Une Nouvelle Vie : Chapitre VI

Par Rânoh

De retour en la forêt de Syphos, l’avatar maléfique de mère Nature, entre terres boisées et traîtres marécages, les deux aventuriers retrouvèrent la cabane de l’ermite. En dépit de la nuit tombante, ceux-là voulurent sans détour mettre un terme à cette histoire, ils confièrent donc Iseut et Isidore au bayle de Eve avant leur départ. L’endroit demeurait aussi inerte que lors de leur première venue, le matin du même jour, hors du temps et paisible sanctuaire de l’Homme dans les terres sauvages. Cependant, il ne fallait guère s’y tromper, la mort rôdait dans les parages, la terre et les arbres alentour s’en imprégnaient et s’en nourrissaient. Car là, une montagne de pauvres enfants et de jeunes gens, victimes d’un cupide complot, pourrissaient à l’ombre des châtaigniers décrépits et des saules pleureurs. Kapris et Maeva se présentaient afin d’en retrouver la trace, au moins les restes, pour leur offrir une digne sépulture et le repos éternel.

Prostrés derrière un arbre, les vagabonds observèrent le terrier de leur proie se dessiner à travers la fine brume. L’ancien chevalier demeurait inquiet. Ses sens en alerte perçurent l’effroyable silence de la clairière, l’absence édifiante du chant des oiseaux, de lointains aboiements de chiens sauvages, il n’y avait rien. Pas même l’odeur de fumée échappée de la chaumière, comme ce fut le cas plus tôt. Non, rien de cela. Il invita son amie à prendre son arme en main et fit de même avec le sabre qui pendait à son côté, tirant avec précaution la lame de son fourreau, sans un bruit, puis avança avec autant de sûreté. La terre humide décela des empreintes qui ne rassurèrent pas l’immortel, il y avait ici comme de gigantesques traces laissées par un à trois canidés, de gros canidés, bien trop pour n’être que des chiens errants. Sur ces entrefaites, ils parvinrent à l’entrée de la chaumière, la porte était partiellement ouverte, elle laissait ouïr de curieux bruissements. Quelqu’un se trouvait à l’intérieur, mais s’agissait-il de l’ermite ou d’une bête sauvage ? Les superstitions les plus insensées naquirent en l’esprit de la plus jeune, pour elle, Ciriac était rien qu’un sorcier doté d’un savoir dangereux. La preuve se trouvait sur son bras bandé, le poison concocté par l’homme relevait du surnaturel. Loin de l’effrayer, cette sombre idée la galvanisa, elle voulait en finir au plus vite, quitte à tirer avant d’entamer la discussion. Ils s’accroupirent devant la porte.

Un rapide coup d’œil à l’intérieur n’offrit aucune information, l’obscurité demeurait trop profonde pour un examen préalable. Il ne restait plus qu’à entrer. Maeva se leva et flanqua un vigoureux coup de pied dans la porte, l’envoyant valser dans le noir puis chercha une cible du regard. Des yeux rouges, emplis de malice, s’élevèrent alors des tréfonds des ténèbres, comme des rubis brillant au soleil, un grognement rauque et bestial les accompagna tandis qu’ils se tournaient vers la femme. Prise d’un sursaut de panique, celle-ci pressa la détente de son marteau, son arme expulsa un faisceau dans la chaumière qui alla exploser plus loin, éclairant brièvement la créature. L’ombre fugitive évita le tir de justesse, puis se précipita en direction de la sortie, bousculant Kapris dans sa hâte, ce dernier n’eut guère le temps de réagir en dépit de ses réflexes aiguisés. La jeune Maeva demeura tremblante sur place, son regard se portait plus loin et scrutait les recoins de la cabane. Elle tira la lanterne qui pendait à son ceinturon, récupéra son briquet et alluma la mèche en s’y prenant à plusieurs fois, car l’humidité ambiante rendait la tâche difficile. Lorsque la lumière fut, les aventuriers découvrirent une scène d’horreur, que l’odeur infecte précédait depuis leur arrivée.

Une bouillie humaine s’amoncelait sur le sol, hideuse vision de l’ermite en charpie, l’on ne reconnaissait pas davantage que son faciès déformé par la terreur des derniers instants. Nul trace cependant du fils d’Isidore, ce dernier se trouvait certainement au même endroit que ses victimes, en une cachette perdue à jamais. Ce fut un terrible échec pour Kapris et Maeva, qui ne surent quoi faire de leur macabre découverte, lorsque, soudain, la jeune femme hoqueta de surprise.

— Kapris, interpella-t-elle son ami. Tu te souviens de ce que Isidore nous a racontée.

L’homme ne comprenait pas où souhaitait en venir son ancienne écuyère, aussi l’invita-t-il à exprimer le fond de sa pensée sans tarder.

— Moi non plus je n’ai pas relevé ce détail lorsqu’elle a parlé, elle a dit qu’ils ont monté leur petite affaire d’enlèvement après la première disparition, celle du frère du bayle.

L’immortel se figea, il tirait les conclusions de ce qu’impliquaient ces déclarations, prenant le temps de les mesurer avec ce dont il venait d’être témoin. De fait, il comprit que le véritable coupable de l’histoire venait de s’enfuir sous leurs yeux, la bête à l’origine du massacre des Évéens. Il demeurait certain que l’ermite offrait ses victimes à cette chose pour avoir la paix mais, pris à son propre piège, il ne fit que l’attirer à lui et en paya le prix de sa vie. Ces événements laissaient en suspend la question la plus importante, qu’était-ce que cette bête immonde ? Maeva fut d’avis d’y réfléchir à l’abri des murs d’enceinte du bourg, car la nuit et ses cauchemars arrivaient à grand pas.

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Arnault Sarment
Posté le 23/10/2024
Hum, était-ce vraiment un accident ? Ou a-t-on lâché la bête pour faire disparaître les preuves ? Le suspense de l'enquête monte, je me réjouis toujours de plonger dans cette ambiance horrifique. Kapris et Maeva sont toujours déterminés mais je pense qu'ils vont rapidement déchanter devant l'ampleur de qui les attend...
Rânoh
Posté le 23/10/2024
Nous sommes aux prémisses d'un cauchemar éveillé, duquel nos protagonistes ne pourront qu'être. Est-il plus difficile de survivre aux catastrophes ou de vivre dans un monde inconnu, imprégné des horreurs du passé ?
La piste sera longue à remonter, alors j'espère que la lecture des prochains chapitres et histoires te sera agréable !
Demiurge369
Posté le 16/06/2024
La description de l’environnement est particulièrement évocatrice. La forêt, avec ses marécages traîtres et ses arbres imprégnés de mort, crée un cadre terrifiant qui intensifie l’angoisse des protagonistes. Le contraste entre la paisible apparence de la cabane de l’ermite et l'horreur qu'ils y découvrent est frappant. Cette juxtaposition de calme et de terreur sublime l'effet dramatique du texte.

Kapris et Maeva sont présentés comme des personnages déterminés et compétents, mais confrontés à des forces qui semblent les dépasser. La scène où Maeva affronte la créature est particulièrement saisissante : son courage malgré la peur, la tension palpable et le choc de la confrontation sont brillamment décrits. Le détail de son arme et de la difficulté à allumer la lanterne ajoute un réalisme qui renforce l’immersion.

Le dialogue entre Kapris et Maeva à la fin est une belle illustration de leur dynamique et de leur complémentarité. La révélation de Maeva sur le véritable coupable est bien amenée, et le lien avec les événements précédents est habilement tissé. Cette discussion donne un tournant à l'intrigue et prépare le terrain pour les prochains développements.
Rânoh
Posté le 16/06/2024
Salut, Demiurge !

Je suis content que la complicité entre mes personnages fonctionne, ce fut un défi de la faire transparaître dans ce récit, pris en cours de route dans leur relation.
J'aime beaucoup opposer les cadres aussi, comme tu l'as constaté, cela renforce l'émotion de l'action en poussant le lecteur vers un sentiment d'incertitude.

En tout cas, je te remercie pour tes commentaires, en espérant que la suite de ces aventures sera à la hauteur de tes attentes.
Arod29
Posté le 11/04/2024
Hello Rânoh
Excellent chapitre!
L'action est bien mené, la tension est là avec cette mystérieuse bête. Le style est vraiment excellent. J'ai passé un très bon moment de lecture.

Juste une petite remarque:
"son arme expulsa un faisceau dans la chaumière qui alla exploser plus loin, éclairant brièvement la créature."
C'est dommage que tu ne révèles rien sur la créature alors qu'elle a été même brièvement éclairé.
Bravo et merci!
A bientôt
Rânoh
Posté le 11/04/2024
Merci encore pour tes commentaires !

Je comprends ta frustration vis-à-vis de la bête, et c'est volontaire. Le but était de créer une attente à son propos, pour que le lecteur la garde à l'esprit, elle et le mystère qui l'entoure.
Il s'agissait d'une manière pour introduire un personnage à part entière, sa description immédiate risquait de gâcher l'effet de fugacité du moment.
D'où la conclusion du chapitre : "qu’était-ce que cette bête immonde ?".

Au plaisir d'échanger avec toi !
Gardar
Posté le 27/03/2024
Questions : Qu'est ce que le Cataclysme ? Quand l'histoire se déroule elle ?
Sinon c'est très bien voilà juste mes interrogations. Dans l'action, détaille moins, fais des phrases plus court, on suivra plus facilement mais sinon c'est très bien !
Merci Rânoh !
Gardar
Rânoh
Posté le 28/03/2024
Salut ! Tu en sauras davantage sur le Second Cataclysme au fil des histoires, à petite goutte si j'ose dire, car l'ensemble de l'univers développé tourne autour de celui-ci.
Pour faire simple, il s'agit d'un ensemble de catastrophes non naturelles, survenues plus ou moins en même temps. Le tout, sur une temporalité de plusieurs mois, avec la bataille de Phylas (à laquelle nos deux héros ont participé) comme point culminant.
En outre, l'histoire se déroule cinq ans après la fin du Cataclysme, donc cinquante ans avant la mort de Maeva.

Merci à toi, Gardar.
Orögo_89
Posté le 11/12/2023
L'intrigue se maintient et se poursuit parfaitement.

J'ai bien compris que Kapris est un ancien chevalier et Maeva son ancienne écuyère, mais pourquoi sont-il à ce point impliqués dans la résolution de ce complot. Qu'ont-ils à y gagner ? Agissent-il par devoir ? S'agit-il d'une mission qui a été confié à Kapris par une personne qui lui est proche ? Y-a-t-il une rémunération à la clé ?

Le monde que tu présentes est chaotique ou "post-cataclysmique et dans un tel contexte, je vois mal des personnes, aussi braves soient-elles, n'être mues que par la morale ou le devoir. Un ou une proche de Kapris est-il/elle lié.e de prêt ou de loin à toute cette histoire ?

Peut-être suis-je tout simplement trop impatient...
Rânoh
Posté le 12/12/2023
Merci pour le commentaire.

Pour éclairer ta lanterne, Maeva et Kapris, surtout lui, agissent dans un esprit tout à fait chevaleresque en aidant les habitants d'Eve. De plus, il s'agit d'un prétexte à l'aventure et à la découverte de ce monde nouveau, post-cataclysmique, qui pousse ces deux-là à gratter cette histoire.
Pour faire simple, la vie fut si rude durant le Cataclysme et l'humanité tellement mise à mal, que l'entraide devint une nécessité pour tous.
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