas de pensées qui revenaient sans cesse, les mêmes interrogations, les mêmes hésitations.
L’histoire de Strada ne l’avait pas laissé indemne, mais ce n’était pas ce qui l’avait tant perturbé. Allongé à côté de Chris, il s’était demandé encore et encore s’il devait essayer de l’embrasser, de l’enlacer. C’était une question idiote, mais ça l’avait hanté comme un problème mathématique insoluble.
Tenter un rapprochement, c’était briser toute la distance entre eux, c’était se faire une place plus intime dans la vie de cette femme superbe et épatante. Ne pas la toucher c’était protéger un partenariat qui fonctionnait bien et qui devait durer pour le bien d’énormément de monde. Céder à cette pulsion, c’était peut-être répondre à une invitation à la fois folle et terriblement timide de sa part, considérer qu’elle avait bien pris le premier prétexte pour l’attirer dans son lit, mais qu’elle n’avait pas été capable d’en faire plus et comptait sur lui. Résister, c’était s’éviter d’être rejeté avec perte et fracas parce qu’il se serait fait des idées et s’abstenir de se faire coller une étiquette de pervers pour le restant de ses jours. Elle avait dit qu’elle voulait « tester si c’est possible »… si c’était possible de dormir avec lui sans qu’il ne tente rien, non ? C’était l’explication la plus plausible. Et donc pour réussir, il fallait ne rien tenter. Mais tenter quand même c’était saisir une chance qu’il n’aurait peut-être plus jamais. Sauf que s’il se précipitait, il pourrait tout gâcher alors qu’en prenant son temps… Bon sang. Ça le tuait. Pourquoi cette nana n’était-elle pas capable de se faire comprendre clairement ?
Et finalement, il n’avait rien fait à part l’écouter dormir et ressasser ses doutes. Et maintenant, elle était partie, sans un geste pour lui, juste en faisant attention à ne pas le déranger.
Il soupira encore. Quel con, mais quel con !
Il se rendormit plusieurs heures et se réveilla en sursaut en entendant la porte d’entrée de la maison s’ouvrir à la volée. Il se leva plus par réflexe qu’autre chose et se dépêcha de rassembler ses vêtements pour aller voir.
Il se détendit en voyant Chris s’installer lourdement sur sa chaise. Elle avait laissé la porte grande ouverte et regardait de ce côté comme si elle attendait quelque chose.
— Qu’est-ce que tu fais ? demanda-t-il.
Elle lança un bref coup d’œil vers lui notant rapidement son torse nu. Il avait commencé à s’habiller, mais au moment d’enfiler son haut d’armure, il n’avait pas pu se résoudre à garder son t-shirt une deuxième journée. Il le tenait donc à la main avec sa veste. Et elle l’avait regardé. Elle l’avait même dévoré des yeux, non ? Peut-être pas à ce point, mais…
— Les nouveaux, ils étaient déjà là… je m’occupe d’eux, souffla Chris en reportant son attention sur la porte.
Elle avait l’air neutre. Il baissa la tête et étudia son torse et se sentit idiot. Son regard de guerrière avait juste été attiré par sa cicatrice.
— Ils sont où ? demanda-t-il avec une petite moue en se dirigeant vers son ordinateur.
— Bah… à la traine, répondit-elle amusée.
Elle attrapa la bouteille d’eau et se servit un grand verre, puis remplit les deux autres sur la table autour du sien.
Le plus costaud des deux, Sam, arriva à ce moment-là. Il était essoufflé et la chaise sur laquelle il s’affala menaça de s’effondrer.
— Salut, fit-il pour Camille.
Il avait l’air complètement désabusé.
— Main sur le poignet, comme ça, ordonna Chris en lui montrant comment prendre son pouls. Compte les battements de ton cœur. Camille, tu dois bien avoir un chrono pour mesurer une minute sur ton ordi ?
— Oui, oui… Top, ajouta-t-il pour Sam.
Au bout d’une minute, elle écouta son résultat et après un calcul de tête, acquiesça.
— C’est bon, c’est même plutôt pas mal.
Didier entra à peu près à ce moment-là. Il était pivoine et à bout de souffle. Il s’appuya sur ses genoux, pliés en deux et en apercevant Camille, se contenta d’un bref signe de la main. Chris lui céda sa chaise et le fit aussi compter les battements de son cœur. Elle grimaça devant son résultat.
— C’est pas bon. Je suis désolé, Didier, mais tu te mets en danger. Tu n’es pas assez solide. Si tu ne sais pas courir, tu ne peux pas entrer dans les limbes.
— Bordel, haleta-t-il. On part étudier les limbes, on n’a pas besoin d’échapper à la Brigade, nous.
Camille pouffa. Il ne voulait pas s’en mêler, mais c’était difficile de rester à l’écart. Regarder Chris jouer les profs de sport, c’était amusant.
— Venant de toi qui t’es retrouvé perdu à deux doigts de la limite de temps, ça me fait bien marrer, rétorqua Chris.
— Je t’ai jamais remercié pour ça. C’était un peu violent, mais sans toi je ne serais pas ressorti.
Elle haussa les épaules.
— Qu’est-ce qu’il s’est passé, ce jour-là ? demanda-t-elle. Vous avez été séparés, ça n’aurait pas dû arriver.
— Je ne sais pas, répondit Didier à bout de souffle. Je… j’ai été désorienté par du bruit.
— Moi je sais, intervint Camille. Il y avait un démon dans les parages.
Les trois guerriers se tournèrent vers lui, surpris.
— Je l’ai vu sur vos vidéos, Samuel me les a filées hier soir. C’est toujours le même, ajouta-t-il pour Chris. C’est celui qui a volé l’apparence de mon père.
— Vous nous expliquez ? demanda Didier en prenant place vers les deux autres.
Chris poussa son verre d’eau vers lui, il l’accepta.
— Un démon traine dans les parages, dit-elle. Je ne l’ai pas vraiment vu parce que dès que j’ai senti qu’on me suivait j’ai détalé, mais j’ai quand même pu prendre des images furtives. Il se fait passer pour Tony, vous savez qui c’est, Tony ?
Les deux hochèrent la tête. Tout le monde connaissait Tony.
— Il rôde dans les parages, continua-t-elle. J’ai l’impression qu’il se conduit bizarrement. Tout comme les spectres… vous avez remarqué ?
— Oui ! approuva Didier qui semblait peiner à s’en remettre. Je ne sais pas si c’est remonté jusqu’à vous, mais… on a entendu un spectre appeler Camille !
Camille frissonna.
— J’ai un problème avec eux, je crois, grimaça-t-il.
Il leur raconta ce qu’il s’était passé au bar, la façon étrange et trop maligne qu’avait eu le dernier de manipuler Bellem dans le but de faire sauter le mur, la façon dont le spectre s’était vengé sur lui après lui avoir échappé.
— Ils n’ont jamais fait ça, confirma Didier. Ils errent, ils infectent, ils observent longuement, ils attaquent, ils explosent en faisant un maximum de victime. Faire des plans, parler, se venger, ça ne leur ressemble pas.
Chris hocha la tête.
— Ce démon bizarre, ce spectre qui en veut à Camille… c’est pas normal, murmura-t-elle. Il se passe quelque chose et c’est à nous d’aller chercher les indices pour découvrir de quoi il retourne.
— Alors tu travailles vraiment pour la Brigade ? releva Sam. Je pensais que ton seul but était de retrouver ton mentor.
— Les deux sont liés, affirma-t-elle.
— Sans doute.
Le silence retomba dans la pièce. Camille trouvait comique de regarder ces deux gaillards imiter Chris, avalant doucement le contenu de leur verre d’eau en reprenant leur souffle.
— Tu vas leur apprendre à écouter le volcan ? plaisanta-t-il.
— Ça sert à rien, répondit-elle. Ils ont tes prévisions. Et la prochaine est pour bientôt, hein ?
— Oui, tout à fait.
— À dix-quinze heures près ? se moqua-t-elle.
— Vilaine, je fais ce que je peux avec le chaos que j’ai pour bosser.
Elle ricana, contente d’elle. Elle se sentait mal à l’aise. Elle n’était pas sur son terrain de prédilection et elle n’avait aucun talent pour former ses successeurs, mais elle s’était engagée, c’était son travail et elle devait le faire. Remarquer les sourires en coin de Camille ne lui facilitait pas la tâche.
Elle le dévisagea tandis qu’il se concentrait sur son écran. Elle avait dormi avec lui pour voir si c’était possible, comment il allait agir avec elle, et il ne s’était rien passé. Elle savait qu’il souffrait de la chaleur et il avait fait chaud cette nuit. Elle l’avait entendu se retourner, soupirer, elle se doutait que ça n’avait pas été un moment agréable. À part ça, elle n’était guère plus avancée sur son compte. Camille était parfois totalement impossible à déchiffrer… après ce n’était pas non plus son point fort.
— Tu t’assureras qu’ils aient une chambre pour ce soir ? demanda-t-elle.
— Ouais, je vais aller me renseigner au dépôt.
— Tâche de t’habiller, conclut-elle.
Il n’avait pas rêvé, elle regardait bien son torse. Enfin là elle ne pouvait pas le voir, mais ça la travaillait quand même un peu !
— Pourquoi est-ce que tu veux qu’on reste ici ? interrogea Sam.
— Parce qu’il faut qu’on soit ensemble s’il y a une alerte. Je dois savoir combien de temps vous mettez à vous préparer, j’aimerais pouvoir vous montrer comment on repère l’endroit où le portail va apparaitre… Ce serait bien que vous testiez le grappin au cas où la Brigade ne soit pas là pour vous faire monter.
— En règle général ils sont plutôt rapides, assura Didier.
— S’ils étaient rapides, je n’aurais pas pu entrer dans les limbes. Je l’ai fait à chaque fois. Vous n’êtes pas des récupérateurs, vous ne vous contentez pas de trouver le filon le plus proche et de rentrer en sécurité. Vous êtes des explorateurs, vous devez pouvoir aller le plus loin possible, atteindre un objectif en un temps record ou bien observer le plus de territoire que vous pourrez. Chaque seconde compte.
Le silence retomba. Camille releva les yeux sur leur trio désassorti.
— Alors, hum… fit-il curieux et bien décidé à ne pas laisser s’installer de malaise. C’est quoi vos atouts en tant qu’aventuriers ?
— J’ai le coup de main pour défoncer du monstre, répondit Sam d’un air entendu.
Didier approuva du chef. Chris grimaça.
— Combattre c’est perdre du temps, remarqua-t-elle.
— Ouais, sauf que nos missions c’est pas que de l’exploration, c’est aussi des portes à spectre ou défendre l’entrée en cas de vagues d’attaques, insista le guerrier.
— C’est vrai, admit-elle.
Tout le monde tourna son attention vers Didier qui se racla la gorge.
— C’est mon sang-froid qui m’a poussé à tenter l’aventure, expliqua-t-il. Je n’ai peut-être pas vos muscles, mais quand il s’agit d’études, d’observations, je suis là. Et en temps normal, je suis réputé pour mon self-control, mais j’avoue que les limbes mettent cette partie de moi à mal.
— Pourquoi explorateur ? demanda Chris. Tu aurais été plus à l’aise avec les récupérateurs, non ?
— Hélas non, répondit-il. Je ne peux pas me contenter de vos vidéos et des premiers mètres. Si je veux pouvoir avancer dans mes recherches, il faut que j’aille loin. Mais avec un solide guerrier à mes côtés, je m’en sors !
Elle hocha la tête.
— Vous avez l’air de former une bonne équipe, commenta-t-elle.
— On se débrouille pas trop mal, approuva Sam. J’avais un peu perdu confiance après la fois où ça a déconné, mais… si un démon est derrière, je comprends mieux. Qu’est-ce que tu peux nous dire sur eux ? Tu sais les combattre ? Tu l’as déjà fait ?
— Non, répondit Chris. Il faut les fuir et ne jamais se séparer quand ils approchent. C’est le danger ultime.
— Je voulais interroger le chef à ce sujet, approuva Camille. Il parait que…
Je ne lis jamais de romance, je ne sais pas si c'est souvent comme ça mais là mais là, j'ai envie de le pousser en lui disant : lais paaaaaaaarle lui !!!!!
Il parait que....
Tu es en forme sur les cliffs là ^^
À bientôt !
À bientôt !