Chapitre 1 — Où le voyage s’arrête alors que nous ne sommes qu’au chapitre 1
Case 23 : — Génoise-en-Givray —
— Bien frais mon boudin ! Pas cher et fait maison !
La voix d’Alistair, qui manquait déjà d’enthousiasme, se perdit dans un murmure.
La colline était douce et ronde comme un mystère glacé et sa pente, couverte d’une couche craquante de neige, venait se blottir contre le hameau de Génoise-en-Givray.
La fille descendait et tandis qu’il la fixait, il cessa également d’agiter son chapelet de saucisses et remonta ses lunettes pour mieux la détailler.
L’adolescence avait amorcé sur elle son déclin, mais ce n’était pas encore vraiment une adulte. À peu de choses près, ils devaient avoir le même âge.
Elle marchait sans regarder devant elle, le nez plongé dans un manuscrit poussiéreux qui devait faire la moitié de son poids. Ses bottines s’enfonçaient dans la poudreuse d’un pas assuré et faisaient un bruit de riz soufflé qui croustille sous la dent. Posé sur ses cheveux blonds noués en couronne, se trouvait un rouge-gorge. La peau blanche de la fille contrastait avec ses joues roses et ses yeux bleus. Sa robe de draps ivoire était couverte d’un manteau de laine rouge qui n’était pas encore terminé ; des aiguilles à tricoter flottaient dans les airs à sa suite, en train de finir le travail à petits cliquetis réguliers.
On dirait une héroïne de livre un peu gnangnan, pensa Alistair.
— Réveille-toi, joli cœur ! Je ne te paye pas à ne rien faire !
Il rougit jusqu’au bout des oreilles en réalisant qu’il s’était figé, ce qui lui donnait l’air d’un crétin. Agacé, il marmonna tout en recommençant à agiter son boudin, avec le moins d’entrain possible, pour bien montrer qu’il n’était pas là de son plein gré :
— Tu ne me payes pas du tout ! Tu es ma mère et je bosse juste pour te soulager un peu !
Éloise De Globine pointa dans sa direction un ongle contrarié tout en passant la tête par l’ouverture de leur roulotte-boucherie itinérante.
— Je paye ta couchette, ton boudin, tes livres et ton vernis. C’est plus que suffisant !
— Si tu ne voulais pas subvenir à mes besoins, tu aurais dû avoir moins d’enfants !
Alistair était l’ainé de quatre sœurs au caractère terrifiant qui étaient toutes plus ou moins des copies conformes de leur père. Lui était surtout le portrait de sa mère.
Il en avait la peau intensément noire, les pommettes osseuses, les yeux bleus nuit et les cheveux bruns aux ondulations cassées qu’il ramenait souvent en chignon désordonné sur le haut de sa tête ou en queue de cheval.
Éloise répliqua quelque chose en réponse, mais Alistair ne l’écoutait plus ; la fille était arrivée en bas de la colline et ses bottines foulaient à présent la neige épaisse de la place principale du bourg. En passant à côté de la boucherie, elle leva ses prunelles de son livre ; ses sourcils se froncèrent imperceptiblement tandis qu’elle détaillait l’étrange véhicule qui s’était installé sous le kiosque du marché tôt ce matin.
Il faut dire qu’on ne voyait pas ça tous les jours : la boucherie itinérante était composée de quatre parties. Deux roulottes, couvertes d’une peinture rouge et noire, désuète et écaillée, surmontées d’étages tordus, dont l’une servait d’étal pour la choucroute de boudin, la tourte au boudin et enfin, la fameuse charlotte au boudin qui faisait la fierté d’Éloise De Globine. Les deux wagons étaient tirés par un corbillard rutilant. Enfin, ils étaient précédés par une porcherie à roulettes, actuellement occupée par un petit cochon noir qui couvait.
Les yeux bleu iceberg de la fille finirent par s’arrêter sur Alistair et sa bouche, fine et sévère, se pinça. Il lui fit un sourire timide, avant de se souvenir qu’il brandissait des saucisses. Il essaya de les dissimuler derrière son dos, mais c’était trop tard.
Pour sa défense, Alistair ne détestait pas travailler. On pouvait même dire qu’il aimait ça. Cependant, dans l’image romantique qu’il avait de lui-même, il aurait préféré qu’on l’associe à un alchimiste ou à un bibliothécaire plutôt qu’à un charcutier.
— Heu… Bonjour mademoiselle…
Elle répondit par une grimace avant de s’éloigner d’un pas irrité, laissant Alistair bouche bée. Il souffla :
— C’est quoi son problème ? Je l’ai juste saluée.
— C’est une sorcière rouge, tu devrais éviter de l’approcher.
Alistair se tourna vers le cochon, qui venait de lui donner ce sage conseil depuis son nid.
— Qu’est ce que tu en sais, Chutney ?
— Ce n’est pas une sorcière rouge comme dans les jeux de rôle, c’est une sorcière de la couleur rouge. Ce sont les pires. Crois-moi, si les sorcières bleues peuvent essayer de te noyer dès qu’on croise une rivière, les sorcières rouges ne s’embarrassent pas de ça. Il leur suffit de le vouloir pour qu’un saignement de nez te vide de ton hémoglobine.
— Elles maitrisent tout ce qui est lié à la couleur rouge, c’est ça ?
— Elles maitrisent ou ne maitrisent pas, grommela Chutney tout en vérifiant que le boudin qu’il couvait était toujours là.
— Bon, en tout cas, ça n’a pas d’importance, murmura Alistair. Demain, nous aurons quitté cette case et je n’aurais pas l’occasion de la recroiser.
Éloise attendit d’avoir servi la villageoise qui venait de lui acheter une belle tourte avant de répondre :
— Tu te trompes. Avec ton père, nous avons décidé de rester quelques jours dans ce village.
Alistair s’étonna :
— Hein ? Mais pourquoi ? La date de la grande Foire s’approche et nous sommes encore à une bonne cinquantaine de cases.
Sa mère avait l’air embêtée :
— Tu as raison, mais on n’avait pas prévu de tomber sur cette horrible échelle. Elle nous a fait perdre, non seulement du temps, mais aussi de l’argent et nous sommes presque à sec. Qui sait quand nous croiserons à nouveau un village. Il faut qu’on se remplume et qu’on fasse des réserves, au cas où on atterrirait dans la chaine des géantes bleues, ou pire, sur l’île des morts.
— L’île des morts n’est pas sur notre chemin, répliqua Alistair, agacé.
— Mais la case prison, oui, bâilla Chutney. Écoute-là au lieu de faire ta tête de citrouille.
Il y a une dizaine de jours, Éloise et Albertin De Globine avaient quitté la case de la Crypte aux mésanges, où ils passaient en général toute la première partie de l’année avant d’entamer leur tour quasi complet du Plateau dans leur magasin ambulant.
En théorie, ils auraient déjà dû être arrivés à la grande Foire, — mais ça, c’était en théorie —, car il avait suffi d’un mauvais jet de dés à la sortie de la case de Fort Lavande, pour que tous les De Globine tombent sur un os, ou plutôt sur la Forêt des échelles, une case qui comme chacun sait, relie des cases qui sont très très éloignées entre elles. À leur grand désespoir, ils avaient perdu au moins un tour de l’escargot du Plateau, ainsi que leur temps et leur argent.
— Ne sois pas déçu, ajouta Éloise. Il y a d’autres caravaniers sur cette case, tu trouveras bien quelqu’un qui possède le dernier exemplaire du mensuel du Plateau et sans doute quelques jeunes de ton âge.
— C’est vrai, répondit Alistair, pour lui faire plaisir.
Chutney se gratta une oreille, ce qui était bon signe, car il pondait toujours plus de boudin après s’être gratté consciencieusement.
— J’ai entendu qu’il y avait une explobondisseuse. Ça va être intéressant.
— C’est vrai ? répéta l’adolescent, avec nettement plus d’enthousiasme.
La diffusion d’informations n’était jamais très évidente sur le Plateau, les facteurs ne savaient jamais si leur lancer de dé allait faire un chiffre adapté et il n’était pas rare d’obtenir lettres, colis et dépêches avec plusieurs jours de retard. Les explobondisseurs, étaient des citoyens qui n’appartenaient à aucune case en particulier et qui circulaient de l’une à l’autre, pour explorer, car les soixante-quatre cases étaient loin d’être toutes entièrement cartographiées.
Alistair mâchonna sa langue. Il rêvait de la grande Foire — la très renommée dernière case du Plateau — depuis des années, car c’était la première fois que leurs parents emmenaient avec eux la fratrie. C’était l’évènement de l’année. Alistair avait été si excité à l’idée d’y arriver ; ce retour en arrière l’avait vraiment déprimé. Mais c’était un garçon d’un naturel optimiste et il rangea la foire dans un petit casier dans sa tête, facile à rouvrir à l’occasion. L’explobondisseuse aurait sans doute des aventures à relater près de son campement et il aimait les histoires.
— Tu devrais aller faire un tour, chercher les autres caravanes, suggéra Mme De Globine.
— Tu es sûr ?
— Il n’y a presque personne à cette heure-ci, les gens finissent de manger. On va gérer avec Chutney.
Le cochon renifla en observant le soleil, perpétuellement au zénith depuis leur arrivée.
— Merci ! sourit Alistair en tendant le chapelet de saucisses à sa mère qui l’installa avec soin sur l’étalage.
Éloise jeta un regard tendre à son fils ainé qui ôtait consciencieusement les bouloches du manteau de laine noire qu’il portait sur une chemise blanche et un gilet gris. Elle lui enroula une écharpe de soie mitée autour du cou et fronça imperceptiblement les sourcils.
— Amuse-toi bien, mon chéri, mais tu as entendu les rumeurs, alors fais-attention, d’accord ?
*
Holly plissa les yeux et bloqua sa respiration.
Il suspendit sa main en l’air, l’éprouvette inclinée au-dessus du chaudron qui bouillonnait paresseusement.
— Seulement trois gouttes, mon garçon, souviens-toi.
— Oui, professeur.
Il était tellement tendu que la sueur coulait de sa tempe au milieu des vapeurs piquantes qui montaient du liquide doré. Il esquissa un pas en arrière ; c’est à ce moment-là que la poule de Mémé se faufila entre ses longues jambes et il trébucha. Pas beaucoup, non, mais assez pour qu’il se cogne contre les poutres basses du logis et fasse tomber tout le contenu de son éprouvette dans sa potion. Celle-ci vira tout de suite à un vert-marronnasse qui avait la texture — et l’odeur — du vomi.
— Merde !
La minuscule vieille femme qui se trouvait à ses côtés lui donna un coup de canne dans le tibia ; il se frappa à nouveau la tête et ironisa :
— Ouille, flûte ! Ce genre de mot vous convient mieux, professeur ?
La sorcière renifla de dédain tout en touillant dans son propre chaudron :
— Comment cela pourrait-il aller mieux, imbécile de disciple ? Tu as foutu en l’air tout ton travail.
Agacé, le jeune homme eut un mouvement d’humeur avant de se laisser tomber sur une chaise de la cuisine. Il cingla :
— Ça n’est pas si grave. Je suis un sorcier du trait, les potions, c’est pas mon truc.
— C’est grave si je décide que c’est grave, mon garçon. Et sur une case aussi froide que la nôtre, avoir des mages capables de fabriquer ce philtre est une question de vie ou de mort.
Holly leva les yeux au ciel et écarta les mèches rousses qui tombaient sur ses iris noirs.
C’était un jeune homme aux épaules larges, avec des jambes interminables. Ses cheveux étaient presque rasés sur la nuque et les tempes, avec des boucles plus longues au-dessus, ce que sa cousine Mila nommait la coupe brocolis. Ses joues étaient constellées de tâches de son et ses oreilles de pas moins de six triangles d’or.
Mémé lui lança un regard en coin :
— Ne crois pas que je sois insensible à ton caractère de putois et ta mauvaise volonté, mon garçon. Nous avons un marché : si tu veux rester mon apprenti, tu dois m’obéir au doigt et à l’œil, sinon tu peux retourner chez tes parents, nettoyer les écuries. Est-ce que c’est clair ?
Il grinça :
— Très clair, professeur.
Sur la table était étalée une carte sur laquelle la vieille femme avait noté plusieurs croix. Ce n’était pas une carte du Plateau, mais uniquement de la case numéro 23, où se trouvait Génoise-en-Givray, la cité de l’éternel hiver.
La case numéro 23 faisait 342 km2 et abordait la forme d’une grenouille un peu écrasée. Le ciel montait à 3 km au-dessus du sol et la terre s’étendait à 1 km en dessous de la surface. Au-delà de cet espace, il y avait le grand blanc, que tous les enfants du Plateau s’étaient amusés à approcher, pour laisser le brouillard leur lécher les pieds avant de rentrer en courant se cacher dans les tabliers de leurs géniteurs.
Les doigts de Holly tapèrent un rythme impatient sur le vieux bois.
Sur la case numéro 11, on trouvait une chaine de montagnes, un lac gelé sur lequel on pouvait patiner, trois forêts, une grotte, des élans, des chevaux sauvages, des vaches moins sauvages, des renards, moult lièvres, des oiseaux de jardin, une déesse endormie, trois loutres, un village de pèquenauds et beaucoup d’appareils à raclette.
Plus spécifiquement, à Genoise-en-Givray, on trouvait plein de jolies maisons qui ressemblaient à des pains d’épices couverts de glaçage, un moulin, une école, une épicerie qui faisait aussi tabac presse et mairie, une boulangerie incroyable, un mage médiocre capable d’allumer et d’éteindre le soleil à heures fixes et une grande sorcière.
La grande sorcière, c’était Mémé. Et Holly avait beau se plaindre toute la journée, heureusement qu’elle était là, parce qu’il n’en pouvait plus des élans, des patins à glace et de la raclette.
Par chance, tout ça serait bientôt fini.
— Qu’est ce que tu attends, fainéant ? Retourne chercher des bolets placides, puisque tu as tout versé dans ton potage dégoutant, là !
Le jeune homme se redressa en grommelant, et tandis qu’il se dirigeait vers la porte, Mémé ajouta :
— Et prend donc un peu de boudin au passage, j’ai vu qu’il y avait une boucherie ambulante.
— Robin est déjà partie aux courses avec le porte-monnaie.
— Et bien, rattrape-la !
Holly grinça des dents, mais évita de répondre qu’il préférait ne rien avoir à faire avec Robin. Il détailla la petite vieille qui touillait toujours son chaudron.
Elle était basse comme un buffet et se tenait droite comme si on lui avait enfilé un balai dans le fondement. Ses épais cheveux étaient tirés en un chignon parfait qui reposait sur sa nuque. Aujourd’hui, ils étaient gris, avec des volutes changeantes, mais en fonction de l’humeur de Mémé, ils pouvaient prendre le blanc moutonneux d’un cumulonimbus ou la teinte acier d’un ciel d’orage.
La vieille dame portait une robe sévère, boutonnée jusqu’au menton.
Elle avait les yeux bleu glacé de Robin, le nez pointu et volontaire de Robin… Ou plutôt, c’était Robin qui avait hérité tout ça de sa grand-mère.
— Qu’est-ce que tu attends ? Tu comptes prendre racine ?
Il la regarda un tout petit peu trop longtemps avant de se détourner. Il y avait un je-ne-sais-quoi d’intriguant chez cette femme. Comme un visage de jeune fille caché sous les rides qui entouraient ses yeux de givre. Une jeune fille qui avait beaucoup ri et beaucoup aimé, mais que Mémé ne voulait plus que l’on voit. À aucun prix.
Holly haussa les épaules et ouvrit la porte après avoir vérifié sur la carte où poussaient les bolets. Le vent glacial saupoudra de flocons les lattes du parquet et les patchworks qui reposaient sur les fauteuils, jusqu’à la cheminée.
Le jeune homme rabattit la capuche de sa cape sur ses cheveux roux et se cogna le bras en passant le chambranle, alors qu’il essayait de ne pas se taper la tête. Il n’en pouvait plus non plus, de ce grand corps-là.
*
— Et avec ça, jeune fille ?
— 500 g de raclette, Mr Stache, une galette, un petit pot de beurre et ce sera tout.
L’épicier, qui était aussi le maire, passa la commande au-dessus du comptoir et Robin la réceptionna dans ses sacs cabas, où elle avait déjà rangé son manuel du parfait maître du jeu pour les nuls.
Le poids des commissions la fit plier et elle dut tirer sur sa colonne vertébrale pour rester droite. La jeune fille grimaça un sourire tandis qu’elle payait :
— Merci beaucoup et à bientôt !
— Avec plaisir. Salut Mémé pour moi et Marthe !
— Je n’y manquerai pas.
Aussitôt sortit sur le pas de l’épicerie, le sourire de Robin retomba. Intérieurement, elle bouillait. Et même son manuel ne lui avait pas apporté de divertissement. Robin était si en colère que son tricot avait raté deux mailles sur le chemin et qu’elle avait été impolie avec un pauvre vendeur de bidoche qui avait eu le malheur de la saluer.
Elle maitrisa le tremblement de ses doigts en remettant ses mitaines. À cet instant, elle repéra Holly qui arrivait de la colline et cela l’énerva encore plus. Ses yeux bleus glacés se réduisirent à deux fentes.
Sa pulsion meurtrière fut écourtée au moment où elle se prit une énorme boule de neige dans la figure ; le rouge-gorge s’envola.
La jeune fille se figea tandis que le projectile s’émiettait et tombait sur le sol ; les flocons sur sa langue avaient le goût du vent qui descendait de la montagne. Elle tourna la tête pour remarquer un groupe d’adolescents hilares, installés en troupeau sur le seul banc de la place du village. Elle les connaissait bien, pour être allée à l’école avec eux. C’étaient les cousins de Holly.
En parlant de lui, il avait vu toute la scène, qu’il observait d’un air un peu décontenancé. Leurs yeux se rencontrèrent et il baissa rapidement les siens.
Comme s’il allait lui donner un coup de main !
Pour sa défense, il n’était pas facile de s’opposer à la famille Oeuf, qu’on pouvait également appeler la famille Mimosa Oeuf, quand on englobait la dernière génération.
Les Oeufs avaient été meuniers, de génération en génération depuis la création du Plateau et ce, jusqu’à l’apparition dans leurs rangs de Mimosa le magnifique, il y a une cinquantaine d’années, qui avait eu l’originalité de montrer de remarquables talents de magie. Il était allé étudier à la grande Foire avant de rentrer. Par malheur, bien que plutôt doué, l’homme était extrêmement feignant. Aussi, il ne faisait pas grand-chose de ses pouvoirs, mais c’était à lui qu’on avait confié le soin d’allumer et d’éteindre le soleil, ce qu’il faisait à heures fixes, quand il daignait se lever. Les villageois déçus continuaient officiellement de l’appeler « Mimosa le magnifique », mais dans son dos, on le surnommait « Mimosa la morule ».
Les plus désappointés étaient bien les Oeufs eux-mêmes, car dans leur enthousiasme premier à l’idée d’avoir un grand mage dans la famille, chacun avait affublé son rejeton d’un deuxième prénom en hommage à leur toute nouvelle célébrité.
C’étaient ainsi qu’avaient fleuri des tas de petits Théo-Mimosa Oeuf et Giulia-Mimosa Oeuf, qui partageaient avec leur oncle-père-cousin le même teint pâle couvert de taches de rousseur et la même chevelure rousse.
Robin essuya de son visage les derniers flocons glacés ; des mèches de cheveux blonds humides et emmêlées s’échappaient à présent de ses nattes.
— Regardez qui voilà qui se dandine comme la grosse oie qu’elle est ! ricana une rouquine aux crins frisés.
C’était Mila-Mimosa Oeuf, la fille unique de Mimosa le magnifique et la seule Oeuf ayant hérité des dons de leur célébrité familiale — Holly était un cas à part. Entre elle et Robin existait une haine tacite qui s’étalait sur de longues années d’enfance et d’adolescence, comme du beurre qu’on peut toujours gratter davantage sur une biscotte.
Tout le groupe fit semblant de battre des ailes avec les coudes, tout en cacardant de concert.
Robin sentit son cœur accélérer. Elle était déjà énervée avant que ces guignols n’arrivent, mais elle n’allait pas leur faire le plaisir de perdre le contrôle.
Elle fit le blanc dans sa tête et se remit à marcher.
La deuxième boule de neige lui atteignit l’épaule et bien que ce soit moins humiliant, elle était nettement plus dure que la première et Robin en garderait un beau bleu. Elle s’efforça de ne pas grimacer et continua son chemin sans broncher.
Les projectiles se mirent à pleuvoir. Robin avançait et pendant ce temps-là, Holly ne faisait rien. Comme il n’avait pas non plus envie d’aider ses cousins, il avait reculé pour s’enfoncer entre deux bâtiments et attendait que la tempête se calme.
Bientôt, Robin allait se transformer en bonhomme de neige. À nouveau, elle serra les poings. Elle avait perdu le contrôle, une fois, il y a des années. Le petit Marti Bonpain avait saigné des oreilles, mais comme il s’était battu avec elle juste avant, on n’avait jamais pu rien prouver. Il n’y avait que dans les yeux de Mémé que Robin avait lus pendant longtemps un reproche muet qui l’avait empêché de recommencer.
Il était plus facile de céder à la violence que de se retenir. Robin se mordit la lèvre. Le gout du sang envahit sa bouche tandis qu’elle tournait la tête. Une nouvelle boule arrivait droit vers elle.
— Arrêtez !
Il y avait leurs visages à tous. Triste, laids et méchants. Et elle aussi était méchante. Elle fronça les sourcils et sut immédiatement qu’elle allait faire une bêtise.
— Arrêtez ! Ça suffit !
Une silhouette s’interposa brutalement entre elle et le projectile qui lui était destiné ; le nouveau venu la reçut en pleine figure. Le choc le fit tomber à la renverse et il entraina Robin dans sa chute.
C’était le garçon très mince qui vendait des saucisses. Son visage noir était tout blanc et il ne prit pas la peine de s’essuyer avant de brandir le poing :
— Franchement, à dix contre un ! Vous n’avez pas honte, bande de voyous !
Il avait l’air d’un petit vieux qui peste et sans s’en rendre compte, Robin rigola. Tout d’un coup, elle n’était plus en colère.
Le groupe d’adolescents était éberlué et même si le nouveau venu ne semblait pas les impressionner outre mesure, il avait eu le mérite de briser la boucle de l’humiliation.
La jeune fille se releva avec difficulté et aida le vendeur de saucisses à se remettre sur ses jambes. Il avait l’air de vouloir faire la leçon à la bande, mais c’était inutile. Sans effort, elle retint sa pulsion héroïque et ses moulinets rageux en lui attrapant le col :
— Viens. Ils n’en valent pas la peine, crois-moi.
Ce fut alors comme s’il perdait toute son énergie. Son corps devint tout mou et il prit son visage dans ses mains en la suivant — elle remarqua ses ongles peinturlurés, chacun d’une couleur différente.
— Mon Dieu, je me suis opposée à un gang, que va dire ma mère ?
À nouveau, Robin rigola.
— C’est pas un gang, juste des petits cons. N’y pense plus.
Ils s’éloignaient de la place du village. Elle jeta un dernier regard vers Holly qui les espionnait et hésita avant d’ajouter :
— Je m’excuse pour avoir été si impoli tout à l’heure. Ce n’est pas toi, j’étais déjà énervée. Je m’appelle Robin.
Il lui tendit une main qu’elle serra.
— Alistair.
Alors ce premier chapitre est un délice. J'ai sauté de surprise en surprise. Ton imagination déroutante construit paradoxalement un tout cohérent. J'ignore s'il est possible de tenir ce rythme de surprise tout un roman, mais pour l'instant, j'ai le sentiment de lire quelque chose d'unique.
Ce monde de cases en escargot de plateau est une jolie trouvaille. Il est bien amené, les détails donnés nous permettent de le comprendre sans lourdeur.
Mais ce que j'ai préféré est le cochon de bons conseils qui couve son boudin. Il m'a désarçonnée, je l'ai toute de suite adoré.
Puis vient cette famille Oeuf, à la fois drôle et si réelle qu'on a le sentiment qu'ils vivent dans le village d'à côté.
Je m'en vais découvrir la suite
Je continue ton histoire, et elle m'emballe.
Je répète certainement ce que d'autres ont noté, mais quelle belle idée que d'utiliser le plateau du jeu de l'oie. Je me demande comment tu vas l'utiliser, par la suite. Car cela ouvre pleins de perspectives de restreindre la liberté des personnages .
Toujours cette touche d'absurde (aahhh le cochon qui couve du boudin!)
J'aime l'humour aussi: "Elle était basse comme un buffet et se tenait droite comme si on lui avait enfilé un balai dans le fondement": J'ai ri.
Les personnages sont déjà touchants. Je me demande pour Mémé, l'amitié naissante entre Alistair et Holly...
A tout bientôt!
Je trouve ton histoire très bien écrite ! L’introduction et la couverture du livre m’ont vraiment donné envie de lire le chapitre 1 ! Je vais évidemment continuer de lire les chapitres. Je trouve tes idées originales, mais très intéressantes pour la suite. J’aime beaucoup les personnages, et ils sont assez bien introduits.
J’espère que j’aurai du temps pour découvrir la suite :-) !
Le concept de ton histoire est vraiment super original, avec ce plateau de jeu IRL qui contraint la liberté de tout le monde et dicte la direction à prendre ! On sent que les personnages vont être forcés de vivre certaines aventures qu'ils n'auraient pas spécialement apprécié xD
Je comprends que c'est principalement une histoire de familles, pour l'instant on découvre peu à peu les différentes familles, chacun a l'air d'avoir ses particularités et j'ai hâte d'en apprendre plus !
Merci à Alistair de s'être interposé contre les harceleurs en tout cas, ça crée tout de suite un lien entre les deux persos principaux :)
Le personnage de la grand-mère m'a beaucoup plu déjà, on sent un petit peu l'âme de la vieille sorcière taciturne, personnage classique des contes, qui me plait beaucoup ^^
Hâte de découvrir la suite, à bientôt ;)
Le défi principal de l'absurde est de ne pas perdre son lecteur, surtout dans un univers à 64 petits mondes. J'ai hâte de continuer les aventures d'Holly, Robin et Alistair, trois personnages attachants. Bravo
Déjà avec l'introduction on sentait poindre les prémices d'un univers d'Absurdie où l'humour ne manquerait pas. Et ce début haut en couleur ne déçoit pas du tout. Non mais sérieusement, quelle idée géniale ce plateau de jeu avec ses cases, le sorcier raté qui doit éteindre le soleil ! Et ce cochon, Chutney, qui parle et pond du boudin ! J'adore !
Dire que je passe un bon moment avec le début de ton récit serait un euphémisme. J'adore ta plume, j'adore tes idées et ton univers complètement décalé. Les personnages sont bien campés, la famille Oeuf fait bien pitié, les De Globine me font marrer. Le monde est enchanteur, il y a comme un parfum de magie dans l'air, c'est plein de couleurs et ça met le smile pour le reste de la journée.
Pour l'instant, une réussite à tous points de vue, et un gros coup de coeur en perspective.
Allez, je fonce au chapitre 2 pour voir s'il va se confirmer.
Ori'
Je n'ai pas grand chose à ajouter si ce n'est que j'ai très envie de poursuivre ma découverte de ton monde féérique... dont je m'attends quand même à ce qu'il devienne un peu plus dur à un moment donné ! Peu importe, tout me plaît.
L'ambiance me fait un peu penser au Bal aveugle, de Jowie, tiens !
Et zut de flûte pour Alistair, je pensai avoir régle ce problème. Il faudra que j’y remette mon nez. Et ce n’est qu’un avis, mais Ery m’avait dit qu’on avait besoin en tant que lecteur d’avoir des persos de confiance. Je pense que Alistair est celui qui se livre le plus pour le moment et il a clairement un meilleurs caractère que les deux autres.
Et oui, bien sûr que ça deviendra plus sombre, on ne se refait pas. Mais je vais quand même tenter de garder de l’humour et du cosy jusqu’au bout !!
Un plaisir, je vais aller découvrir la suite.
Effectivement, je pense que je vais bien m’amuser avec ce plateau, j’espère que ce sera drôle et un peu épique, on verra bien. Je n’ai pas l’habitude d’écrire pour cette tranche d’âge en particulier. On verra bien.
Et oui, tu as bien cerné les personnage centraux. alistair est clairement le plus manichéen d’entre eux.
Je te dis à tout de suite pour répondre au commentaire suivant.
J'aime bien aussi les points de vue qui se rejoignent à la fin, avec Alistair, Holly, et Robin. Comme ça on a l'impression de les connaître un peu déjà chacun.
Le cochon qui pond des boudins, c'est un concept !
Il y a juste un endroit que je n'ai pas trouvé clair, où tu parles de la case 23 puis de la 11. c'est 23, non ?
Merci beaucoup d’avoir relevé ma boulette. C’est effectiement bien la case 23 (erreur qui vient du fait que je ne savais pas exactement où se trouvait la case quand j’ai commencé à écrire). C’est maintenant corrigé !
Et le cochon qui pond du boudin c’est un concept plus subtil qu’on ne le pense. Non je ne déconne pas. Un monde où on est pas obligé de tuer pour avoir de la viande, ce n’est pas rien. Gros bisous et merci pour le retour.
Je pense qu’en fonction de ce que tu as compris/pas compris, c’est plus ou moins embêtant. Par exemple, on se fiche des multiples membres de la famille oeufs, ce sont des pnj. Les 4 personnages importants de ce premiers chapitre sont Alistair, Holly, Robin et Mémé. Le reste est un peu secondaire.
En tout cas merci beaucoup pour ta lecture !
J'aime beaucoup ce premier chapitre. Tu réussis à poser une ambiance féérique, qui me rappelle peut-être à cause de toute cette neige et le titre, un magasin de jouets en plein Noël. Et à ce qui parait, je ne suis pas la seule !
Sympa le changement de narrateurs qui finissent par se rencontrer et faire cause commune à la fin du premier chapitre.
Très cool le titre de chapitre ! L'humour me plaît bien aussi, avec mimosa oeuf etc... Le ton léger est vraiment agréable (=
J'aime beaucoup l'univers et surtout le concept de cases d'un grand jeu où avancent tous les personnages. En plus d'être extrêmement stylé, c'est très intéressant, ça peut permettre beaucoup de choses très cool au niveau du scénario.
Mes remarques :
"Salut Mémé pour moi et Marthe !" -> salue
"que Robin avait lus pendant longtemps un reproche muet qui l’avait empêché de recommencer." lu empêchée ?
Je poursuis !
Oui, j’ai bien l’intention de ma’amuser avec ce plateau de jeu. La première partie reste sur cette case là, mais assez vite il y aura un chapitre par case pour faire le voyage et ça devrait être plutôt fun. Je l’espère en tout cas !
Je te découvre avec les HO et je suis pas déçue, j'aime énormément ta plume qui danse entre le poétique et le comique, l'alliage est si doux et si agréable à lire ^^ Tes personnages aussi sont extra attachants, je rejoins Jeannie qui dit "j'ai l'impression d'ouvrir un coffre à jouets et de découvrir plein de choses originales qu'il va être chouette d'explorer" > yop c'est exactement mon impression. Beaucoup de couleurs partout, bravo pour les images auxquelles tu fais appel et qui me sont très parlantes ^^
Bisouuu <3
Je suis très heureuse si mon univers te plait. J’avais effectivement envie d’une histoire plus légère que ce que j’écris habituellement et ça a l’air de bien marcher. :)
J'adore les personnages, qui sont déjà si campés et attachants.
J'adore le style humoristique, avec quand même des descriptions qui font rêver.
J'adore le monde et comment il fonctionne.
Ravie de cette trouvaille !
L'organisation du récit en cases du jeu de l'oie, c'est super ! Et comme ton univers a l'air foisonnant ! J'ai l'impression d'ouvrir un coffre à jouets et de découvrir plein de choses originales qu'il va être chouette d'explorer. Coloré, plein d'humour, dynamique.
Le coup du chapelet de saucisses m'a bien amusée, ou encore l'héroïne gnan-gnan ahah. Super aussi, le passage entre Mémé et Holly. Les personnages sont hauts en couleurs, vivants, déjà très attachants.
Petite coquille :
>> "Vient, ils n’en valent pas la peine, crois-moi." > viens
Un plaisir en tout cas ! J'aime bien Robin notamment <3
Oui, j’ai tendance à écrire des histoire plutôt sombre et pour celle-là j’ai décidé d’inverser la donne et de beaucoup m’amuser. J’espère que ce sera cosy. Et bien qu’en apparence ils soient très lisses, il y aura des personnages plutôt cabossé aussi.
Merci beaucoup pour ta remarque, c’est maintenant chose corrigée <3.
Et je suis très contente que tu apprécie Robin car c’est sans doute le personnage le plus complexe de cette histoire :).
Gros bisous et à bientôt sur le fofo ou sur l’une de nos deux histoires :)
J'étais déjà très, très fan du concept de jeu de l'oie quand tu m'en avais parlé. Et là, on se retrouve avec un premier chapitre particulièrement maîtrisé. Tu nous balances les infos essentielles sur le roman, le cadre, cette notion de cases et de plateau, les personnages, les liens qui existent ou qui pourraient exister entre eux. Franchement, j'ai été embarquée du début à la fin !
Tout est très agréablement visuel, les décors, les persos. Je rejoins un peu Sorryf, c'est vrai qu'il y a un caractère systématique dans la description des personnages, toujours une pause un poil trop appuyée dans la narration pour les présenter physiquement. Et en même temps, les images fonctionnent et ont le mérite de rendre chaque personnage spécifique.
D'ailleurs, j'ai déjà un faible pour Chutney. Ne serait-ce que parce que c'est un cochon qui pond du boudin et qui s'appelle Chutney.
J'ai adoré les touches d'humour, le boudin, l'appareil à raclettes... Ça te ressemble beaucoup, cet humour tout en poésie !
Sur la forme, j'ai repéré pas mal de petites coquilles très bêtes mais rien qu'un Antidote ou une BL rapide ne saurait corriger.
A très vite pour le prochain chapitre !
Merci beaucoup pour ta lecture et le temps pris pour faire un retour. Je suis contente si tu le trouve maitrisé, ce n’était effectivement pas facile de mettre toutes les infos pour que le monde ait l’air a peu près cohérent X).
Pour les descriptions, j’ai un peu allégée celle de Holly, mais pas celled es autres, j’y tient trop <3. Je laisserai beaucoup plus de place à l’imagination pour les personnages suivants, mais c’est vrai que sur ce quatuor j’avais envie que leur images soit assez précises. On verra si le commentaire revient, je me remettrai peut-être davantage en question.
Et oui, j’ai acheté antidote sur le web et c’est vraiment pratique. Tous les chapitres postés sont maintenant passé à la moulinette orthographique (et à celle des répétitions lalala).
GRos bisous et à bientôt
Je n'ai pas commenté l'intro mais comme j'apprends de mes erreurs, cette fois je l'ai lue :p
C'est un plaisir de lire ta plume, tellement visuelle ! les descriptions des personnages sont super, on les a en tête tout de suite ! Maintenant, histoire de pinailler,, je les aies trouvées un peu trop systématiques, un perso est présenté, puis sa description dans un paragraphe dédié, puis on reprend la narration... En meme temps, j'ai beaucoup aimé ces descriptions donc je sais pas pourquoi je te dis ça :x
Sinon, je suis déjà fascinée par tous tes personnages, les ados aux noms inverses à leur genre, Mémé, le cochon qui parle, ce pauvre mage paresseux honte de sa famille xD t'as tellement d'idées, et tu racontes si bien *v*
Hop, dans la PAL ! \o/ trop hate d'en lire plus !
Et pour répondre, oui c’est sûr que je ferai une carte ;) j’attends juste d’avoir des noms pour mes 64 cases (j’ai un fichier avec une liste, et je dois avoir dépassé la moitié mais il en manque encore). J’aimerai trop dessiner un espèce de jeu de l’oye à l’ancienne, mais ça ne doit pas être facile.
Pour les descriptions, je pense que ça sera moin net par la suite, je suis juste chiante pour mes 4 persos principaux, j’avais envie qu’ils soient bien dans vos têtes comme dans la mienne. J’ai quand même allégée celle de Holly.
Et merci pour les compliments, ça me fait trop plaisir *groscalin*