Rires et étincelles

Notes de l’auteur : On commence à arriver dans les chapitres plus "brut de décoffrage", avec peu de relecture et peu de réécriture, du premier jet avec sûrement des oublis ou des trucs incompréhensibles... N'hésitez pas si vous avez des commentaires à faire :)

Revenus au cœur de la forêt ailée de la princesse Marla, ils remontèrent leurs dômes avec rapidité. Margod resta auprès d’Elysandre près de leurs tentes sur un banc formé par un arbre tressé. La jeune fille sanglotait sur l’épaule de son amie, encore sous le choc de cette nouvelle mésaventure.

— Viens, ma jolie, dit Margod en posant sa main sur le bras d’Elysandre. J’ai quelques chapeaux et foulards dans mes affaires, on va bien trouver quelque chose pour te coiffer un peu et te vêtir de propre. Ça te changera les idées.

— Merci, souffla la jeune fille en étouffant un sanglot.

Elle ne digérait pas ce qu’il lui était arrivé quelques heures plus tôt avec ce petit elfe infernal. Elle avait eu tellement peur de finir noyée et écrasée au fond du puits. Et puis elle avait réussi, in extremis, à trouver et jeter les dés. Mais elle y avait perdu ses cheveux – enfin pas tout à fait – il lui restait une mèche qui avait tenu derrière l’oreille gauche. Elle s’était trouvée affreuse dans le miroir du lutin. Qu’allait-elle devenir ? Et Morgan ? Il lui manquait atrocement, même ses taquineries… Morgan… où pouvait bien l’avoir emmené cette Kaëlig ? Était-il souffrant ? Vivait-il encore ? Non ! Il était vivant, c’est sûr ! Elle l’aurait senti sinon ! Entre eux, il existait comme un cordon invisible qui les reliait. Si l’un avait mal, l’autre le ressentait, il en avait toujours été ainsi. Or, depuis son enlèvement, elle n’avait éprouvé par ce lien que du bien-être. C’était incompréhensible, elle n’osait pas en parler aux autres de peur qu’ils se moquent…

Elle se rappelait s’être jetée dans les bras de Zéphyr en sortant de la grotte. Il avait dû la trouver répugnante avec son crâne lisse et cette mèche ridicule, puant les eaux stagnantes du puits. Ses vêtements étaient sales et déchirés. Elle étouffa un nouveau sanglot, une grosse larme s’écrasa sur son genou.

— Essaye ce chapeau ! Avec ses larges bords, il protège bien le visage de la pluie ou du soleil, fit Margod en lui tendant ledit couvre-chef.

Elysandre le mit sur sa tête et contempla le résultat dans le miroir que lui tendait la jeune nergaléenne. Elle avait l’air ridicule avec sa tête toute ronde, on eût dit une pomme coiffée d’un chapeau de sorcière. Elle l’ôta aussitôt en riant.

— Il te faut un chapeau avec des bords moins larges et…

 Elle se frotta les tempes en pleine réflexion.

— Des bords tombants peut-être.

— Oui, et surtout pas avec la pointe en l’air, ça fait trop déguisement de sorcière pour moi, pouffa la jeune fille.

La jeune Nergaléenne farfouilla dans ses affaires pour en sortir un petit chapeau souple en forme de cloche d’une jolie couleur, violet foncé. Elle le déposa sur le crâne lisse d’Elysandre et le resserra à l’aide du ruban rose pour qu’il tienne bien en place.

La jeune fille s’observa de nouveau. Elle sourit.

— Parfait, j’ai l’air moins ridicule comme ça, en plus il est tout doux.

Elle serra dans ses bras sa nouvelle amie pour la remercier.

— Tut, tut, tut ! C’est pas fini ! Il te faut des vêtements propres aussi, s’amuse-t-elle en farfouillant de nouveau dans sa besace. Tiens, cette tunique et ce pantalon devraient faire l’affaire !

— Merci ! Tu es trop sympa de me prêter tout ça. Mais comment fais-tu pour trimballer autant d’affaires dans ton sac ?

— Oh ! Ce n’est rien, j’ai hérité ce sac de ma mère. Il y a un double fond qui mène tout droit à ma penderie.

Elysandre ouvrit de grands yeux, puis éclata de rire.

— Tu me charries ?

— Je te quoi ?

— C’est une blague ? Y’a pas de fond magique en vrai ? Tu te moques de moi ?

— Mais non, je suis très sérieuse, je ne vois pas ce qui te fait rire, ici la magie est partout, ma chère. Ne t’en es-tu pas encore rendu compte ?

— Si…, mais tout cela est encore tellement nouveau pour moi… Je ne connais de la magie que les vieux livres poussiéreux qui remplissaient une des bibliothèques de ma grand-mère. Tu sais, mon frère et moi, on a été élevés par elle. On n’a jamais connu notre mère, je crois. Et notre père a disparu quand on était tous petits.

— Ah bon ? Et votre grand-père ?

— Jamais rencontré non plus, Grand-Mère ne nous en a jamais parlé. Elle évite le sujet…, soupira-t-elle. Elle se contente de froncer les sourcils si l’on ose l’évoquer.

— Tu dis que ta grand-mère possède des livres de magie ? J’aimerais bien la rencontrer un jour, c’est rare les humains qui s’intéressent à la magie au point d’avoir autant de livres sur le sujet.

— Oh ben, tu sais, elle ne les ouvre jamais ! D’ailleurs nous non plus. Morgan préfère les mangas et je préfère les romans de fantasy.

— Des romans ? De fantaisie ? Des mangas ? C’est quoi ?

— Les mangas sont des histoires entièrement illustrées qui viennent du Japon, mais tu ne dois pas savoir de quoi je parle. Et les romans de fantasy, ce sont des histoires avec des créatures extraordinaires, des elfes et franchement pour tout dire tout ce qu’on voit ici chez toi ! C’est pour ça que j’ai cru que vous étiez déguisés quand on s’est rencontré à la cascade. C’est vraiment étrange et stressant de se retrouver dans un tel monde pour une lectrice du genre.

Elysandre baissa les yeux, sa bouche se tordit, une goutte d’eau salée coula sur sa joue. Parler de son frère était encore trop douloureux.

— Je n’ai pas tout compris, mais c’est pas grave, tu me réexpliqueras mieux une autre fois. Je vais te laisser finir de t’habiller seule, je sors voir où en est Sliman. Il a dit qu’il allait nous refaire des petits pains de manïan.

Margod rangea sa besace dans un coin. Elle s’éclipsa avec rapidité et discrétion, jetant au passage un coup d’œil contrit vers sa nouvelle amie, remarquant alors le tatouage au bas de son dos dessinant une sorte de courbe sans début ni fin qui se retournait sur elle-même dans un incessant va-et-vient.

Elysandre enfila les vêtements de Margod, un peu larges pour elle, la Nergaléenne étant plus ronde. Une ceinture épaisse maintenait le tout. Elle avait une drôle d’allure, mais ça lui plaisait bien, tout compte fait.

 

Zéphyr qui venait d’entrer sous le dôme l’observait, un sourire aux lèvres.

— Tu es très jolie, Elysandre.

La jeune fille se retourna surprise par l’intervention du Nergaléen. Son cœur fit une embardée en le voyant. Il avait les cheveux mouillés. Ses yeux brillaient. Elle s’approcha de lui. Zéphyr lui saisit la main et la fit tourner plusieurs fois sur elle-même pour l’admirer. Le tournis la prit, elle s’affala en riant sur Zéphyr. Ils se retrouvèrent au sol l’un sur l’autre.

Un ange passa.

 Elysandre contemplait avec envie la bouche du jeune homme à la peau bleu pâle, puis elle vit ses cheveux humides étalés par terre autour de son visage si doux. Elle le regarda dans les yeux plusieurs secondes. Son cœur battait la chamade. Il lui rendait son sourire sans ciller ni bouger. Elle avait le contrôle de la situation. Elle s’inclina plus vers lui et finit par lui faire un timide bisou sur la joue. Il ne bougea pas et continua de sourire. Elle hésitait. Ils restèrent quelques secondes encore l’un sur l’autre sans que rien ne se passe. Ils s’observaient. Zéphyr était tendu comme un arc, des pensées contradictoires le traversaient. Non, il ne pouvait pas, c’était une humaine et de surcroît à peine sortie de l’enfance. Elysandre finit par se relever en souriant avec un air niais. Mais Zéphyr qui l’observait trouva cela charmant.

— Tu es si jolie quand tu souris.

Margod entra sous le dôme et s’arrêta net en les voyant, les yeux dans les yeux, un même sourire béat leur fendant le visage.

— Ah, euh…, désolée de vous déranger, euh… je… Désolée ! Je repars. Vous n’avez pas vu ma besace ? Elle farfouilla dans leurs affaires entassées et trouva ce qu’elle cherchait.

— Ah ! La voilà ! Bon, je vous laisse.

Margod, les joues en feu, voulut s’éclipser rapidement, mais son pied gauche buta sur une aspérité du sol, ce qui eut pour effet de la faire s’étaler de tout son long. La mousse qui recouvrait le sol amortit sa chute. Elle réussit à se relever sans encombre et enfin quitter le dôme sans autre chute.

Zéphyr et Elysandre, qui n’avait pas bougé, éclatèrent de rire une fois Margod repartie. Ils riaient aux larmes de la gêne et de la gamelle de leur amie. Il est vrai que même eux étaient un peu surpris de ce qui venait de se passer. C’était tellement inattendu…

 Margod s’épousseta une fois à l’extérieur. Elle rejoignit son amie Erin qui avait fini de ramasser de quoi entretenir le feu de camp.

— On dirait que je viens d’interrompre Zéphyr et Elysandre, chuchota Margod dans l’oreille d’Erin avec un air entendu.

La belle Nergaléenne serra les poings sous son plaid.

— Pourquoi je ne suis pas étonnée ? C’était évident que ça allait arriver. Il aurait dû résister, il va faire quoi maintenant ? On est censés l’aider à retrouver son frère et surtout à les faire retourner chez eux ! Il n’a donc rien appris des légendes ?

— Pourquoi tu t’énerves ? Ce n’est pas ton problème ?

— Je m’énerve parce qu’il va souffrir ! On souffre toujours quand on tombe amoureux et quand on se laisse aller à le montrer, les ennuis commencent. Toujours !

 — C’est sûr que je n’ai aucune idée de tout cela, moi, soupira Margod. Mais je te trouve quand même bien pessimiste. Laisse-leur une chance avant de juger.

Margod se plongea dans ses souvenirs, un vilain pli à la bouche. Ce soir où elle entendit pour la première fois celui dont elle ne connaissait pas le nom. Devait-elle encore l’écouter ? Devait-elle s’en affranchir ? Elle observait le ciel au travers des frondaisons de la forêt ailée à la recherche de réponses.

Erin, le visage fermé, se releva, donna un coup de pied rageur dans le tas de branches qu’elle avait ramassé plus tôt et alla tisonner le feu. Margod sortit de ses questionnements, l’observa piquer sa crise, pensive et interloquée. Elle n’avait jamais vu Erin se mettre dans un tel état pour si peu. Elle suivit discrètement son amie qui s’était éloignée jusque dans une clairière plus reculée et sombre. Elle vit Erin allumer une torche d’Hengar, que seuls les Nergaléens initiés à la magie des Anciens savaient encore allumer. Une flamme verte inonda de sa lumière les alentours. Erin banda son arc et tira toutes les flèches disponibles dans son carquois. Elle alla les ramasser une par une et recommença aussitôt à tirer. Après une dizaine de cycles, elle prit une pause, ramassa ses flèches et se retourna. Margod observait, bouche bée, cet accès de rage. Les Nergaléens sont en général plutôt pacifiques et mesurés dans leurs actes. Aussi ne comprenait-elle pas l’attitude d’Erin.

— Margod, c’est bon tu peux sortir de ta cachette… Je sais que tu es là. J’espère que le spectacle t’a plu au moins! lâcha Erin.

Les deux jeunes femmes retournèrent en silence vers le campement et s’installèrent chacune sur leur couchette, la nuit était déjà tombée. Une fois son amie endormie, Margod se releva sans faire de bruit et sortit du dôme pour se diriger vers le lieu de repos de Marla. Quand elle revint plus tard se coucher, Erin l'interpella à demi réveillée.

— Où étais-tu ?

— J'étais sortie prendre l'air, ma vessie m'empêchant de dormir, répondit Margod évasive.

Cette explication sembla suffisante pour la Nergaléenne qui se pelotonna dans sa couverture sans en demander plus.

Zéphyr, installé sur sa couche, réfléchissait sur ce qu’ils avaient appris jusqu’ici. Beaucoup d’informations à trier dans son esprit. Il tournait et tournait encore tout cela dans sa tête. Il fallait se rendre à nouveau à la grande bibliothèque pour clarifier les zones d’ombres. Il leur manquait des éléments importants. Il sentait que c’était là sous leur nez, mais ils étaient aveuglés. Demain au réveil, il informerait ses amis de la direction à prendre. Il arrêta de gigoter sur sa couche et s’endormit enfin.

Au matin, la petite troupe fit les salutations d’usage à la princesse Marla. Erin avait pris soin de Tewenn et lui avait ôté son attelle. Son poignet avait récupéré toute sa mobilité et il n'avait plus mal. Carambole et ses amis se proposèrent de les emmener pour aller plus vite. Ils acceptèrent soulagés. Sliman et Margod préparèrent des en-cas pour la route, qu’ils enveloppèrent dans des carrés de tissus imbibés de cire d’abeille. Leurs bagages finis, ils étaient sur le départ attendant les instructions de Zéphyr.

 — Nous allons passer plus au nord du lac des Longs Sanglots, je ne tiens pas à recroiser ces folles furieuses de sirènes, dit-il dans un frisson. Mais sans aller à passer dans le Val Sans Retour peu recommandable si l’on en croit nos aînés. Les membres de la petite troupe acquiescèrent et montèrent sur leurs zèbres.

— C’est parti ! lança Erin sur le dos d’Anil.

— Hi haaaa ! s’exclama Sliman tout sourire de nouveau. Il rejoignit Erin en tête de cortège avec un Carambole d’humeur joyeuse. Les zèbres Ensi n’appréciaient que peu de côtoyer de trop près la forêt ailée et sa princesse.

Ils progressaient au trot depuis déjà une bonne heure. Elysandre apercevait les neiges éternelles du mont Osmana à l’horizon lointain et les eaux dangereuses du lac des Longs Sanglots reflétaient la lumière du soleil telle une nappe de diamants. Elle se cramponnait à la taille de Zéphyr. Les sourcils froncés, les lèvres pincées et les yeux brillants de larmes, elle pensait à son frère. Une larme coula sur sa joue, qu’elle essuya avec son épaule. Tewenn et Ergad sur leurs zèbres respectifs fermaient la marche à leur habitude.

Margod chevauchait en avant, un peu à l’écart d’Erin. Elle se frottait les tempes, les yeux mi-clos. Elle bougeait les lèvres, mais aucun son ne sortait. Non ! Non ! pourquoi passerait-on par le Val ? C’est un endroit peu sûr, peuplé d’êtres maléfiques, d’après les textes anciens !

— Tu sembles bien agitée, Margod ? hennit Mélina, je te rappelle que je peux ressentir tous tes mouvements et tes crispations, ajouta-t-elle.

Margod sortit de sa transe.

— Oh pardon, Mélina ! Toutes mes excuses, oui j’ai beaucoup de questions qui me tournent dans la tête, il y a encore tellement réponses en attente, soupira-t-elle. Et toi, tais-toi !

Erin tourna la tête vers Margod, jaugea son amie quelques secondes avant de regarder de nouveau droit devant elle, les lèvres pincées. Elle aperçut alors Sliman et Carambole qui filaient au galop, riant et hennissant comme des enfants. Elle pinça plus fort encore ses lèvres.

Margod suivit le regard d’Erin, mi-figue mi-raisin. Ce qu’elle vit ensuite la tétanisa. Sur un rocher, allongé de tout son long, dormait une créature qu’elle n’aurait pour rien au monde voulu croiser un jour. Erin serra les talons par réflexe pour faire ralentir Anil. Sa bouche forma un rictus affolé. Margod n’eut rien le temps de dire ou faire à part enjoindre à sa monture de ralentir. Sliman et Carambole continuaient leur folle cavalcade peu discrète. La bête bougea. Margod jura dans sa tête. Elle n’osait crier « stop ». La bête ouvrit un œil. Fixa Sliman et sa monture. Un rugissement infernal sortit de sa gueule béante qui aurait pu facilement avaler d’un coup un Nergaléen et son zèbre. Carambole freina des quatre sabots, Sliman fut projeté en avant. Il réussit par une pirouette à atterrir sur ses deux pieds, le visage frappé de stupeur. Devant lui à quelques pas se tenait une créature dont il n’avait qu’entendu parler, dans les vieux contes pour enfants de sa tante. Une énorme bête à la tête de lion et au corps de salamandre se tenait là. Elle le fixait, tous crocs dehors. Elle rugit de nouveau dans un fracas infernal.

 

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