Voiles du berceau

J’ÉTAIS SEUL.

On avait dû me changer d'endroit. Car je n'entendais plus les cris et les pleurs des poupons. Ni les voix, ni les pas des géants.

À présent, un majestueux silence m'environnait.

J’étais bien. Ma barboteuse était moelleuse et sentait bon. Je reposais sur un drap très doux.

Au-dessus de ma tête, blancheur ! De fins voiles transparents me faisaient un toit de plénitude.

Mes narines respiraient la tiédeur ambiante, dont le parfum sucré me rappelait l'odeur du sein de mon hôtesse.

Pour passer le temps, j'observais alentour tout ce que je pouvais observer. Sur ma gauche, il y avait cet ours en peluche collé à mon visage, qui me piquait un peu la peau, et qui poursuivait drôlement ma joue lorsque je la penchais. Sur ma droite, il y avait ce chapeau rouge d'où sortait une lumière jaune, apaisante. En l’air, il y avait ce plafond en biseau sur lequel courait une auréole noire, avec d’étroites coulures qui semblaient ramper vers moi.

Soudain, au hasard d'un mouvement, j'avais découvert une petite main dotée de petits doigts fripés. Durant un moment, je m’étais demandé à qui elle pouvait bien être. Je la bougeais, et elle bougeait aussi. Je ne la bougeais plus, et elle ne bougeait plus. Au bout du compte, je m’étais mis à croire qu’elle pouvait être à moi.

Comme par enchantement, une autre petite main était apparue dans mon champ de vision. Pendant quelques instants, la première petite main avait cherché plusieurs fois à attraper la seconde, mais elle n’y était pas parvenue. Sans doute déçues par cet échec, elles avaient fini l’une et l’autre par disparaître d'un coup.

J’avais encore tortillé du bassin, et gigoté des cuisses, dans l’espoir de reproduire mon heureux test de marche. Mais je n’étais pas allé très loin.

Enfin, las de ces jeux solitaires, je m’étais endormi à nouveau.

À peine les yeux clos, j'avais eu cette belle sensation de me soulever dans l'espace, de ne plus sentir du tout mon poids de nourrisson.

Comme la veille, je flottais maintenant dans la pièce, à hauteur du plafond. Je pouvais voir distinctement sous mes pieds un joli bateau blanc, immobile, que les vents ne poussaient plus. À l'intérieur de cette coque de dentelles, se trouvait un bambin qui délassait son corps, comme après un long voyage. De temps à autre, ses bras étaient secoués de tendres réflexes. Et puis, ses gestes retombaient sur sa poitrine avec une infinie douceur.

Étrangement, je pouvais deviner tout ce qu’il ressentait, et même entendre l'horloge de son petit cœur. Il semblait serein. Mais juste en apparence. Car tout au fond de lui, il dialoguait avec sa peur. Il la berçait au-dedans. Il lui disait : n’aie pas peur !

Mieux encore, je pouvais voir ses rêves, comme si je les rêvais moi-même. Son esprit avait quitté la Terre. Poussé par les alizées, il voguait dorénavant dans l'azur délicieux, croisant ici un paradisier grand-émeraude, là une escadrille de rolliers à longs brins, plus haut encore parmi les étoiles d’autres bambins en barboteuse. Pénétré de multiples béatitudes, il parvenait enfin à l’orée d'un lagon scintillant de mille feux, qui s’étendait à perte de vue. Son rivage était tapissé de fleurs gigantesques, chamarrées, exquises à en pleurer.

Au pied d’un bosquet de feuilles turquoises, se tenaient les halos d’une femme et d’un homme sans âge, qui l’attendaient. Alors, sans émettre la moindre parole, ils rassérénaient le bambin. Le caressaient d’amour. Chacun de leurs précieux silences était comme un vêtement de miel qui recouvrait son cœur nu.

Ce faisant, d’un ample geste de lumière, ils lui désignaient là-bas, dans le lointain, une petite femme blonde, tout sourire, qui faisait de grands signes.

« La voilà, elle revient. Elle est enfin prête à ce que tu l’appelles maman ! faisaient comprendre sans un mot, ses tuteurs au bambin.

« Va sans crainte ! »

Au même instant, cette maman réparée, je l’avais retrouvée bien réelle dans la pièce mansardée. Comme dans le rêve du bambin, elle était petite, blonde, jolie et fière.

Elle avançait sur la pointe des pieds vers le beau bateau blanc.

D'une main délicate, elle était venue caresser la joue de l’enfant. Qui avait ouvert les yeux, esquissé un sourire.

Et, à ce sourire, elle avait répondu câlinement : pardonne-moi, j'étais très fatiguée. Tu es très beau, tu sais. Plus beau que dans mes rêves !

Cette marque de tendresse m’avait beaucoup ému.

Presque aussitôt, j’avais entendu dans mon esprit flottant, cette voix d’ailleurs :

« La vie commence pour le nourrisson lorsqu'il reçoit sa première bonté. Il est temps pour toi de rentrer dans le cœur de l'enfant qui dort. »

Alors, sans la moindre appréhension, tranquille, je m’étais laissé aspirer par les voiles du berceau.

 

 

           

           

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AlaindeVirton
Posté le 05/07/2024
Le style est maintenu, toujours très attirant. On s’y attache, comme on s’attache au poupon et à ses pensées. La tension perçue dans le chapitre précédent semble avoir disparu, ce sont plutôt des interrogations. Il se pose des questions et moi aussi : où cela va-t-il nous mener ?
Edouard PArle
Posté le 06/10/2021
Hey !
Un mois plus tard, me revoilà ! Ca n'a pas changé ici, toujours très tendre et poétique. Tu abordes des moments cruciaux de la vie pourtant peu abondants dans les écrits. La première rencontre visuelle de l'enfant et de la mère est vraiment très bien restituée, c'est super attendrissant.
"Au bout du compte, je m’étais mis à croire qu’elle pouvait être à moi." j'aime beaucoup ce passage
Quelques remarques :
"dont le parfum sucré me rappelait l'odeur du sein de mon hôtesse" . le me est de trop
"j'observais alentour tout ce que je pouvais observer." enlever le observer de la fin, il n'est pas nécessaire à la phrase et fait une répétition
Un plaisir de te lire,
A très vite !
Zultabix
Posté le 07/10/2021
Un grand merci pour ta lecture, cher Edouard !
Hortense
Posté le 29/06/2021
Super ce chapitre, je me suis laissée emporter dans ce joli rêve. Tu as une manière très poétique d'amener cette rencontre entre la mère et l'enfant. C'est très bon.

- une lumière jaunâtre : pas fana du jaunâtre. Jaune ? idem pour noirâtre.
- il voguait dorénavant : il voguait dans l'azur ?
- exquises à pleurer : à en pleurer ?

A très bientôt
Zultabix
Posté le 29/06/2021
J'ai corrigé !
Merci bien !
Zultabix
Posté le 29/06/2021
Voguer dans l'azur est, je te l'accorde, un peu tiré par les flots, mais ça ne me dérange pas !^^
Zultabix
Posté le 29/06/2021
Je renouvelle sinon mon invitation, penses-tu que nous pourrions nous appeler au tél ?
Hortense
Posté le 30/06/2021
En fait ce n'est pas voguer dans l'azur qui me dérange, je trouve l'image jolie, mais plutôt le dorénavant qui me semble en trop.
Je ne suis pas fana du téléphone, je le fuis de manière générale mais il existe peut-être un moyen plus perso de communiquer sur le site ? J'avoue ne pas avoir encore tout exploré.
A très bientôt.
Hortense
Posté le 01/07/2021
J'ai créé une boîte sur le forum pour recevoir des messages personnels, on peut peut-être échanger par ce biais ?
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