Un répit pour la fugitive

Par Dersou

Dès les premières secousses qui firent valser quelques pots de fleur dans la ruelle, et vaciller des bâtiments entiers sur la Colline au loin, Hurdoy eut l'intime conviction que la jeune prêtresse de Gonveg y était pour quelque chose.

Depuis leur rencontre, la veille, il n’avait cessé de penser à elle. Un extraordinaire hasard avait voulu que la fille du mythique Viyinh Darfnag passe par là et s’arrête un instant près de la fontaine pour se reposer. Cela faisait deux ans qu’il s'entraînait régulièrement, avec ses amis, devant l’auberge du Ventre Tendu. D’abord épisodique, le rendez-vous était devenu une sorte de coutume. Ils s’affrontaient dans des duos de tomp dans l’espoir de se qualifier un jour pour un tournoi de la Ligue Impériale.

En y repensant bien, le vieux maître d’armes trouvait l’enchaînement de circonstances pour le moins étrange.

Si lui, Hurdoy, n’avait pas trouvé le galet noir, un beau matin, au fond de la fontaine exceptionnellement asséchée, s’il ne l’avait pas soigneusement nettoyé avec une brosse, pour mieux en admirer les reflets sombres au soleil, suscitant ainsi la curiosité de Rem’mat qui passait par-là, ce dernier ne se serait jamais arrêté pour lui adresser la parole.

Si lui, Hurdoy, n’avait pas accepté d’enseigner les règles du jeu de tomp au petit magicien enthousiaste, s'il n’avait pas dit en guise de boutade à son nouvel ami : "j’aurais préféré trouver une pièce d’or, mais ce galet a peut-être bien plus de valeur, comme un talisman", jamais Rem'mat n'aurait suggéré le plus sérieusement du monde de monter une petite équipe pour vérifier cette assertion.

Et jamais Hurdoy n’aurait eu la possibilité ni l’idée de glisser la pierre dans le baluchon d’une jeune prêtresse sortie de nulle part.

Il en était sûr, ce simple geste (d’un sans-gêne qui ne lui était vraiment pas coutumier) avait un rapport direct avec le séisme qui venait d’ébranler la Colline Impériale, au cœur de la Cité Éternelle. Un séisme hautement improbable vu la qualité et la puissance magique des habitants de cette colline.

Hurdoy s’empressa d’aller quérir l’avis d’un "connaisseur", son grand ami Rem’mat.

*

— Tu es en train de me dire que tu as mis le galet dans son sac ?

Le sorcier autodidacte n’en revenait pas. La pierre noire faisait autant partie de leur équipe que n'importe quel membre humain. Sans être véritablement supersticieux, le petit homme n'imaginait pas un autre palet pour leurs entraînements.

— Oui. Quand je l’ai vue, et avant même de savoir qui elle était, j’ai eu comme… disons, un pressentiment. Je me suis souvenu de ce que tu m’avais raconté, au sujet du symbole magique gravé sur le galet.

— La plupart des palets de tomp ont une rune ou un motif magique marqué sur une face.

— Mais te rappelles-tu du symbole sur NOTRE caillou, et ton interprétation ? insista le maître d’armes.

— Bien sûr. Le cercle représente le monde, en général. Et le losange est utilisé par ces sectes qui pullulent dans les royaumes d’Érinan. C’est un symbole de force souterraine, et il n’est guère étonnant de le trouver sur une pierre volcanique. De là à dire que cette gamine Darfnag s’en est servie pour provoquer un tremblement de terre, c’est un peu gros ! Enfin, quoi ! La Colline est l’endroit le mieux protégé de tout l’Empire !

— Tu as sans doute raison.

Hurdoy resta silencieux.

— Tu ne m’as jamais expliqué ce que tu faisais dans le coin de l’auberge, le jour où tu m’as vu récurer ce galet, reprit-il après quelques secondes.

— Que veux-tu dire ?

— Ce n’est pas ton quartier. Et c’était la première fois que tu y mettais les pieds, il me semble.

— Eh bien… (Rem’mat plissa les yeux en essayant de se remémorer.) Je me promenais… Oui, c’est ça. J’avais eu l’envie de passer par là, tout simplement.

— L’envie… murmura Hurdoy. As-tu envie d’y retourner, maintenant, avec moi ?

— Maintenant ? J’ai des clients…

— Demande à Poliphée de s’en occuper. Où est-elle, au fait ?

— Au marché. Mais avec cette secousse et tout le ramdam que ça a provoqué, elle doit déjà être sur le chemin du retour.

— Ferme ta boutique le temps qu’elle rentre, et laisse-lui un mot ! s'écria Hurdoy.

— Dis-moi au moins ce que tu comptes trouver là-bas. Ce n'est pas tout à fait la porte d'à-côté.

— Qui.

— Pardon ?

— QUI je compte trouver.

Rem'mat regarda son ami en silence. Il avait toujours eu la plus haute estime pour Hurdoy, son calme, son sang-froid, son pragmatisme. Ses intuitions.

— Tu as l’air tellement convaincu que je vais t’accompagner. Mais je te préviens, tu es en plein délire, et tu as intérêt à payer une tournée de bière, demain soir, si tu ne veux pas que je raconte ça à tout le monde.

— Marché conclu.

*

Les deux jeunes fugitives quittèrent enfin l’abri tout relatif de l’impasse étroite, des heures plus tard, alors que la nuit tombait pour de bon. Elles comprirent tout de suite qu’il ne serait pas facile de gagner les parties basses de la Cité. Des soldats s’étaient déployés par dizaines aux coins des avenues qui délimitaient le quartier impérial de Lotsesyn, et ils contrôlaient tous ceux qui cherchaient à entrer… ou à sortir.

La princesse serra les poings.

— C’est de ma faute. Ils ont eu le temps de réagir. Si nous avions continué à marcher, nous serions déjà loin d’ici.

— Vous n’étiez pas en mesure d’aller plus loin, ma Dame. Si j’avais été plus forte, je vous aurais portée !

Nynù réprima un sourire en voyant la jeune servante, encore plus menue qu’elle ne l’était elle-même. Mais Phersoe était sérieuse. Elle semblait déborder d’une énergie farouche, cette même énergie qui lui avait donné le courage de s’adresser à une princesse du sang et de la suivre en dépit du bon sens.

Un jeune garçon passa près d’elles en courant, l’un des innombrables coursiers qui travaillaient dans le quartier. Nynù l’interpella.

— Eh, toi ! S’il te plaît, pourrais-tu nous dire ce que font tous ces soldats dans la rue ?

Le garçon regarda attentivement Nynù, puis Phersoe. Il essayait d’évaluer leur rang, car il paraissait pressé et brûlait visiblement de les envoyer promener. Mais une prêtresse, fût-elle d’un ordre pauvre, ça se craignait, et une servante, quand elle venait d’un ordre riche, ça pouvait récompenser.

— C’est à cause de l’attentat sur l’Impératrice, m’dame. Des sorciers ennemis vachement balèzes ont lancé des sorts sur le Palais.

— L’Impératrice est morte ??

— Non, pas elle, mais y en a d’autres qui sont morts là-haut, il paraît, des gros nobles pleins de pognon. Ça fait du foin pas possible. Ils pensent que les sorciers sont encore dans le quartier. J’espère qu’ils vont les trouver, parce que moi ça m’empêche de travailler, tous ces barrages. Mais y a fort à parier qu’ils sont loin maintenant, pour sûr.

Pas un seul instant il ne vint à l’esprit du garçon qu’il avait devant lui l’un des fameux "sorciers ennemis vachement balèzes". Dans sa tête, ceux qui étaient capables d’ébranler le cœur même de l’Empire du Dajà étaient forcément des êtres infiniment puissants et d’allure menaçante. Pas une fille en robe grise usée, et aux traits tirés par la fatigue.

Nynù remercia le garçon, laissant à Phersoe le soin de lui donner une pièce de monnaie.

Le découragement la gagnait de nouveau. Ses frères, ses anciens amis, des proches étaient peut-être morts ou blessés par sa faute. Tous n’étaient pas des cyniques égocentriques, toutes n’étaient pas des pimbêches sournoises et cruelles, ni de froides comploteuses comme sa mère. Et aucun n’était directement responsable du massacre de Gonveg.

Elle non plus n’était pas une meurtrière, ils le sauraient tous au Palais. Ils se souviendraient que la fille gâtée de Viyinh avait un caractère de cochon et lançait des éclairs avec les yeux, mais des éclairs métaphoriques, pas des sorts destructeurs. D'ailleurs, aucun sorcier de sa connaissance n'avait le pouvoir d'invoquer un esprit aussi puissant.

Cependant le mal était fait. Et quel mal ! Nynù avait sciemment attiré l’Esprit Lent géant vers la surface. Les Inquisiteurs finiraient par prouver l'implication de la princesse. Personne ne comprendrait la réaction disproportionnée de Nynù. Tout au plus, on admettrait à voix basse que Négygu et le Premier Conseiller y étaient aller un peu fort, et que le massacre du Temple était un coup bas. Mais il n’y avait pas de quoi s’émouvoir outre mesure, et certainement pas de quoi attenter à la vie de l’Impératrice.

Nynù devrait payer pour son crime. La Justice était en branle, et les soldats informés de son apparence allaient la reconnaître sans hésiter si elle tentait de passer

— Ma Dame ? Permettez-moi de vous soumettre une idée.

Phersoe avait l’air maintenant sereine et distante à la fois. Comme droguée. Nynù se reprit à la soupçonner d’être toujours aux ordres de sa mère.

— Dépêche-toi de me la dire, alors. Nous allons bientôt nous faire repérer.

— Nous devrions échanger nos robes. Nous avons la même taille, les mêmes cheveux noirs, et…

— Non. Il n’en est pas question. J’assumerai seule mes erreurs. Mon imprévoyance a déjà causé trop de morts. Celle des miens, au palais… et celle de mes vrais amis, au temple. Je ne veux pas que tu te fasses arrêter à ma place.

— Mais c’est la seule…

— Tu l’as dit toi-même : tu n’es qu’une servante. Ils te tortureront et t’exécuteront publiquement s’ils prouvent que tu étais ma complice.

— Sauf si vous m’envoûtez avec votre magie des seigneurs. Ainsi je ne serai plus responsable. Non ?

Nynù resta sans voix. Le Dyorus. Les lois condamnaient toujours celui qui en abusait, jamais l’abusé. Un bon Trouveur de Vérité saurait disculper Phersoe sans l'ombre d'un doute. Décidément, la jeune servante était pleine de ressource. Trop, peut-être.

Phersoe perçut l'hésitation de Nynù. Prenant une profonde inspiration, elle dissipa définitivement les doutes de la princesse.

— Ne croyez-pas que cette idée vient de moi, ma Dame. Dans ma famille tout le monde me prenait pour une sotte. Je n'ai aucune imagination. En vrai, c’est un peu vous qui m’avez indiqué quoi faire.

— Comment cela ? s’étonna Nynù.

— Je vous ai parlé de mes rêves d’enfance où vous apparaissiez. Eh bien… dans l’un d’entre eux, je me suis vue en train de revêtir votre robe, et vous, vous passiez le barrage sans encombre.

— Même si tu dis la vérité, je ne peux pas prendre de risque inconsidéré en me basant sur tes… rêves !

L'onirisme n'avait pas sa place dans l'éducation spirituelle de Nynù. Tant au Palais qu'au temple de Gonveg, on regardait la divination comme une pseudo-magie sans réel fondement. Érimyne, l’oracle de Prestion consultée par l'Empereur, était une exception notable... qui confirmait la règle. Les lourdes responsabilités de Prényo IV l'avaient rendu si méfiant, voire paranoïaque, qu'il s'intéressait à toute forme de gouvernance, y compris la divination.

— Maîtresse, sauf votre respect, nous devons essayer ! insista Phersoe.

Phersoe se tourna vers l’avenue où la cohue se dispersait lentement. Il serait bientôt trop tard pour tenter quoi que ce soit. Elle reprit.

 — J’ai rêvé tout cela. Cette scène. Un attelage vert et or va passer, dans quelques secondes, il va s’arrêter près du barrage, un homme va crier par la fenêtre et l’attelage reprendra son chemin.

— Si tu dis vrai… commença Nynù.

Une escorte imposante apparut alors à l’angle de l’avenue. Quelques Paladins précédaient et d’autres suivaient un carrosse émeraude aux dorures éclatantes. Les soldats du barrage s’avancèrent pour l’intercepter, mais un jeune seigneur passa la tête par la fenêtre et leur aboya un ordre bref qui les figea dans leur posture. Le convoi disparut ensuite dans la circulation.

Nynù avait reconnu les armes d’un des Princes Héritiers sur le blason du carrosse. Le cadet Ludyò, peut-être. Elle soupira.

— Eh bien… On dirait que tu as gagné. Retournons dans cette ruelle.

*

À l’abri des regards, sous le porche, les deux jeunes femmes se firent face en silence. Nynù puisa dans ses souvenirs de piètre étudiante au Palais. Elle devait lutter contre le dégoût que lui inspirait la magie régalienne. Elle allait pourtant devoir recourir à cet art pour la deuxième fois en quelques jours. Mais O’Siniloï l’aurait sans doute pardonnée.

Elle mit toute sa conviction, tout son être dans le Lien qu’elle créa avec Phersoe. Une fois de plus, elle fut surprise d'obtenir un résultat aussi vite.

Sentant les barrières mentales de la servante s'effacer comme une brume qui se lève, Nynù lui ordonna de prendre ses habits et son identité. Il ne fallait pas laisser une once de libre-arbitre à la jeune femme.

Phersoe s’exécuta sans un mot, revêtant la robe grise de Nynù pendant que cette dernière ajustait vite fait les pans mauves de sa nouvelle tenue ; enfin, toujours en silence, elles regagnèrent la rue.

Nynù voulut prendre la main de sa complice pour la remercier, mais il était trop tard. Phersoe n'était plus là. La jeune servante était comme un automate qui ne devrait plus quitter son rôle avant qu’il ne soit terminé. La princesse lui demanda alors de se diriger à un point précis du barrage, tandis qu’elle-même se rendait à l’autre extrémité.

Nynù voyait la silhouette grise de Phersoe s’avancer lentement dans la file, juste derrière un groupe d'hommes qui trépignaient d’impatience. Ces derniers, tous habillés comme des marchands, furent vite autorisés à passer. Pendant ce temps, la princesse se rapprochait de l’autre file, prête à réagir.

Il y eut soudain une exclamation. Toutes les têtes se tournèrent vers l’attroupement qui se forma très vite autour de Phersoe. "C’est elle !" criait le soldat les plus proche de la servante. Un Paladin s’avança alors sur son cheval, et tous s’écartèrent pour le laisser passer. Il mit pied à terre devant Phersoe et lui dit quelque chose que Nynù ne pouvait entendre à cause de la distance. Alors le Paladin fit un signe convenu aux officiers qui attendaient son verdict. "C’est elle !" s’exclamèrent à leur tour les officiers, et la nouvelle de la capture de la princesse félonne put enfin se répandre.

Nynù n’hésita pas. Elle se faufila parmi les passants qui se tordaient le cou pour voir la fameuse sorcière qui avait ébranlé le Palais et tout l’Empire. Elle passa devant les soldats non moins curieux – et certainement soulagés de voir leur tâche terminée. Ils jetèrent à peine un regard sur la servante pressée de pénétrer dans la basse-ville populeuse.

*

Une heure plus tard, Nynù était loin du Palais. Toutefois elle pouvait encore le voir dominer la Cité, comme une masse menaçante piquée de lumières dans la brume du soir.

Elle faillit se perdre à de nombreuses reprises, fut obligée de demander son chemin plus d’une fois, et finalement elle arriva en vue de la petite place où elle avait rencontré les tompeurs la veille.

Au moment où elle traversait un minuscule passage qui débouchait sur la place, une forme sombre et menaçante surgit devant elle. Sa première pensée fut qu’elle s’était fait piéger comme une idiote.

Un bruit de pas derrière elle lui apprit que toute retraite était coupée.

Elle allait vendre cher sa peau.

*

Hurdoy et Rem’mat restèrent une bonne heure à discuter sur la place, assis sur la bordure de la fontaine. Des amis leur proposèrent de les rejoindre à la taverne, mais ils déclinèrent l’offre, prétextant qu’ils discutaient stratégie de tomp et qu’ils voulaient qu’on les laisse tranquilles.

Alors que le soir s’installait lentement, accompagné de la brume et de la fraîcheur typiques de la Cité Éternelle en cette saison de l’année, Rem’mat proposa à son ami de rentrer au chaud, à la taverne ou à la boutique de sa femme.

— Ta mignonne ne viendra jamais, mon vieux. À l’heure qu’il est, elle est en train de boire du vin jaune de Leslie en compagnie de beaux jeunes seigneurs aux doigts pleins de bagues dont chacune vaut le prix de cette taverne.

— Tu as entendu Rimus? Il vient de nous dire que le tremblement de terre a été causé par une sorcière, et que tous les Paladins sont à sa recherche.

— Il a aussi dit qu’elle avait été arrêtée, mais que ce n’était qu’un fantôme, et que des mages du Monde d'Orbelys ont ensuite ouvert un Portail en sacrifiant leurs vies pour que la vraie sorcière puisse s’échapper, et ainsi de suite. Tu connais Rimus, il raconterait n’importe quoi pour paraître intéressant… et gagner une bière.

— Encore une demi-heure. Rien qu’une demi-heure. Et allons attendre dans la ruelle, je ne veux pas que quelqu’un nous voit lui parler.

— Tu es vraiment têtu comme une mule. Je double mes honoraires : tu payeras deux tournées !

Les deux hommes se postèrent dans la ruelle.

Sans se concerter, ils se dissimulèrent chacun dans un renfoncement, Hurdoy avec le sérieux d’un guerrier rompu à ce genre d’exercice, Rem’mat avec un fou rire difficilement réprimé.

À peine le mage touche-à-tout avait-il retrouvé son calme que des bruits de pas retentissaient sur le pavé, et bientôt une servante d’un temple majeur passa devant lui sans le remarquer. Il se pencha alors dans la ruelle, par curiosité, juste à temps pour voir Hurdoy jaillir de sa cachette et bloquer le passage à la jeune femme qui poussa un cri de surprise.

Rem’mat trouva que, décidément, son ami dépassait les bornes. On n’effraie pas les gens comme ça ! Il quitta à son tour sa planque pour le lui dire, quand le maître d’arme s’exclama triomphalement.

— Je le savais !

La servante avait pris une posture défensive. Elle s’était collée au mur, ses mains légèrement relevées dessinant une figure sans équivoque pour le vieux mage : elle était en train d’exécuter un sort de haut-niveau, ce qui était peu banal de la part d’une servante. Et extrêmement dangereux pour les deux hommes si le sort venait à fonctionner.

— Ho là ! Arrêtez !! Ce n’est que nous! cria Rem’mat qui venait de reconnaître à son tour la prêtresse de Gonveg.

— Vous êtes… commença le maître d’armes à voix haute avant de baisser d’un ton… la Princesse !

La jeune femme interrompit son sort en reconnaissant la voix et l’allure de l’homme qu’elle voulait justement rencontrer. Elle garda néanmoins ses distances et s’écarta d’un pas de manière à englober Rem’mat dans son champ de vision. Tout cela sans quitter Hurdoy des yeux.

— Que faisiez-vous là, dans le noir ?

— Nous vous attendions… euh … votre altesse… N’ayez crainte ! Nous voulons seulement vous aider.

Nynù se détendit.

— Gardez vos "altesse" pour l’Impératrice, je ne suis qu’une princesse… non, une prêtresse. Et d’un temple disparu. (Elle ressentit une bouffée de colère vite maîtrisée.) Comment saviez-vous que je viendrais ici ? Mais avant de vous impliquer plus, sachez que je suis maintenant recherchée par les autorités impériales. Une félonne. Une criminelle. Vous risquez gros à me parler.

— Nous sommes au courant… O’Nessoï, intervint Rem’mat. Pour répondre à votre première question, nous pensions que vous chercheriez de l’aide, et que vous vous souviendriez de nous, donc…

— Nous serions mieux à l’abri des oreilles indiscrètes pour en discuter, le coupa Hurdoy en jetant un regard noir à son ami. Rentrons chez toi, Rem’mat. La prin… la maîtresse a froid.

Nynù accueillit la proposition avec soulagement. En effet, elle était transie, fatiguée, et elle se sentait seule comme jamais dans sa vie.

Qui que soient ces deux hommes, quelles que soient leurs intentions futures, ou les moyens dérisoires dont ils disposaient pour l’aider, elle devait pour cette fois leur faire entièrement confiance. Elle avait besoin de reprendre ses forces mentales, et d’alliés à ses côtés, même si c’était les plus humbles pour commencer.

*

Dès que Rem’mat mit un pied dans la boutique sa femme Poliphée lui tomba dessus et l’agonit d’injures. Elle ne décolérait pas de le voir rentrer si tard sans prévenir. Pendant une minute elle ne laissa aucun des deux hommes placer un mot. Enfin, elle remarqua la servante vêtue de mauve qui se tenait sur le seuil de la boutique.

La matrone fut frappée par le regard perdu de la jeune femme, et par son beau visage empreint d’une profonde tristesse. Elle pensa tout de suite qu’Hurdoy et son mari venaient de tirer cette pauvrette d’une mauvaise posture. En bonne mère, Poliphée ressentit immédiatement une bouffée de sympathie, et elle fit quelques pas en direction de la servante pour la toucher et la réconforter.

— Ma mignonne !! Que t’est-il arrivé ?

Elle se figea en reconnaissant Nynù.

— … Votre… Sa...  Majesté…

— Appelez-moi Nessoï. S’il vous plait.

Et à la surprise de tous, la jeune femme tomba dans les bras de Poliphée et pleura enfin les larmes qu’elle avait contenues toute la journée.

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DraikoPinpix
Posté le 25/04/2020
Encore un chapitre qui nous embarque dans l'action. Je suis heureuse pour Nynú qu'elle se trouve des alliés. En revanche, j'ai un peu de mal avec les histoires de rêve et de pressentiment. Je trouve que c'est un procédé un peu facile. C'est la seule remarque que j'ai à faire.
À bientôt !
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