Une Nouvelle Vie : Chapitre VII

Par Rânoh
Notes de l’auteur : Ultime chapitre de cette première histoire, bonne lecture.

— Ah, maudites bêtes, nous les traquons depuis cinquante ans, mais il en sort toujours de leur tanière faite de ruines. Que le temps est passé vite en ta compagnie, Maeva.

Kapris demeura silencieux, et le silence l’accompagna dans la douleur. Cela faisait un moment déjà qu’il était seul dans la chambre, qu’il parlait encore et toujours de cette journée pleine de rebondissements. Sa voix s’était finalement éteinte, étouffée par la réalité qui finit par le rattraper d’un bond. L’histoire touchait à sa fin, rien ne pouvait plus en modifier la trame, pas même la confusion des souvenirs d’un homme âgé de plus de quatre siècles, qui laissait un volume entier de sa vie derrière lui. Ce fut, pour lui, cinquante merveilleuses années, mêlant amour et aventure, vie mouvementée et temps de paix. Déjà, sa mémoire vacillait, l’unique point d’ancrage à celle-ci venait de céder, Maeva n’était plus de ce monde, son âme allait se matérialiser en un autre être, loin de là. La vieille femme était allongée sur le lit conjugal, inerte, les bras le long du corps, son visage empli de larmes exprimait la sérénité.

Prêt à passer à autre chose, comme il l’avait fait auparavant, le mari aimant se leva de sa chaise. Le visage crispé et humide, il ferma l’œil de sa belle en une sublime caresse, croisa les bras de cette dernière sur sa poitrine, héritage d’un antique rituel des jeunes années de l’homme, avant de venir déposer l’ultime baiser sur les lèvres de son aimée. Sans plus de cérémonie, il tourna les talons et sortit de la chambre, dont il referma la porte, pour trouver sa descendance regroupée en la pièce principale de la modeste demeure. Tous se levèrent, ils savaient bien ce qui signifiait ce funeste silence, certains d’entre eux se mirent à pleurer. L’aîné de la famille, un bon artisan de quarante ans passés, vint s’exprimer au nom de tous, à son père, d’un ton qui témoignait de mauvaises relations entre les hommes. Or, Kapris, lui, ne voulut guère parler. Il récupéra son manteau et son vieux tricorne tout usé puis, sans jamais se retourner, sortit sous la pluie en claquant la porte. On l’observa depuis une fenêtre, cette ombre mystérieuse qui s’éloignait, ce père, ce grand-père et bientôt arrière-grand-père, que l’on ne connaissait que vaguement, par des histoires à dormir debout que les gens se racontaient. On resta ici, agglutiné devant le verre froid assailli de milliers de gouttes d’eau, sans rien pouvoir exprimer que la peine d’avoir perdu deux parents en une journée.

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Arnault Sarment
Posté le 29/10/2024
Ouch, cette dernière phrase ! Le pire c'est que j'imagine que Maeva n'est même pas la première conjointe de Kapris donc potentiellement cette scène s'est déjà produite... On peut juger son comportement inhumain mais en même temps, comment faire autrement avec une longévité pareille ? Félicitations pour la fin de la première partie en tous les cas, j'accroche totalement !
Rânoh
Posté le 30/10/2024

Merci à toi !
J'espère que les histoires suivantes sauront insuffler autant d'émotions à la lecture. À la prochaine !
Arod29
Posté le 17/04/2024
Hello Rânoh!
Excellent chapitre, tout en finesse et émotion et qui donne envie de se plonger dans la suite de leurs aventures. Bravo!
A bientôt.
Merci.

"Le visage crispé et humide, il ferma l’œil de sa belle en une sublime caresse, croisa les bras de cette dernière sur sa poitrine, héritage d’un antique rituel des jeunes années de l’homme, avant de venir déposer l’ultime baiser sur les lèvres de son aimée."
Une belle phrase. J'adore.
Rânoh
Posté le 17/04/2024
Salut Arod, merci d'être allé jusqu'au bout de cette première histoire !

Je suis content que le fond et la forme te plaisent, c'est la meilleure des récompenses pour le travail fourni. Merci encore et toujours d'être au rendez-vous !
Orögo_89
Posté le 11/12/2023
Très beau niveau d'écriture !

À la lecture de ce dernier chapitre, je comprends maintenant mieux la démarche entreprise au travers de ce récit qui m'apparait être une infime partie d'un univers beaucoup fois plus grand et peut-être encore en cours d'élaboration.

Tout n'est pas dit, le mystère demeure et c'est précisément toutes ces inconnues qui me pousseraient à te lire, sans hésiter, lors de prochaines publications.

Bravo en tout cas, tu es parvenu à me tenir en haleine et à me donner l'envie d'en apprendre davantage sur ton univers.
Rânoh
Posté le 11/12/2023
Merci beaucoup, Orögo, pour ces commentaires, ils me sont précieux !

En effet, le récit se place en un univers bien plus vaste, où les principaux enjeux furent tout à fait modifiés lors du Second Cataclysme. Maeva et Kapris évoluent dans ce nouveau monde et peinent à s'y adapter. De ce fait, cette première nouvelle, qui est un peu l'Alpha et l'Omega du recueil, montre deux personnages hors du temps par rapport à leur époque.

Merci en tout cas pour ce soutien, tu auras l'occasion d'en apprendre plus (mais pas trop, héhé) avec les prochaines nouvelles.
Orögo_89
Posté le 12/12/2023
Top ! Hate de voir de quoi tu es capable. À très bientôt du coup ;)
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