Une douceur cotonneuse aspergeait les Escarais depuis les cieux, illuminés par un soleil agréable, ni trop chaud, ni trop froid, blotti entre deux nuages de pluie. La journée s’annonçait merveilleuse, à peine rompue par quelques giboulées, c’était la promesse d’un nouveau départ, d’une nouvelle vie. Çà et là, hommes, femmes et enfants vaquaient à leurs occupations quotidiennes, travaux de construction, achats et ventes de biens ou jeux dans la gadoue des rues de la cité émergente.
Kapris inspira l’air délicieux que lui offrait la nature, sa fidèle compagne de toujours, les yeux fermés et le visage tourné vers l’astre lumineux. Il savourait la liberté, car il venait de se défaire de ses obligations de chevalier, l’Ordre de la Citadelle n’avait plus besoin de ses services, aussi voulut-il s’en aller vers d’autres horizons. Un baluchon sur le dos, il referma la grande porte de la citadelle, fit signe à l’un de ses anciens camarades, puis se jeta dans le courant des rues animées de la cité. Bien vêtu d’une tunique lui arrivant aux genoux et d’un de ces tricornes à la mode, la plupart des habitants le reconnurent et l’interpellèrent pour témoigner leur amitié. Il déambula de la sorte, une tache bleu marine au milieu de la foule, s’en allant jusqu’à l’auberge où il prenait congé le temps des travaux de la citadelle. Ici l’attendaient ses deux pistolets, généreusement offerts par l’ordre, son briquet et les quelques pièces qui constituaient sa maigre fortune. Il fourra son briquet dans son baluchon, glissa ses armes à l’emplacement de ses étuis, puis repartit aussitôt. À son sens, moins de gens le voyaient partir, et mieux cela valait pour tout le monde. Hélas, mille précautions ne suffirent pas à dissimuler les faits et gestes d’un homme aussi réputé et adulé que Kapris.
— Mais dites-moi donc, poussa une voix féminine à l’accent exempt de douceur. Sire Kapris essaye de se faire la malle, où vas-tu comme ça ?
L’homme se retourna lentement, il savait à qui il avait à faire, cela ne lui était en rien désagréable, car il avait toujours apprécié cette jeune femme. Son ancienne écuyère l’observait de son unique œil, la mine réprobatrice, dissimulée sous une tignasse noire qui voletait au vent léger. Ses lèvres pulpeuses faisaient la moue, les sourcils avancés de son large front gesticulaient de façon agacée, tandis qu’un sourire se dessinait lentement le long de ses joues creuses. Les poings sur les hanches, elle attendit une réponse.
— Ah, Maeva la Borgne, glissa Kapris pour lui-même.
— On essaye de filer en douce ? fit-elle.
Trop tard pour le chevalier, il ne pouvait plus s’enfuir discrètement hors de la cité, comme il l’avait prévu, la Princalienne n’allait pas le lâcher d’une semelle, c’était certain. Il l’invita donc à prendre un verre pour discuter, lui partager ses intentions et lui expliquer les raisons de ce départ un peu précipité. De ce fait, les deux amis firent volte-face et s’engouffrèrent dans l’auberge.
À l’intérieur, déjà, l’agitation régnait, les travailleurs prenaient une courte pause ou se réunissaient avant de rejoindre leur chantier, et les explorateurs discutaient de leur prochaine opération. Le bruit ne manquait pas, rires et chants se mêlaient en une ambiance de camaraderie touchante, presque naïve, où l’on restait courtois et poli entre bonnes gens. Une lumière chaleureuse pénétrait par les fenêtres, arrosant la populace de la clarté vacillante du jour. Au milieu de ce beau monde, vinrent prendre place Kapris et Maeva, reconnus et salués par tous, ils s’installèrent en un coin reculé de la grande salle, puis se firent servir du cidre et une brioche. D’abord, ils parlèrent de banalités, prenant des nouvelles de l’un et de l’autre, discutant des événements de la cité, d’ici et d’ailleurs, jusqu’au moment où la borgne parvint à recentrer le sujet sur le départ de son ami.
— Alors, où vas-tu comme ça ? Tu m’abandonnes à mon propre sort, après ce que nous avons vécu durant le Cataclysme. Je ne te pensais pas aussi vilain et lâche.
Kapris soupira, mais ne se laissa pas déconcerter par les paroles de la jeune femme.
— J’ai officiellement quitté l’ordre, dit-il, j’y ai fait mon temps. Non, il me faut changer d’air, j’avais l’intention de marcher en direction d’Eve.
— Eve ? Pourquoi là-bas ?
Maeva ne comprenait pas le schéma de pensée de son ami. Il en fut toujours ainsi avec l’immortel, cet homme qui avait traversé les âges en solitaire prenait des décisions de façon subites, au grand étonnement de tous.
— On raconte que des gens disparaissent dans les environs d’Eve, précisa l’homme en mordant dans la brioche chaude. Deux enfants, un garçon et une fille, ainsi qu’un homme, en moins d’un mois. La destination pour un nouveau départ me semble toute trouvée, je veux savoir ce qu’il s’y passe, à Eve.
Il fit le commentaire de la façon dont il avait appris la nouvelle, des rares informations dont il disposait, de son désir de justice qui le poussait à se rendre là-bas, au Nord-Ouest. C’était une région devenue inhospitalière depuis le Second Cataclysme, humide et marécageuse, on disait souvent que la brume se levait les beaux jours, lorsqu’il ne pleuvait pas. Kapris comptait partir au plus vite, deux ou trois semaines de marche étaient nécessaires pour rallier Eve. Il risquait d’y avoir de nouvelles victimes durant cette période. De fait, il avala son cidre d’un trait, fit ses adieux à Maeva, puis se leva.
— Et si tu m’emmenais ? demanda la jeune femme sans bouger de sa chaise. Emmène-moi avec toi Kapris, moi aussi je veux partir à l’aventure, vagabonder dans les terres sauvages au gré de mes envies. Partons ensemble, tu sais de quoi je suis capable, puis, tu ne seras pas seul comme ça.
Ils se regardèrent sans mot dire, l’homme considérait la proposition avec le plus grand des sérieux, la solitude fut pendant des siècles son quotidien. Or, les choses étaient devenues différentes au cours des dix dernières années, la guerre du Second Cataclysme l’avait rapproché des Hommes, il était conscient que la compagnie d’amis fidèles ne lui demeurait pas désagréable. Et puis, il s’agissait de Maeva, son écuyère lors de la guerre, le lien qui les unissait était d’une force sans commune mesure, bien que quelque peu distendu ces derniers temps.
— Après tout, pourquoi pas ? ricana l’immortel.
Maeva bondit, emportée par la joie, fait rare pour une personne d’ordinaire peu expressive. Elle remercia Kapris et fonça hors de l’auberge pour récupérer ses affaires. Une nouvelle vie commençait pour l’immortel, une de plus.
Keep Going ! tu as un beau potentiel
Merci pour ces beaux compliments, j'ai fait mon possible pour rendre un texte agréable à la lecture. Chaque commentaire est un encouragement qui me va droit au cœur !
À bientôt pour la suite.
C'est vraiment sympa comme lecture (je le redis)
Cela me fait plaisir de savoir que mon texte te convient et t'enthousiasme à ce point. Alors, je ne peux que te souhaiter une bonne aventure !
Sympa ce deuxième chapitre ! On passe d'une puissante nostalgie à l'ambiance légère d'une cité foisonnante de vie, un contraste qui marche très bien.
Je serai curieuse d'en apprendre plus sur l'Ordre de la Citadelle et la guerre du Second Cataclysme, où nos deux tourtereaux se sont apparemment rencontrés...
Je me demande aussi si les immortels sont monnaie courante dans ce monde, car ça n'a l'air de surprendre ni de déranger personne (à moins que personne ne soit au courant à ce stade ?) Et si c'est de naissance (avec toutes les questions que ça soulève) ou bien un genre de malédiction, d'affliction, ou encore liée à une race spécifique...? A découvrir!
Merci pour ta lecture et ton commentaire !
Tes questions sont légitimes et pertinentes, et je suis heureux que tu te les poses. En lisant les textes que je propose, tu découvriras, à mesure, des indices qui pourront t'éclairer en ce sens. Je te laisse découvrir cet univers au fil de tes lectures !
À bientôt.
À plus tard !
Quand je vois un duo comme celui-ci, je pense toujours à Fafhrd et le Souricier Gris dans le cycle des épées de Leiber! Je précise c'est un compliment!!
Comme le premier chapitre, j'aime ton style. Le temps que tu as passé sur ton texte se ressent. C'est maitrisé.
Avec un immortel dans le duo, il me tarde de voir ce que tu as imaginé.
A bientôt
Je suis heureux que ces deux premiers chapitres te plaisent et j'espère qu'il en sera de même pour la suite.
À plus tard.
Bonne lecture !
Les descriptions et les dialogues sont bien dosés et le style toujours aussi fluide et poétique. Le mystère qui plane sur Eve accroche tout de suite le lecteur en ouvrant la voie à de nouvelles aventures sur fond d’enquête à résoudre.
Hâte de poursuivre mes aventures aux côtés de Kapris et Maeva.
Je souhaite que la suite des aventures de ces deux-là te plaise autant que ce début d'histoire. Au fur et à mesure de tes lectures, les personnages se dévoileront encore davantage, à propos d'eux-mêmes et de leur passé, comme du monde qui les entoure.
Au plaisir de te lire également !
La sagesse et la mélancolie sont en effet les principaux traits caractérisant Kapris, je suis heureux de voir que cela transparait à travers mes mots.
J'espère que la suite sera à la hauteur de tes attentes.
Même s'il s'agit d'une introduction, j'ai vraiment l'eau à la bouche. Il y a suffisamment de mystère entourant Eve pour donner envie de se jeter directement dans la suite. Pour l'instant, l'intrigue et l'univers ressemblent à beaucoup d'autres de medieval fantasy mais je suis sûre que ce ne sera pas si simple et que ce que tu vas nous dévoiler par la suite le rendra unique (je pense notamment à la raison pour laquelle Kapris est immortel, c'est plutôt intriguant...)
J'ai encore une fois passé un très bon moment en te lisant !
Les différentes nouvelles se focalisent tantôt sur le duo Kapris/Maeva, tantôt sur un seul d'entre eux. De ce fait, le passé de chacun sera parfois le sujet d'une histoire en particulier, mais je ne vais pas en dire davantage…
Merci encore pour ces remarques, je vais poster un chapitre par semaine à partir de maintenant, bonnes futures lectures !