Shimmering Manor, lundi 10 décembre 1877

Par Beatrix

 

Mon cher cousin,  Face à votre silence prolongé, il m'est venu à l'idée que vous n'aviez peut-être, tout simplement, pas reçu mes lettres. Je les remets habituellement à l'une des bonnes qui les porte en ville. Mais j'ai décidé, cette fois-ci, de faire autrement.  Même si je suis sans cesse sous le regard de madame Fooley et de lord Henry, je vais faire mon possible pour glisser ce pli au jardinier qui n'a peut-être pas reçu de consignes pour retenir mon courrier. J'espère juste que mes lettres précédentes n'ont pas été lues : je ne voudrais pas qu'ils découvrent que j'ai conservé ma clef.  Je crains toujours cependant, si vous recevez ma missive et y répondez, qu'on me remette votre lettre... Cependant, je tiens à vous confier mes dernières et terribles découvertes. Vous allez vous dire que cette fois, je suis devenue folle. Totalement folle. Mais il ne m'est plus possible d'échapper à cette folie.  Afin d'endormir la méfiance de madame Fooley et des Shimmering, j'accepte de nouveau de me conformer à l'attitude qu'ils attendent de moi. Je porte les tenues somptueuses que l'on m'envoie, je laisse la gouvernante coiffer mes cheveux et m’apprêter pendant des heures devant le miroir.  Étrangement, à force de de contempler mon reflet, il m'a semblé voir se mouvoir d'étranges ombres dans les profondeurs du reflet. Mon image me contemple en retour et, parfois, j'ai presque le sentiment de la voir porter une expression qui m'est étrangère. Ce sentiment est sans doute le fruit de mon imagination, lié à mon emprisonnement entre ces murs dans lesquels je me sentais pourtant si bien, à mon arrivée.  Je n'ai pu m'empêcher de repenser à ma rencontre avec le frère de lord Henri à la Bibliothèque. Je sais que je vais sans doute faire quelque chose de très imprudent, mais je veux vérifier un fait important, une bonne fois pour toutes. Dès que cette lettre sera partie, je me rendrai dans l'aile qui m'a été interdite. Heureusement, j'ai toujours la clef de ma chambre, que j'ai conservée sur moi, et fort bien m'en a pris car je suis persuadée que mes affaires ont été fouillées. Même mon écritoire et mon papier semblent avoir été subtilisés : c'est la raison pour laquelle cette lettre a été rédigée à la mine de plomb, au dos d'une de vos lettres.  Je tremble à l'idée de cette expédition à venir. Il y a peu de chance que je reçoive votre réponse, mais je veux encore espérer...  Votre affectionnée cousine,  Elisand Hartley

 

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