Ultracom
– En plus du transport de marchandises qui pourrait se gérer avec un équipage cinq fois moins nombreux, expliqua Paddy un soir, nous travaillons à des chantiers sur les planètes. Là, le boulot devient autrement plus dur que les corvées à bord.
– Quel genre de chantiers ? interrogea Oxan.
– Ça va de la construction de grands bâtiments à de l’entretien de forêts, des récoltes ou plein de choses différentes. Souvent, on ne sait qu’au dernier moment en quoi ça va consister. Nos employeurs veulent de la main-d’œuvre prête à toutes les tâches, mais ils ne se donnent pas la peine de nous expliquer à l’avance.
– C’est quoi des récoltes ? demanda Calixt.
– Sur certaines planètes, ils ne synthétisent pas la nourriture, ils la font pousser. Ils sèment des graines dans le sol, attendent qu’elles germent, grandissent et se transforment en céréales, en légume ou en d’autres plantes. Et ensuite ils récoltent. C’est-à-dire qu’ils ramassent ce qui a fini de mûrir.
– Ah oui, j’ai étudié ça en cours, s’exclama Oxan en s’installant. Je crois qu’ils faisaient ça même sur Terre, à l’ère prégalactique !
– Mais où ils vivent ? demanda Ulys.
– Peu de planètes comptent une population aussi élevée que celle de la Terre, tu sais, expliqua Paddy. Sur la plupart des mondes, il y a beaucoup plus de place. Les habitants peuvent à la fois cultiver des champs et construire des maisons. Vous verrez.
Oxan réalisa qu’elle ne connaissait de la galaxie que ce qu’elle avait appris dans ses cours, c’est-à-dire… à peu près rien. Elle savait juste qu’une vague d’émigration, un millénaire auparavant, avait débouché sur la colonisation de nombreuses planètes, et c’était tout. La façon dont ces mondes avaient évolué demeurait un mystère pour elle.
À partir de ce jour, l’excitation monta. Les enfants échangeaient des hypothèses sur ce qu’ils allaient découvrir à leur première escale — qui devait débuter deux semaines plus tard. Karl et Diego s’amusaient à leur donner des informations dont les cousins ne savaient jamais si elles étaient vraies ou fausses, ce qui leur mettait les nerfs en pelote. Par exemple, un jour, Diego leur confia que la planète sur laquelle ils allaient atterrir était peuplée d’habitants à la peau couverte d’écailles. Il précisa même qu’ils avaient évolué de cette manière à cause de rayons de longueur d’onde très courte émis par leur étoile. Ulys le harcela pour savoir s’il mentait ou pas jusqu’à ce qu’il avoue avoir tout inventé. Sur ce, Paddy répliqua calmement que ça aurait pu être vrai, puisque lui-même avait rencontré des humains à la peau écailleuse. Diego ne réussit jamais à lui faire dire s’il se moquait de lui ou pas, si bien qu’il devint à son tour à moitié fou en essayant d’obtenir la réponse.
L’excitation ne gagna pas que les cousins. L’approche de la prochaine escale agissait sur toute la population du WOW qui se lassait de l’atmosphère confinée du cisilduc et se languissait de pouvoir faire travailler leurs muscles ailleurs que dans ses salles de sport. Sans compter que d’après Diego, les grands chantiers embauchaient souvent plusieurs équipages ; c’était l’occasion d’entendre des histoires sur des mondes qu’on n’avait jamais vus ou d’avoir des nouvelles de ceux qu’on connaissait.
***
En attendant, la vie à bord suivait son cours. Parmi les corvées régulières, il y avait les astreintes en salle radio. Victor Charque, l’homme au respirateur, était responsable de l’ultracom, mais comme il ne pouvait quand même pas passer tout son temps enfermé dans la petite pièce des communications, un membre de l’équipage prenait le relais pendant ses pauses pour ne pas rater des alertes ou des messages urgents.
Oxan aimait beaucoup ce poste. Elle s’était d’abord portée volontaire en prévision du jour où, à l’approche de Dianaël, elle pourrait annoncer elle-même à sa mère qu’elles seraient bientôt réunies. Un sourire se dessinait sur son visage rien que d’y penser. Après plusieurs quarts dans la salle radio, elle s’était aussi mise à aimer l’idée qu’une communication parvienne au cargo après un voyage de plusieurs centaines de parsecs. Elle visualisait deux minuscules points, deux poussières isolées dans l’immensité de l’univers entre lesquels l’ultracom tissait un fil d’argent. Que c’était poétique et prometteur !
En plus, le contenu des messages était toujours une surprise. Le plus souvent, il s’agissait de renseignements sur ce qui se passait dans telle ou telle région stellaire : l’arrivée d’une comète ou des mises en garde contre des pluies d’astéroïdes, des tensions entre deux mondes voisins. Il y avait également beaucoup de publicités, ainsi que les messages privés dont le contenu était incompréhensible, sauf pour le destinataire qui possédait la clé de décryptage. De temps en temps, une planète diffusait une annonce d’embauche pour un chantier ou pour un transport de marchandises. Oxan avait aussi entendu des vaisseaux se donner rendez-vous quelque part. Une seule fois, elle avait capté un avis de recherche, mais elle n’avait pas bien compris qui l’émettait. Quoi qu’il en soit, son rôle consistait à faire le tri entre les communications : celles qui pouvaient attendre, celles qu’on pouvait supprimer et les messages urgents qu’il fallait tout de suite transmettre à Skull. Lors des premières astreintes d’Oxan, Victor était resté avec elle pour lui apprendre à sélectionner, mais au bout de deux mois à bord, l’adolescente maîtrisait parfaitement le poste.
Aussi fut-elle surprise lorsque Bella entra dans la salle radio et s’assit à côté d’elle en soupirant.
– Il y a eu un cafouillage dans l’attribution des astreintes, expliqua-t-elle. Du coup, il n’y avait personne ici pendant deux nuits. On a pu louper des choses importantes, il faut passer en revue tout ce qui est arrivé sur ces deux tranches horaires. Tu prends la nuit dernière et moi l’autre, ça te va ?
– OK, répondit Oxan en pianotant sur la console pour rechercher les sauvegardes concernées.
Elles travaillèrent pendant une heure chacune de leur côté, isolées par leurs casques audio. Oxan avait presque terminé lorsqu’elle tomba sur un enregistrement étrange. Le son brouillé correspondait à un message privé, rien d’exceptionnel jusque là ; ce qui était bizarre, c’est qu’il s’agissait d’une communication sortante, et que le code utilisateur n’était pas le même que d’habitude. Oxan ne l’avait jamais vu. En outre, le nom et la localisation du destinataire étaient masqués. Elle tapota l’épaule de Bella qui abaissa son casque.
– Tous les occupants du cargo accèdent librement à l’ultracom ?
Son équipière haussa les sourcils.
– Non, quand on veut l’utiliser, on passe par Skull qui se connecte grâce à son code. De toute façon, c’est rare que quelqu’un en ait besoin ; il n’y a pas grand monde à bord du vaisseau qui ait des amis ou de la famille à contacter. Pourquoi ?
Elle se pencha vers l’écran pour déchiffrer les métadonnées du message que lui indiquait Oxan.
– Qu’est-ce que c’est que ce code ? murmura-t-elle.
Sans ajouter un mot, elle sortit de la salle radio avec une mine soucieuse. Si elle allait prévenir Skull comme Oxan le pensait, c’est qu’il s’agissait bien de quelque chose d’anormal.
Curieuse et agacée de ne pas avoir obtenu plus d’explications, l’adolescente lança une recherche dans les archives pour vérifier s’il y avait eu d’autres messages envoyés avec le même code inconnu. Il y en avait cinq, tous concentrés sur la dernière quinzaine de jours. En poussant un peu plus loin, elle découvrit les réponses associées, qui portaient le statut « Lu ». Mais aucun indice sur la clé de décryptage.
Avec ça, je suis bien avancée. Est-ce que le silence de Bella signifiait que les messages eux-mêmes étaient inquiétants, ou est-ce que c’était le fait qu’Oxan en ait eu connaissance qui méritait que Skull soit prévenu ?
– Ton quart est terminé, tu peux aller dîner, dit soudain la voix synthétique de Victor Charque depuis le seuil de la pièce. Je prends le relais.
Elle effaça précipitamment sa recherche, puis rejoignit le réfectoire. En chemin, elle croisa le capitaine devant le poste de commandement. Parfait ! Elle allait pouvoir en apprendre plus.
– Est-ce que Bella t’a parlé de l’appel sortant qu’on a trouvé sur l’ultracom ?
Il ne répondit pas, mais Oxan eut la sensation de se faire fusiller par le regard vairon.
– J’ai… cherché un peu plus, poursuivit-elle tout de même en bafouillant. Il y a d’autres messages identiques. Est-ce qu’il y a un problème ?
– Oui, il y en a un : les jeunes curieuses qui se mêlent de ce qui ne les regarde pas.
Skull disparut dans le poste de pilotage en la plantant là, les joues rouges et le ventre douloureux.
Je suis plus convaincu par ce chapitre ci. Qu'Oxan fourre son nez dans les affaires de Skull est sympa, la connaissant elle ne va pas abandonner si vite. Je sens que les choses vont bientôt s'accélérer, c'est cool.
Bon, ducoup le "les jeunes curieuses" confirme pour de bon qu'il se trame des choses pas nettes. Maintenant, curieux de savoir quoi...
Je poursuis !
Il se trame des choses, c'est sûr, mais quoi ?...
Merci d'être toujours là et de me faire part aussi assidument de tes impressions ;)
Sur ce sujet, on en saura plus dans 2 chapitres, mais... ça risque de rester nébuleux encore un moment. En attendant, il devrait se passer des événements qui vont permettre d'attendre (si tout va bien).