Partie 8 : Ouverture

Il était très tôt lorsque Camille entra dans l’hôpital. Il se sentait fébrile et inquiet à la fois. Il s’arrêta au comptoir pour demander où son père avait été installé et remonta les étages jusqu’à atteindre une petite chambre dans une zone très calme. Il approcha de la porte et hésita un instant, la main sur la poignée. Il entendait des pas à l’intérieur. Il recula brusquement tandis qu’on ouvrait.

— Tiens ! Mais n’est-ce pas mon courageux cobaye ? s’exclama le médecin en sortant. 

Camille lui sourit, mi-figue mi-raisin. 

— Bonjour docteur Daniels. 

— Alors, cette visite des limbes ? Ça a l’air d’avoir fonctionné. 

— Oui, ça a bien marché. J’ai eu la trouille de ma vie là-bas, mais une vraie trouille, pas ce sentiment affreux, mon cœur ne m’a pas fait mal, tout allait normalement. C’était juste… de la peur. 

— Je suis content. Merci pour ta participation à mon projet. J’avais enfin le remède, mais pas moyen d’obtenir le consentement de qui que ce soit pour les tests… Tu m’as été d’une grande aide. Je vais peut-être pouvoir essayer sur plus de personnes maintenant qu’ils verront les résultats. J’ai un autre courageux… Ce très cher Strada s’est déjà porté volontaire en me précisant qu’il ne voulait pas connaitre la nature du traitement. Il est deux chambres après, il ne devrait plus tarder à sortir… il a eu une réaction plus violente que la tienne, mais je crois qu’il va mieux. 

Camille hésita, surpris. 

— Il… je peux le voir ? 

— Bien sûr ! Ça lui fera plaisir !

Ils s’éloignèrent de la porte de Tony pour s’approcher d’une autre. Le médecin frappa et la grosse voix de Strada grommela. 

— Je m’habille, une seconde ! 

Quelques minutes plus tard, Strada sortait de la chambre avec une mine d’une pâleur inhabituelle. 

— Camille, salua-t-il. J’imagine que tu n’es pas là parce que tu t’inquiétais pour moi !

— Je suis venu voir mon père, mais quand j’ai su que vous aviez tenté le traitement, je me suis un peu inquiété, si. Comment ça s’est passé ?

Strada grimaça. 

— J’espère pour vous deux que ça marche où je vous balance dans les limbes. Je ne me fais pas torturer pour des prunes, et je ne constate aucune différence à part que je me sens affreusement mal. 

— Vous serez fixé à la prochaine éruption, plaisanta le médecin. Je vous laisse, tous les deux, j’ai encore du monde à aller voir. 

Ils le saluèrent et Strada enroula un bras autour des épaules de Camille pour l’entrainer vers la chambre de Tony. 

— Au moins il a l’air confiant, grommela-t-il. 

— Courage, chef. Moi aussi j’ai passé un sale quart d’heure. Après, ça va mieux. 

Camille frappa doucement et poussa la porte. Son père tourna mollement la tête vers lui et bâilla bruyamment. 

— Bonjour, mon fils. 

— Papa ! 

Camille se précipita vers lui. Tony se redressa et le serra dans ses bras. Ils prolongèrent leur étreinte de longues secondes jusqu’à ce que Strada se racle la gorge, gêné. 

— Je t’ai enfin retrouvé, souffla Camille en s’écartant, les yeux brillants. C’était pas une mince affaire, tu es allé te planquer vraiment très loin. 

— Tu m’as tellement manqué, murmura son père. Et tu as tellement changé, aussi ! Comment va maman ? 

— Elle est un peu blasée parce que tout le monde l’abandonne, mais elle va bien. Elle m’a dit qu’elle serait patiente. Comment tu te sens ? 

— Crevé, dit-il avec un petit rire. Mais entier. Merci pour ton aide, je sais que c’est aussi grâce à toi si je m’en suis sorti. 

— Tu me manquais tellement. 

Camille respira profondément pour se gorger de la chaleur de son père et sentit les larmes lui monter aux yeux. Il tâcha de rester calme. Tony embrassa son front. 

— Chris ! Je t’ai vu ! Ne fuis pas, bon sang ! l’interpella Strada. 

— C’est bon, je ne veux pas déranger, dit-elle de loin. 

— Allez, ramène tes fesses ! 

— Tu n’as aucune raison de toute ta vie de parler de mes fesses. Vieux pervers. 

— Oh non, Chris, tu te doutes bien que… bon sang, mais c’est une expression ! 

Chris entra dans la chambre avec une petite moue et se fendit d’un vague sourire pour les deux hommes qui attendaient qu’elle approche. 

— Ma parole, se moqua Tony. Tu es devenue plus farouche qu’avant mon départ ! Je ne croyais pas que ça puisse être possible. 

— Si tu savais, ironisa Strada. 

— Oh, mais je sais, je sais tout, assura Tony. On a eu un peu de temps pour en discuter entre deux éruptions. 

Il bâilla bruyamment. 

— Je pense que je vais rester dormir encore un peu, dit-il. Je ne sais pas si j’en serai pour la prochaine alerte. Mais la suivante, c’est certain. 

— Repose-toi, gronda Strada. Chris s’en sort très bien. 

— J’aimerais que tu reviennes, intervint Chris. J’ai deux nouveaux explorateurs à former et je n’y arrive pas du tout. Je n’ai pas ton charisme. 

— Tu t’en sors très bien, assura Camille. Et tu es bourrée de charisme. J’ai regardé tes vidéos, tu as été parfaite. 

— C’est peut-être l’impression que ça donne, mais c’est pas le cas. Et Tony est bon à ça. 

— Il faudra me dire en quoi Tony n’est pas bon, répondit Strada avec fierté. 

— Mon père c’est le meilleur, confirma Camille. 

Il rit et se leva. Il se dirigea vers la sortie et passa près de Chris. Au passage, il effleura sa main et serra brièvement ses doigts pour lui donner du courage. 

— Je vais chercher du café, dit-il. 

— Oh super, approuva Tony. 

Chris s’approcha pour aller s’asseoir près de son mentor. 

— Tu ne m’avais pas dit qu’il y avait quelque chose entre toi et Camille, nota-t-il. 

Elle et Strada toussèrent de concert. 

— Comment te sens-tu ? Ça a été plutôt violent, ta sortie des limbes, remarqua Strada en s’adossant au mur à côté de la porte. 

— Qu’est-ce qu’il s’est passé, là-bas ? demanda-t-il amusé par leur dérobade. Comment je me suis retrouvé ici ?

— Le démon a repris le dessus. Je l’ai combattu comme j’ai pu, mais… 

Elle haussa les épaules. 

— C’est un démon. Je suis à peu près sûre que j’ai réussi à le toucher. Il s’est enfui. 

— C’est déjà incroyable, murmura Strada. 

— Comment êtes-vous capables de libérer un infecté ? interrogea Tony. Comment as-tu fait pour moi ? 

— Je ne sais toujours pas si c’est un choc qui rompt la possession… en tout cas les deux fois, j’ai pu le faire en coupant le souffle de la victime. Un coup à la tête aussi, mais Camille m’a dit qu’il a essayé comme ça et que ça a loupé. 

Tony se massa le torse avec une grimace. 

— Désolée, dit-elle. J’ai pas fait semblant, c’était un démon, pas un spectre. 

— Non, rit-il. C’est à moi de te remercier. Le démon, il a pris la fuite blessé, donc… 

Elle acquiesça. 

— Je ne sais même pas si Camille a déjà regardé les images du combat. D’habitude, il se jette dessus, mais là… 

— Là, j’ai été plutôt occupé, répondit Camille en revenant avec trois cafés et un grand verre d’eau sur un petit plateau en plastique élimé. 

— Rien ne presse. Et toi, ajouta Tony pour son fils. Tu vas faire quoi ? Tu vas venir avec nous dans les limbes, maintenant ? 

— Non merci. Je suis aussi bien en arrière plan. Je ne sais pas si Chris t’a dit ce que je fais pour la Brigade ? 

— Elle l’a fait. 

— Alors tu es au courant que je suis plus utile assis derrière un bureau. 

— Peut-être. Quelque part, je préfère te savoir en sécurité, admit-il. 

— Tony, intervint Strada. Je ne veux pas te presser ou quoi que ce soit, mais j’aimerais bien que tu me racontes ce qu’il s’est passé dans les limbes, comment tu as survécu tout ce temps, ce que tu as vu, si tu as ne serait-ce qu’un indice pour mettre fin à toute cette mascarade. 

— Tout naturellement, approuva-t-il. 

Il bâilla derrière son bras et s’installa plus confortablement dans son lit. 

— Je n’ai pas énormément de choses à vous dire parce que c’était une situation plutôt monotone, expliqua-t-il. Le démon allait et venait en suivant quelque chose comme les courants des canaux que constituent les limbes. Il observe, parfois il attaque, il ne se nourrit pas, il ne parle pas… À un moment, il a fait un très long voyage et je me suis retrouvé dans un endroit… 

Il secoua la tête. 

— Des comme lui, il y en avait des milliers, là-bas. Et pas que, des créatures qui avaient l’air absolument terribles… Puis au bout d’un moment, il est reparti et il a recommencé à rôder autour des portails qui s’ouvraient sur Eïr. Il regardait à travers, mais il n’a jamais traversé. Un jour, il s’est rendu à un endroit que Chris et moi n’avions jamais visité, et je ne saurais pas dire où c’était, mais… c’était très profond. Et je… je pourrais jurer que ce qui se trouvait là-bas vivait au rythme du volcan. Il y allait, il attendait, la structure se mettait à briller et souffler, les limbes devenaient fous et je crois bien que c’est à ce moment-là que la brèche s’ouvrait. 

— Donc, rebondit Strada, si on pouvait retrouver cet endroit et le détruire, ce serait la fin des éruptions. 

— C’est bien ce que je pense, approuva Tony. Mais ce ne serait pas une mince affaire. C’était très profond et je ne saurais pas dire où c’était. Les limbes sont immenses. 

— Et c’est une mauvaise idée de toute façon, intervint Camille. Ce n’est pas comme ça que nous devons nous y prendre pour en finir avec le problème global. Je n’ai pas oublié ce que vous m’avez dit, chef. Si la crise est réglée, la ville sera rasée pour qu’aucun monstre encore dehors ne s’échappe. Aucun d’entre nous n’en ressortira vivant. 

Strada plissa les yeux, mal à l’aise. 

— Si tu as raison, on est coincé. 

— Non, assura Camille. On peut faire autrement, j’y travaille depuis longtemps. À l’extérieur des murs, il y a une… entreprise, qui gère les échanges. Il y a deux trois gouvernements qui font comme si de rien n’était parce que ça leur rapporte. Mais il suffirait que le monde sache ce qu’il se passe vraiment ici pour que le feu prenne. Peut-être qu’on doit arrêter les éruptions du volcan, mais nous le ferons quand nous aurons été libéré de ces murs, et pas l’inverse. 

Tony et Strada échangèrent un regard. 

— Et tu penses y arriver ? 

— Oh, pour ce qui est des preuves, j’ai tout ce qu’il me faut et bien plus.

Il se tourna vers Chris. 

— L’ordinateur que tu m’as rapporté venait de cette entreprise. J’en sais tellement sur eux grâce à toi qu’ils vont mordre la poussière. Ce qui me manque, c’est le moyen de diffusion. Je ne peux rien faire sans technologie, une technologie qui ne se trouve pas ici. 

— Mais on pourrait te la ramener ? tenta Chris. 

— Je ne pense pas, expliqua Camille. Quel que soit l’outil de communication, le fichu mur de la ville le bloque. Il est bardé de brouilleurs. 

— On pourrait créer une faille avec les fertilisants de Bellem, proposa Chris. Un instant te suffirait. 

— Sauf qu’on se ferait tous tuer, rétorqua Strada. Ils ne plaisantent pas, là-bas derrière. C’est la sécurité publique ! Tu te souviens de Rémy, j’imagine. 

— Oui, grimaça-t-elle. 

Le silence retomba entre eux. 

— On est coincé, conclut Camille. Pour l’instant, je n’ai pas de solution, mais on va chercher. Je te donnerai des missions si tu as le temps, ajouta-t-il pour Chris. Je t’aiderais bien, mais j’ai aucune envie de rencontrer mon copain démon. 

Tony jeta un coup d’œil à son fils. 

— Je ne comprends pas d’où vient son subit intérêt pour toi. Il guidait ses spectres de sorte à fouiller la ville, puis d’un coup, il s’est mis à prononcer ton nom. 

— Je ne sais pas non plus, répondit Camille. Je me demande s’il m’en veut d’avoir empêché son plan de destruction du mur. 

— Je m’étais mis dans l’idée que s’il te cherchait c’était parce que tu es le fils de Tony, intervint Chris. Si le démon a laissé échapper des choses, tu en as peut-être dévoilé aussi et c’était pour moi une preuve que tu étais encore en vie. 

Strada soupira. 

— Mais il faut être honnête, même une formation un peu bizarre de nuages était une preuve que Tony était en vie, pour toi. 

Elle haussa les épaules. 

— N’empêche que j’avais raison et toi pas. 

— Je veux bien le reconnaitre, rétorqua-t-il avec un sourire plein de douceur. 

Elle leva les yeux au ciel et Tony rit en silence. 

— Vous m’avez manqué, souffla-t-il. 

— C’est à nous de dire ça, répondit Chris. 

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Raza
Posté le 09/08/2025
Chapitre dense et difficile techniquement, le presque full dialogue est parfois un peu difficile à suivre, mais dans l'ensemble on a l'idée !
Merci pour le partage <3
Solamades
Posté le 27/08/2025
C’est noté ! Merci pour tes retours ! <3 
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