Temps

Depuis que je me suis ouvert à toi et au monde que constitue ma chambre, j'ai commencé à placer quelques fragiles repères autour de moi.

Lorsque tu arrives en poussant la porte, joyeux et enjoué, c'est le matin. Tu me racontes ce que tu as fait avant d'arriver, puis tu me parles du monde, des actualités. Cette deuxième partie, je ne l'écoute pas, seulement focalisé sur le son de ta voix et l'intonation de tes paroles. Certaines sont amusantes, elles partent dans les aigus lorsque tu tentes d'être drôle, puis redeviennent calmes et paisibles lorsque tu abordes des sujets plus sérieux. J'ai constaté que tu ne me parles jamais de la chambre, de l'hôpital, ou de mon état de santé. Tu esquives ce sujet, comme j'esquive le monde extérieur. Je ne t'en veux pas. Au fond, je ne crois pas avoir envie de faire face. Mes premières interrogations, lointaines, se sont envolées. Je suis trop occupé à reconstruire un semblant d'ordre dans ce petit monde. Doucement, il se complexifie.

Après un temps indéfinissable, tu pars. C'est midi. Je n'aime pas cet instant. Il me déchire. Nos liens se brisent. A chaque fois, je me noie avant de me reconstituer autour de mon monde interne. J'ai l'impression d'être comme un nourrisson face à l'absence de sa mère dans les premiers mois de sa vie.

Je ne sais jamais si tu vas revenir.

Pourtant, tu reviens toujours.

Les infirmières arrivent ensuite pour manipuler mon corps. Je ne sais pas ce qu'elles font. Je suppose qu'elles le nettoient et changent les draps de mon lit. Je n'ai pleinement vécu cette expérience qu'une seule fois, désormais je fuis encore plus loin dans mon inconscient, me détachant entièrement du dehors.

Je fuis vers toi, tentant de m'imaginer où tu es parti. Je ne parviens qu'à redessiner les traits de ton visage et de ton corps qui marche lentement dans un long couloir sombre aux murs opaques. Je suis derrière toi. Je tente de m'approcher mais tu t'échappes...

Lorsque je reviens à moi, dans L'ici et Maintenant, tu es à nouveau dans la pièce. C'est le début d'après-midi. Les liens se resserrent. Tu es revenu et je m'agrippe inconsciemment à ta présence.

Le temps passe, les bips défilent. Tu parles, tu te tais, et parfois, tu restes plus longtemps que d'habitude. Ta respiration est lente, douce, régulière. Elle rythme mon propre souffle et les Bip se calent sur les battements mêlés de nos cœurs respectifs. Dans ces moments-là je suis bien. Tout va bien...

* * *

Lundi. Tu dis que nous sommes le Lundi 19 décembre. Le temps m'oppresse, mais je me raccroche à ce repère étranger. Les journées sont généralement hachées par ta présence, tes allées et venues, et le temps s'étire tout autour de toi. Alors Lundi, qu'est-ce que cela peut-il bien signifier ? Un jour nommé inutilement. Je n'en ai pas besoin. Pourtant, une part de moi en comprend l'importance et chérit cette nouvelle donnée.

« C'est bientôt noël ! » t'exclames-tu, me ramenant vers toi.

Cette intonation me rappelle quelque chose. Tu as déjà prononcé cette phrase de cette façon.

Pour la première fois, je me remémore tes traits sur un écran de télévision. Tu t'agites en un lieu chaudement éclairé, et t'exprimes avec des gestes rapides. Je ne perçois pas tes mots mais entends des rires par intervalles réguliers.

Des rires.

Un électrochoc me parcourt et, subitement, mon crâne explose en une myriade d'éclats de verre. La torture est soudaine, atroce. J'entends, au loin, ma machine s'emballer, et tes pas retentir sur le sol de la chambre.

Avant même de saisir le sens de ce qui vient de se briser en moi, je m'efface et perds volontairement pied, laissant mon inconscient sombrer dans d'opaques ténèbres.

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