Petit Portail

— Ça commence à faire du monde, commenta Lolita en s’approchant de son chef. 

Ils regardaient tous les deux les silhouettes qui sortaient du couloir des limbes. La barricade avait déjà été retirée à la fin du chrono de Camille et c’est six personnes qui avançaient au pas de course pour rejoindre le monte-charge. 

— Imagine, ils arrivent tous en retard, on ferait comment pour les rattraper, remarqua Serge. 

— C’est vrai, répondit Strada. Quand ils étaient deux, on pouvait tendre une toile, mais là… 

Ils marchèrent à leur rencontre et délestèrent les récupérateurs de leur sac et les explorateurs de leurs lunettes. Strada prit un malin plaisir à s’emparer de celles de Chris et Tony. Il avait l’impression d’avoir rajeuni aujourd’hui ! Lolita racontait comment il avait expulsé le démon de lui en mode Conan le barbare quand il se sentit soudain pousser des ailes. 

— Tony, Chris… je sais que vous avez pas le temps de pouponner, mais j’ai une faveur à vous demander, dit-il. 

— On t’écoute, répondit Chris. 

— Tu as meilleure mine, nota Tony. 

— N’est-ce pas… En fait… je voudrais vous accompagner à votre prochain passage dans les limbes. J’aimerais le faire au moins une fois. 

Chris repensa à son récit de super commando, à la façon dont il avait été mis sur la touche dès les premières secondes et hocha la tête. Tony leva la main et donna une tape sur l’épaule de son chef. 

— Ce serait avec plaisir, assura-t-il. 

— Soit prêt à la prochaine éruption, ajouta Chris. 

— On lui fait une place à la maison, à lui aussi ? plaisanta Camille. 

— C’est bon, ça ira, pouffa Strada. Vous n’êtes pas un peu à l’étroit là-haut ? 

— Non, on s’est organisé, répondit Camille. La voisine a proposé de prendre Sam et Didier chez elle. 

— Oh ! Ça, ça fait envie, assura Strada en se posant une main sur l’estomac. J’en connais deux qui risquent de courir moins vite avec le ventre lesté de bonnes choses !

— On tâchera de ne pas abuser, ricana Sam. 

Alors qu’on refermait la fourgonnette une fois l’endroit nettoyé et que les groupes se dispersaient, Strada se tourna vers Camille pour le retenir. 

— C’est gentil de ta part de proposer ton aide, mais je pense vraiment que tu serais plus efficace derrière ton écran. Je dis pas ça pour te vexer, hein ! 

— Non, chef, je comprends tout à fait, assura Camille. Je crois que c’est mieux aussi. 

— Voilà. Merci et travaille rien. 

Camille le salua et rejoignit le groupe des explorateurs qui remontaient vers la maison. Il n’était pas vexé. Il s’était senti obligé de le faire, mais Strada avait raison. Il avait déjà tellement de choses à gérer. Il avait envie d’être là quand Chris revenait, ça l’aurait rassuré de la voir sortir des limbes, mais il devait se contenter de lui faire confiance et rester sur son territoire à lui. 

Ce jour-là, Sam et Didier déménagèrent en face et Tony récupéra ses quartiers. 

— Tu dors dans le débarras, Camille s’étonna-t-il. Tu aurais pu prendre ma chambre. 

— Euh… en fait… 

— Il dort avec moi, affirma Chris sans la moindre gêne. Le débarras et ta chambre étaient pour Sam et Didier. 

— D’accord, fit-il surpris et amusé. 

Il resta un moment pensif à les regarder. Chris ne s’attarda pas et regagna sa chambre et Camille son bureau. 

— Ça me fait bizarre que vous soyez ensemble tous les deux. Je vous considère autant l’un que l’autre comme mes enfants. 

— On n’est pas ensemble, rétorqua Chris. On est partenaires. 

— D’accord, d’accord. 

Il secoua la tête et monta se coucher. 

Chris se demandait si ça allait être tendu comme situation, mais elle se faisait du souci pour rien. Tony était juste de retour chez lui. Et ça se sentit dès le lendemain, tandis qu’elle sortait de la douche et trouvait le père et le fils en train de discuter. Tony buvait un café et Camille réchauffait les victuailles offertes par la voisine. Après le repas, Sam et Didier les rejoignirent et ils quittèrent la maison pour que Chris leur remontre les points de repère afin de former aussi son mentor. 

Camille resta devant son écran. Il se dit que la vie était belle et que ça aurait pu durer encore, que ça ne lui aurait pas déplu. Peut-être que Chris affirmait qu’il n’y avait rien d’autre entre eux qu’une relation de travail, mais lui s’en foutait. Tant qu’il pouvait dormir avec elle, l’embrasser et la serrer contre lui, tant qu’elle s’abandonnait dans ses bras et se donnait tout entière comme il ne l’en aurait jamais crue capable, il était content. Le sourire aux lèvres, il reprit son étude de la vidéo de son père, des heures et des heures de vidéo dans les yeux d’un démon, chaque seconde était primordiale. 

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— Prêt ? 

— Absolument. 

Tony passa devant. Sa main resta visible à travers le portail jusqu’à ce qu’il lève le pouce. Chris attendit que Strada entre et s’engagea après lui. Didier et Sam étaient déjà à l’intérieur. Ce matin, ils partaient tous les deux avec une quête à accomplir, confiée par Camille, du matériel à récupérer. À eux aussi, Camille avait donné une mission, une demande particulière toutefois. Il avait bien progressé sur son plan des limbes et avait repéré une voie que seul le démon avait parcourue. Il estimait qu’elle menait au cœur même du volcan, dans la réalité. Ça ne devait pas être loin, mais en contrepartie, c’était très profond et il y avait toutes les chances que le chemin soit bouché par les cristaux et qu’il faille creuser. 

Tony avançait en tête et Chris surveillait Strada. Elle s’était toujours imaginé que le chef était trop lourd pour pouvoir courir, mais il était en forme et ne se laissait pas distancer même si le rythme de Tony était tout à fait raisonnable. Hors de question de décourager Strada alors qu’il faisait sa première sortie. Après tout, c’était un petit nouveau à former, lui aussi. 

— Là, prévint Chris alors qu’ils passaient devant les cristaux. Ça présage bien. 

— Ok, fit Tony en appuyant ses gants sur la paroi pour tenter de rapprocher le plus possible son visage sans se brûler. Je vois bien quelque chose, mais ça a l’air loin. 

Ils savaient ce qu’ils avaient à faire et Samuel les avait équipés en conséquence. Barre à mine pour Chris, pioche pour Tony et masse pour Strada. Le chef faisait le plus gros du travail, ils progressèrent rapidement, les cristaux se laissant bien dégager. Tony en profitait pour charger les sacs avec le minerai qui lui passait sous la main et c’est Chris qui resta la plus vigilante des trois tandis qu’elle creusait aux côtés de Strada. Ils délogèrent une nouvelle route presque sous leurs pieds et Chris s’y engagea la première, en rappel avec son grappin. 

— Ce n’est pas très profond et la voie est libre, dit-elle après avoir abattu une meute de molosses. 

— On descend, prévint Tony. 

C’est lui qu’elle s’était attendue à voir glisser le long du fil, mais c’est Strada qui visiblement s’était lui aussi muni d’un grappin. Après tout, c’était lui qui avait conçu leur équipement à la base, avec ce que l’armée avait abandonné de matériel derrière eux. 

Ils progressèrent sur une pente raide. Chris qui était désormais devant dérapa et en parcourut une longue partie sur les fesses, prête à s’envoler pour s’extraire d’un piège. Elle sentit plus qu’elle ne vit la fin de la voie qui arrivait. Elle se tendit, tira au dernier moment et se laissa tomber dans un gouffre plus profond encore qui s’enfonçait dans les entrailles de la Terre. Il faisait de plus en plus chaud. Elle ne voyait pas le sol. Elle décida de tenter la descente jusqu’au bout de son fil. 

— Tout va bien ? appela Strada depuis la corniche. 

— Oui ! cria-t-elle. Monstre bizarre en approche ! Sinon tout est OK. 

Bizarre, oui, carrément. C’était une créature épaisse et haute comme un gros buffle dont toute une partie de son corps large était traversée de cristaux circulaires qui semblaient palpiter tel un cœur à nu. Il la chargea. Elle l’évita de justesse et riposta. Le tir l’effleura à peine et déjà il revenait à l’assaut. Strada tomba sur la bête et s’agrippa à ses cornes. Tony atterrit derrière et le visa d’un rayon continu. Chris l’imita de l’autre côté. Le monstre rua et d’un coup explosa dans un bruit d’avalanche et de roche broyée. Tous les trois furent projetés contre une paroi de la grotte. 

— Tout va bien ? appela Chris inquiète. Strada ? 

Il avait été contre la bête au moment où elle avait explosé. Pourtant elle le vit se relever péniblement et épousseter sa tenue. 

— C’est bon, dit-il. Je suis en un seul morceau… 

— Regardez, souffla Tony. 

Il montrait une surface lisse comme de l’eau qui s’était ouverte là où le monstre avait disparu. 

— Un portail ! s’exclama Strada. Un vrai ? 

— J’y vais, approuva Tony. 

Il s’avança vers l’entrée. Chris et Strada le suivirent. Chris regarda le corps de son mentor s’enfoncer, mais trop vite, sa main laissée derrière faillit lui échapper, elle la rattrapa par réflexe et attira Tony en arrière et Strada le réceptionna. Tony n’avait pas l’air effrayé, il riait. 

— Il faut que vous voyiez ça, dit-il. C’est… J’ai pas les mots. Je vais vous tenir. Il n’y a pas de sol, alors penchez-vous seulement. 

Chris s’approcha du portail tandis que Tony l’agrippait par le poignet. Elle se laissa basculer sur le côté pour que toute la partie haute de son corps passe l’ouverture. Ce qui la saisit d’abord fut un vent glacé. Une vague la gicla de plein fouet, une vague froide et salée. Elle essuya son visage et comprit enfin ce qui se trouvait autour d’elle. C’était de l’eau. C’était l’océan. Et au loin, très loin, elle vit un grand dôme dans les tons roses qui recouvrait un territoire, une région dont le sommet était un volcan qui fumait noir. Elle rit de stupeur, de joie et d’incrédulité et retourna près de ses équipiers. 

— À ton tour, dit-elle à Strada. 

— Vous me rendez vraiment curieux ! admit-il. 

Ils le retinrent à deux par les mains tandis qu’il pesait de tout son poids vers la sortie. Quand il revint, il était aussi trempé que Chris. 

— Pas croyable ! dit-il. C’est… C’est ! 

Ils acquiescèrent. 

— C’est dehors, approuva Chris. Je pensais qu’on était toujours en ville, qu’on se rapprochait du volcan, mais on a beaucoup dévié. Il faut rentrer. 

— C’est prodigieux ! s’extasiait Strada. Ça veut dire qu’on est sauvés, qu’on peut sortir ! 

— Remontons, insista Tony amusé. 

Chris passa la première, cette fois. Tandis qu’elle grimpait, tirée par son grappin, elle entendit le petit portail qu’ils venaient de franchir exploser. Elle jeta un coup d’œil aux chiffres de ses lunettes et se mit à courir. 

— On a trop trainé, prévint-elle. Il va falloir se bouger ! 

— On te suit.

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Raza
Posté le 10/08/2025
Coucou !
Alors comme ça, Strada fait un petit run dans les limbes ? Cool :)
Je n'ai pas bien visualisé à quoi ressemblait la créature, ni concrètement comment ils la tuent, mais par contre j'ai bien aimé la fin, avec cette ouverture en mode "on est bientôt tous des évadés!". Le portail apparaît il a cause de la créature ?
Merci et à bientôt !
Solamades
Posté le 27/08/2025
Oui, c’est exactement ça. Mais la suite est plus claire.
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